La semaine dernière Mammouth était à la conférence annuelle du GIMUN (Geneva International Model United Nations) pour couvrir des débats entre apprentis diplomates. Bilan de cette immersion dans le jeune entre-soi ONUsien.
Photos : Ugo Santkin et David Sohmer
La première chose qui marque quand on participe pour la première fois à un événement du GIMUN, c’est la jeunesse des organisateurs. Moyenne d’âge : 22 ans. Le GIMUN est une organisation non-gouvernementale qui dispose du statut consultatif spécial auprès du Conseil économique et social des Nations Unies. Elle est entièrement gérée par des étudiants pour des étudiants. Le but ? Promouvoir les idéaux et principes des Nations Unies en donnant aux étudiants la chance de participer à des activités éducatives. Lors des événements GIMUNiens, les jeunes discutent des affaires internationales actuelles, et du rôle des Nations Unies et de ses valeurs, que sont les droits humains, la paix, la sécurité internationale, l’aide humanitaire, le développement durable et le droit international.
Cette année, près de 200 étudiants issus d’une trentaine de pays ont participé à la Conférence du GIMUN, principal rassemblement de l’organisation. Lors de ce congrès, les participants se transforment en diplomates et se répartissent en commission où ils simulent des débats sur les grands enjeux mondiaux actuels. Si certains comités sont très sérieux, comme celui du Programme des Nations unies pour l’environnement (UNEP) qui se penche sur la transition vers les énergies renouvelables dans les secteurs publics et privés et l’élaboration de stratégies pour la protection des personnes déplacées pour des raisons économiques, d’autres sont historiques voire fictifs. C’est le cas du Congrès Panafricain de 1945 qui planche sur les aspects politiques, économiques et sociaux de l’indépendance de l’Afrique ou encore la commission Justice qui aborde le statut juridique des colonies extra-planétaires en vertu du Traité sur l’espace extra-atmosphérique, qui ont parfois peiné à motiver leurs propres délégués.
Pour jouer, il faut payer
Dès le début, la mise en scène est particulièrement soignée lors de cette 21e édition. N’oublions pas que pour participer à cette simulation, les étudiants ont mis la main au porte-feuille. Pour une semaine au Palais des Nations à jouer aux diplomates, comptez 110 euros de frais d’inscription. Mais à cela, s’ajoutent le voyage, le transport sur place et le logement. Bref, une semaine qui tourne aux alentours des 700 euros, Suisse oblige.
À ce tarif-là, vous pouvez imaginer que la mixité sociale n’est pas des plus diversifiées. Si notre constat ne se base sur aucune étude sociologique, on a pu observer des jeunes, certes venus des quatre coins du monde, mais tous issus d’une classe sociale relativement aisée, voire privilégiée. Malgré leurs origines sociales, les participants restent des étudiants avec leurs finances d’étudiants. Certaines universités ou hautes écoles prennent donc en charge une partie des frais (comme la nôtre). D’autres délégations n’ont pas cette chance, comme les étudiants de l’ULB qui s’organisent, créent des événements pour lever des fonds et trouver des sponsors.
Un jeu pris très au sérieux
Malgré le caractère simulatoire de cette conférence, les participants prennent les choses très au sérieux. Pour les présidents de comité, les GIMUNiens les plus expérimentés qui assurent la bonne tenue des débats, on ne rigole pas avec le protocole. Au-delà de la tenue de ville exigée au Palais des Nations, le temps de parole est compté lors des commissions. Lorsque c’est à votre tour, n’omettez pas de commencer votre allocution par « honorables délégués, chère présidence…« , de la terminer par « je rends mon temps de parole à la présidence » ou de vous lever quand Mihail, 21 ans, secrétaire général entre dans la salle, sous peine d’être sanctionné par les chairs et de vous retrouver dans le fond du classement des meilleurs délégués en fin de semaine. Ce cérémonial agace plus d’un délégué.
