Quand squat flirte avec féminisme

Norah a 25 ans. Deux masters de l’ULB en poche, un en littérature, l’autre en sciences et gestion de l’environnement. La Bruxelloise nous accueille dans une grande colocation de six personnes. Norah, c’est son nom de militante.

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Photo: Antoine Humblet (CC BY NC ND)

Norah a 25 ans. Deux masters de l’ULB en poche, un en littérature, l’autre en sciences et gestion de l’environnement. La Bruxelloise nous accueille dans une grande colocation de six personnes. Norah, c’est son nom de militante.

Photo: Antoine Humblet (CC BY NC ND)

Engagée dans un nombre incalculable de mouvements sociaux, Norah souhaite ouvrir une convention légale exclusivement réservée aux femmes. Bien que similaires aux squats, les conventions légales ne sont pas concernées par la loi anti-squat, et consistent en un accord entre le propriétaire et les occupants d’un lieu vide pour une durée temporaire.

Pourquoi vous détournez-vous du système locatif classique ?

Je n’ai pas envie d’avoir un loyer. Cela implique de devoir payer toutes les charges qui vont avec. Je dois actuellement prévoir environ 500 euros dans mon budget pour payer tout ce qui est lié à mon loyer. Cela implique donc de trouver un job stable. Je viens de sortir de l’université et j’ai fait sept ans d’études, je n’ai pas du tout envie de cela. Je ne peux pas prendre un boulot à plein temps, parce que cela impliquerait de faire une croix sur les tâches dans lesquelles je suis engagée à côté et qui ne sont pas rémunérés.

Quel est ce projet de convention légale ?

En septembre, je ne voulais à la base pas entrer dans une colocation. Je souhaitais trouver un squat et en faire une convention légale parce qu’elles sont plus stables et moins compliquées. Je souhaitais réaliser cela avec des amies, entre filles. Nous voulions ouvrir une convention légale non-mixte, parce que ça n’existe pas à Bruxelles, ni en Belgique d’ailleurs. L’idée est d’avoir accès à un grand espace dans lequel nous pourrions faire de l’hébergement (de personnes en difficultés, de réfugiés, ndlr). Le projet est toujours d’actualité et nous nous voyons régulièrement pour en parler mais j’ai tout de même choisi la colocation mixte ici parce que c’est très compliqué de trouver un endroit dont le propriétaire est d’accord pour établir une convention légale… Cela prend des mois !

Une convention légale féminine, qu’est-ce que cela implique ?

Le squat en non-mixité est pertinent parce qu’il permet d’allier ce mode de vie un peu alternatif à la revendication d’un projet politique entre filles. Ça permet d’avoir une prise de pouvoir et de se dire qu’on peut le faire : nous sommes des femmes et on peut prendre des décisions. Si la chaudière est cassée, on peut la réparer nous-mêmes. Aussi, nous nous sentons mieux quand on est juste entre femmes.

Vous vous auto-proclamez féministe. Que vous a apporté ce mouvement ?

J’ai découvert le féminisme il y a quelques années et ça a changé ma vie. Je me suis décomplexée. Le problème, c’est que les gens ont souvent peur de l’autorité, du manque de sécurité et bien d’autres choses, et je crois que les filles ont d’autant plus peur parce qu’elles ont moins confiance en elles. On leur a appris qu’il ne fallait pas transgresser les règles et qu’elles ont moins de liberté que les hommes. J’ai évidemment encore peur, comme tout le monde, mais le féminisme m’a permis de faire diminuer cette crainte et cela m’a permis d’être plus libre. Je me découvre moi-même.

Est-ce qu’une convention légale est un endroit sûr ?

Je ne dis pas du tout que c’est un milieu dangereux. C’est simplement que, comme n’importe quel milieu patriarcal, en tant que fille, on nous a appris que nous étions potentiellement en danger face aux hommes. Dans n’importe quel contexte, je me sens moins à l’aise en présence d’hommes.

Pour ce qui est de la sécurité d’une convention légale d’un point de vue plus large, si les choses sont claires dès le départ, qu’il y a un collectif qui est stable et qu’il y a des règles, il n’y a vraiment aucun souci. Je n’ai jamais eu aucun problème en fréquentant des squats en tant que fille. Au contraire, je me sentais exponentiellement mieux à une soirée dans un squat plutôt que dans une soirée « débile » en ville pour laquelle l’entrée coûte 20 euros, et où les mecs te regardent comme si tu étais un bout de viande. Je déteste ça. Je me sens bien plus en insécurité dans ce genre d’endroit que dans des occupations où les gens sont plus précaires, mais plus accueillants.

« Un squat, c’est sale. Une fille, c’est censé être propre. » Que répondriez-vous à cela ?

C’est un cliché qui existe vraiment et qui a vraiment une incidence sur la plupart des femmes. C’est pour cela que l’on a souvent l’impression que les mecs sont des durs à cuire, alors que les filles, elles, auraient peur d’une souris ou devraient mettre des talons. Je critique le système qui fait qu’elles agissent comme ça. Et puis, je trouve la société bien trop aseptisée : tout doit tout le temps être propre, tout le monde doit être toujours tout sourire, tout doit être parfait. C’est extrêmement hypocrite, parce qu’il n’y a rien de plus sale que la société actuelle, rien qu’en prenant l’exemple des déchets environnementaux. Je trouve plus « propre » de vivre dans un endroit où les crottes de pigeon jonchent le sol (bien que lorsque je loge dans des squats, ce n’est pas du tout insalubre ; à l’hôtel Flambeau par exemple, c’est très propre) que de vivre dans une grande maison qui dépense énormément d’énergie fossile et qui a des conséquences environnementales énormes.

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