Le squat Flambeau : résister sans flancher

Avenue Lambeau à Bruxelles… On y trouve un ancien hôtel qui, depuis novembre 2018, est squatté par treize jeunes. Plus qu’un toit au-dessus de leurs têtes, ce squat est aussi un lieu de rencontres, de révolte et de solidarité.

par

Photos : Salomé Lauwerijs

Avenue Lambeau à Bruxelles… On y trouve un ancien hôtel qui, depuis novembre 2018, est squatté par treize jeunes. Plus qu’un toit au-dessus de leurs têtes, ce squat est aussi un lieu de rencontres, de révolte et de solidarité.

Photos : Salomé Lauwerijs

La commune de Woluwe-Saint-Lambert est bien connue pour ses avenues résidentielles et ses maisons de maître. Les arbres qui bordent les rues confèrent à l’entité bruxelloise un caractère presque champêtre. Il y fait calme… Seul le moteur d’une voiture vient rompre cette quiétude.

L’avenue Lambeau pourrait être considérée comme l’exemple parfait de ce quartier de la capitale. On y trouve même un hôtel, au numéro 150. Mais, lorsqu’on s’attarde un peu devant la façade, on ne peut s’empêcher d’être interloqué. Des petits drapeaux multicolores frémissent au gré des rafales du mois de novembre. Une lettre F a été taguée sur l’enseigne de l’hôtel, le transformant en hôtel Flambeau. Une grande bannière, accrochée sur la façade, remet en question la campagne à laquelle Woluwe-Saint-Lambert a adhéré « Woluwe-Saint-Lambert, commune hospitalière ? ».

J’ai moi-même grandi à Woluwe. Cet hôtel, je le connais bien. Il était tenu par un ami de mon parrain et était le pied-à-terre de prédilection de ma grand-mère marseillaise lorsqu’elle venait me rendre visite. Je me souviens de son ascenseur étroit, de ses chambres un peu cafardeuses aux murs sombres et de sa salle de petit-déjeuner. Ma grand-mère m’en ramenait toujours de petites boites de céréales. Surtout des « miel pops ».

L’hôtel Lambeau a fermé il y a deux ans. Vide, abandonné et sans projet de rénovation ou de réhabilitation, il se sentait bien seul. Mais le destin lui avait gardé une jolie surprise. Et cette surprise a un nom, enfin, même plutôt deux : les collectifs « Les Loulous » et « La Barque ».

Les Loulous occupaient un bâtiment dans la rue perpendiculaire et la Barque un autre à Auderghem. Mais ils allaient bientôt devoir se trouver une nouvelle maison. Cela faisait quelque temps que le collectif Les Loulous avait en ligne de mire l’hôtel Lambeau. Après s’être assuré que celui-ci était bien abandonné à son propre sort, Les Loulous décidèrent de s’y faufiler… par la porte d’entrée laissée ouverte.

LE SQUAT DES BISOUNOURS

La deuxième vie du Lambeau, c’est d’abord une histoire de rencontres. Mais aussi de solidarité, de remise en question sociétale, de révolte.

Les squats sont parfois vus comme des repères de drogués, sales et insalubres, mais le Flambeau jette tous ces préjugés à la poubelle.

Lorsque je passe la porte coulissante pour la première fois en quatre ans, ni saleté, ni drogués, ne m’attendent mais plutôt une agréable odeur de cake. On m’accueille avec des sourires, on me propose une tasse de café et une tranche de banana bread tout juste sorti du four. « On vient d’aller chercher toute une cargaison de bananes qui allait finir à la poubelle… Il fallait bien qu’on en fasse quelque chose »,  me dit l’un des habitants.

La salle à manger n’a plus rien à voir avec le souvenir que j’en avais. Adieu les tons gris et les petites tables bien proprettes. Maintenant les murs sont décorés d’affiches colorées, toutes un peu militantes. Il y a une grande table au centre de la pièce où sont installés des jeunes et des moins jeunes qui mangent, discutent, travaillent sur leurs ordinateurs.

Les treize individus à la base du projet ont entre 25 et 33 ans. Ils sont salariés, bénévoles, allocataires sociaux ou au chômage…  Ils sont tous dans des mouvements militants à différents degrés.

On a vraiment de la chance. Le bâtiment est chauffé, il n’est pas insalubre et on prend soin les uns des autres.