Lors des feedbacks à huit-clos des délégués envers leurs présidents de comité, nombreux sont ceux qui se sont plaints du sérieux et de la sévérité des présidents. Pour un diplomate russe, « certains présidents agissent comme des instituteurs qui voudraient soumettre leurs élèves« . Aliaa Latch, co-présidente du comité en charge du climat, encaisse la critique, mais rappelle qu’il est de son rôle d’agir de la sorte, « sinon les débats partiraient dans tous les sens« . Son homologue de la commission des Questions Sociales, Humanitaires et Culturelles embraye. Pour Moustapha Helmi, « le rôle d’un bon président consiste à être neutre, mais aussi d’aider les délégués qui débutent, être à leur écoute pour qu’ils participent de manière pro-active aux débats et que ceux-ci s’en trouvent enrichis ».
La Belgique aux abonnés absents
Alors qu’une semaine plus tôt la Belgique présidait une session spéciale du Conseil de sécurité de l’ONU à New-York, notre pays n’était pas représenté au GIMUN, et ce malgré la dizaine d’étudiants belges qui participaient aux débats. En cause ? Les règles du jeu de la conférence. « Si les participants représentaient leur pays, il y aurait trop d’attachement, de fierté et les choses pourraient vite tourner au vinaigre. Beaucoup ne sont pas encore prêts à faire de la vraie diplomatie« , explique Nathalie Joray, co-secrétaire générale du GIMUN.
Mais alors, comment sont attribuées les délégations ? Les futurs délégués doivent postuler, parfois plusieurs mois avant la conférence pour les pays les plus puissants comme les États-Unis ou la Russie. Pour la répartition au sein des commissions, même procédé. Ensuite, les présidents de comités distribuent les rôles en fonction des dossiers et de l’expérience. Autant dire que quand vous obtenez les îles Kiribati pour débattre des conflits et litiges frontaliers dans l’Arctique, vous vous sentez peu concernés.
Dans certains comités, les délégués peinent à jouer le jeu et à s’investir tant les débats sont fictifs et éloignés des réalités actuelles. Dans d’autres, c’est tout le contraire. C’est le cas du Programme des Nations Unies pour l’Environnement et de la commission des Questions Sociales, Humanitaires et Culturelles, qui au bout d’une semaine de débats et d’amendements enverront leurs propositions de résolution au Haut-Commissariat des Nations Unies pour les réfugiés.
Une occasion de « changer les choses »
Avant de participer à un comité, mieux vaut préparer ses dossiers et connaître les rouages ONUsiens. Entre déclarations d’introduction, suspensions modérées ou non-modérées, consultations plénières, tour de table et autres motions, les étapes sont multiples avant de voter une quelconque proposition de résolution. Beaucoup de délégués étudient le droit, les sciences politiques ou la politique internationale et sont relativement familiers à ce jargon, mais d’autres s’en éloignent complètement. C’est le cas de Louis-Philippe Ghanadian, qui participe pour la première fois au GIMUN.
Pour ce Français qui étudie la physique à Genève, le GIMUN représente une bonne occasion d’argumenter, d’apprendre le fonctionnement de certaines institutions, de rencontrer des gens, de venir au Palais des Nations, s’y faire des amis du monde entier, parler plusieurs langues, faire du networking et de rajouter une ligne sur son CV. En effet, l’ONU, c’est prestigieux, les grands de ce monde s’y retrouvent pour parfois changer le cours des choses. Ça au GIMUN, on ne manque pas de le rappeler. Lors d’une conférence d’une trentaine de minutes devant la commission UNEP, Andrew Harper, récemment nommé conseiller spécial du Haut-Commissariat pour les réfugiés (HCR) pour l’action climatique, a martelé le fait que c’était aux futurs dirigeants de ce monde qu’il avait en face de lui, à qui il incombait de changer les choses. Aliaa Latch, co-présidente de l’UNEP, l’a bien compris. Pour cette franco-syrienne qui a connu les pires années du conflit syrien, faire sa place dans les institutions de l’ONU est le meilleur moyen de changer les choses, spécialement dans sa région d’origine.
Traducteurs, interprètes et pseudo-journalistes
C’est pour rendre cette simulation d’un sommet de l’ONU la plus réelle possible que six apprentis journalistes de Mammouth ont été invités à prendre part au GIMUN édition 2020. Au programme de leurs journées: suivi des débats, interviews, rédaction de portraits, prises de photos et écriture d’articles sur leur commission attitrée. À leurs côtés, des étudiants anglophones peu (voire pas) formés au journalisme ni même à la communication écrivent la partie en anglais du GIMUN Chronicles. Le résultat ? Une revue quotidienne sur les compte-rendus des débats de la veille, pour un résultat qui ressemble davantage à une brochure interne d’entreprise qu’à du journalisme de qualité. Le tout maladroitement mis en page. Ajoutez à cela un budget alloué à l’équipe presse amputé de 1500 euros, vous comprendrez que le succès médiatique n’était pas au rendez-vous.
Mais les vraies stars de cet événement, ceux qui ont amené le plus de professionnalisme à cette conférence, ce sont sans aucun doute les traducteurs et les interprètes. Venus de Belgique, du Congo, de la Côte d’Ivoire, d’Angleterre ou de l’Allemagne, une dizaine d’étudiants en traduction et une quinzaine en interprétariat ont permis une écoute bilingue de la plupart des débats, en anglais et en français, les langues de travail officielles de l’ONU. À l’oeuvre en simultané dans leur cabine ou traduisant les textes juridiques dans les bureaux jusqu’à pas d’heure, ces travailleurs de l’ombre ont étalé leurs connaissances linguistiques en demeurant d’une disponibilité et d’une sympathie remarquables (pour autant que vous ne les confondiez pas).
Gala, cérémonie et photo « de famille«
Vers 18 heures, toutes les séances levées, les diplomates rentrent se rafraîchir, se changer, non pas pour un autre costume ou un autre tailleur, mais pour une tenue « smart but casual » adéquate pour un restaurant ou un bar. Si pour beaucoup le jeu s’arrête le temps d’une soirée, pour d’autres ces rencontres amicales constituent une manière non-négligeable d’exercer leur diplomatie ou de s’adresser à la presse. Après la soirée « brise-glace », la fondue night, le karaoké et la tournée des bars, le gala représente l’événement phare de la semaine. Pour cette soirée unique, le comité organisateur a mis les petits plats dans les grands. On comprend enfin où sont passés les 1500 euros normalement prévus pour la presse. Salle chic en bord de Rhône, DJ, photographes, bulles et amuse-bouches comblent diplomates, traducteurs, interprètes et journalistes, tous vêtus de leur plus bel accoutrement.
Le lendemain, dernier jour, pas question de décuver dans son lit. Après une matinée consacrée aux votes sur les propositions de résolution, place à la cérémonie de clôture dans la prestigieuse Salle des Assemblées. Lors de cet exercice d’autosatisfaction de plus de deux heures, présidents, secrétaires généraux, chairs et autres organisateurs se sont succédé pour féliciter les meilleurs diplomates et exprimer leur attachement au multiculturalisme, à l’amitié, à la paix ainsi qu’à leur croyance en un futur et un monde meilleur. Cette semaine de diplomatie s’est terminée par la traditionnelle photo « de famille » des quelque 200 participants au pied des 193 drapeaux des pays qui composent les Nations Unies. Ce que les journalistes de Mammouth en ont retiré ? De chouettes rencontres, beaucoup de photos, la pratique de langues étrangères, la découverte de Genève, de l’ONU, de ses différentes institutions, de son jargon, de ses pratiques et peut-être même une ligne sur leur CV. Une expérience intéressante pour de futurs journalistes qui se destinent peut-être à la diplomatie, la politique internationale, le jeu des grandes puissances dans lequel il s’agirait de ne pas devenir qu’un simple pion.