Les mots d’ordre ici sont collectivité et solidarité. Les treize flamboyant.es se divisent les charges comme l’eau et l’électricité. Il y a aussi une cagnotte pour la nourriture, uniquement végane. La plupart des repas se font tous ensemble. Une fois installée à table avec ces jeunes, je ne peux m’empêcher de ressentir ce sentiment de cohésion qui flotte dans l’air. Un des habitants me parle de l’hôtel comme du squat des bisounours. « On a vraiment de la chance. Le bâtiment est chauffé, il n’est pas insalubre et on prend soin les uns des autres. »

S’OUVRIR AUX SANS-PAPIERS, UNE ÉVIDENCE

Lola vient me chercher pour montrer le reste de l’hôtel. Elle sera ma guide tout au long de ce voyage. « Il y a 23 chambres au Flambeau. 18 sont occupées par les membres du collectif, des amis en galère, des SDF mais aussi des sans-papiers. On essaie d’en garder quelques-unes disponibles pour avoir des pièces communes, des bureaux ou des ateliers. »

J’ai l’occasion de visiter certaines chambres. Toutes tellement différentes, chacune gardienne d’un univers bien particulier. Le quatrième étage est attribué aux sans-papiers. Ils sont en ce moment sept à y résider.

Je discute avec Estelle, une autre membre du collectif. « Ouvrir les portes de l’hôtel à des gens dans le besoin est apparu comme une évidence. »  Elle me confesse aussi que la communication est parfois difficile à cause de la barrière de la langue et que les histoires partagées peuvent être très pénibles à entendre. « On crée des liens, des affinités. Ce n’est pas toujours facile de les voir partir en Angleterre. Surtout lorsqu’on est persuadé que ce n’est pas une bonne idée », rajoute Lola.

L’OCCUPATION DES LIEUX VIDES, FORME DE REVOLTE

Lola et Estelle sont un peu arrivées dans le monde du squat par hasard. Universitaires, issues de la classe moyenne, elles y ont trouvé un moyen efficace pour lutter pour les causes qui leur tiennent à cœur. Car squatter pour les flamboyant.es, ce n’est pas seulement s’héberger, c’est également revendiquer et se révolter. Se révolter contre les prix des loyers qui sont de plus en plus aberrants. Se révolter contre le constat absurde qu’il y a entre 15 000 et 30 000 logements vides à Bruxelles alors qu’il y a plus de 3 500 sans-abris dans cette ville. Se révolter contre la situation des sans-papiers, contre les inégalités sociales…

Le squat, me détaille Lola, c’est également un lieu de rencontres où il n’y a plus de barrières entre des mondes sociaux distincts. Un lieu où sont organisées des activités culturelles, d’ouverture sur la ville. « D’ailleurs, samedi, on fête le premier anniversaire du Flambeau au BiestebroekBis, tu y seras ? »

UNE BOUGIE DE SOUFFLÉE

J’y suis allée. Dans ce grand hangar près de Saint-Guidon à Anderlecht.

Quand j’arrive, en ayant pour seul compagnon mon appareil photo autour du cou, un jeune homme me salue, m’explique que l’entrée est à prix libre, mais qu’il ne faut pas que j’oublie de garder un peu de monnaie si j’ai envie d’une bière.

A l’intérieur, tout est très industriel et en même temps très coloré. Je me balade dans cet énorme espace. A ma gauche, des gens prennent un verre, à ma droite, le collectif gantois Kokkerellen cuisine un repas vegan dans une énorme casserole. On pourrait facilement y faire cuire deux-trois fachos.

Je croise les habitants du Flambeau, mais également des familles, des plus jeunes, des plus vieux. On se parle, on partage, que l’on se connaisse ou pas. Un chien fait un petit stop avec moi à l’atelier de sérigraphie. Les groupes font encore deux-trois ajustements de leurs instruments avant le début des concerts.

L’atmosphère est gaie. On célèbre l’anniversaire Flambeau, mais aussi l’annulation de l’application de la loi anti-squat à l’encontre de ses habitants. Tout n’est pourtant pas encore gagné. La propriétaire veut toujours les expulser, mais elle devra repasser devant le juge de paix… La procédure sera encore longue.

Les flamboyant.es, quant à eux, n’ont pas l’intention de quitter les lieux. En tout cas pas tant qu’un projet de rénovation ou de réhabilitation n’aura été mis en place.

Je termine ma bière, la 100 pap, et quitte, par la porte du hangar, cet univers qui m’était jusqu’à présent quasiment inconnu. Squatter, finalement, c’est adopter un mode de vie alternatif. Un mode de vie où la collectivité et la solidarité s’opposent à l’individualisme qui caractérise nos sociétés. Je retournerai volontiers à une autre soirée comme celle-ci, montrer mon soutien aux jeunes qui ont décidé de lutter pour des causes qui leur importent.

Entrée de l'hôtel (F)lambeau
4 habitants dans la pièce commune
La cuisine de l'hotel
Porte du 3eme étage avec Lola derrière
Les couloirs du 2ème étage de l'hotel
Une des habitantes du flambeau, dans sa chambre
Un des habitants du flambeau, dans sa chambre
Mur tagué
Une femme touille dans une énorme casserole
Des clowns font des ballons pour les enfants
Chien assis sur son matelas

Nouveau sur Mammouth

Profs, au cœur du quartier
Daniel Bernard, des tonnes de sciure
De l'élevage au sanctuaire
Vivre pour l'autre