Où sont les mannequins plus size ?

Si le body positivisme au niveau du plus size commence à vraiment se faire entendre chez les femmes, l’évolution est plus timide du côté des hommes. Sur l’entièreté du marché, hormis quelques exceptions, les mannequins masculins plus size sont assez rares… et peu représentés.

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Images : @davidvenkatapen (Instagram)

Si le body positivisme au niveau du plus size commence à vraiment se faire entendre chez les femmes, l’évolution est plus timide du côté des hommes. Sur l’entièreté du marché, hormis quelques exceptions, les mannequins masculins plus size sont assez rares… et peu représentés.

Images : @davidvenkatapen (Instagram)

Alors que nous observons un long combat (inachevé !) du côté des femmes pour la représentation de toutes les morphologies, nous, étudiantes de troisième année à l’IHECS, nous sommes demandé pourquoi l’évolution des représentations était moins discutée chez les hommes. Trois mois durant, nous nous sommes penchées sur cette question et avons réalisé le projet transmédia MASKULIN, dont voici un extrait, consacré à la question des mannequins ‘plus size’.

A en croire les premiers intéressés, à savoir les mannequins, la mode s’ouvre doucement aux physiques particuliers, mais elle reste très largement grossophobe. « Il y a du progrès au niveau de la diversité, explique Mickael, 29 ans, mannequin français, certaines particularités physiques sont mises en avant… mais il y a toujours un décalage quant aux mannequins plus size ». Selon Romain, étudiant, des hommes enveloppés dans les magazines de mode, ce n’est pas pour tout de suite : « J’en vois beaucoup plus chez les femmes je dirais… Là, avec l’été qui approche, on va voir des pubs pour maillots de bain. Mettre un mannequin plus size dans une campagne pareille, ça ne se fait pas encore chez les mecs ». Megan Heinl, gérante de communication dans la mode, confirme : « En 18 ans de carrière, je n’ai jamais vu un mannequin plus size masculin. Même quand on est dit “mannequin standard”, on ne peut pas être trop musclé”.

La mode, pas pour lui ?

Nous avons rencontré plusieurs jeunes, issus de différentes écoles bruxelloises, pour recueillir leurs impressions sur cette question. Tous admettent que les mannequins plus size masculins sont peu visibles. Diego, 19 ans, estime que cet écart serait dû au fait que les hommes s’identifient moins à des mannequins qu’à « des sportifs ou des acteurs, ou tout ce qui est dans le domaine culturel ». Cependant, les femmes s’identifient également à ce genre de personnalité, et cela n’a pas empêché l’ascension d’un body positivisme féminin… Alors, qu’est-ce qui bloque ? Thomas pense pour sa part que « les hommes en surpoids ou en obésité ont plus tendance à s’accommoder plutôt qu’à chercher à changer le monde de la mode ». Si les hommes plus size ont envie de se voir mieux représentés, ils ne se manifestent pas beaucoup. Il y aurait donc moins de débats sur la représentation du corps de l’homme, que sur celui de la femme.

Pour Ralfagram, photographe et modèle, « Les femmes se sont battues pour ça. Chez les hommes, il y a moins de problème à se dire “oh ben moi si je porte un XL, ce n’est pas grave”. Ce désintérêt pourrait donc paradoxalement expliquer la pression socio-culturelle moins forte sur le corps masculin.                                                                                           

“Habiter un corps masculin, c’est un peu comme avoir un compte bancaire ; tant qu’il est sain, on n’y pense pas beaucoup. Comparé au corps féminin, c’est une proposition à faible entretien : une douche de temps en temps, couper les ongles tous les dix jours, une coupe de cheveux une fois par mois”

John Updike, essayiste anglais, 1933

Le temps ne semble pas avoir altéré cette vision utilitariste du corps masculin : l’homme, sous peine d’être moqué pour un comportement féminin, se doit de “déposséder”, de “se désapproprier” son corps, qui n’a de valeur qu’au rang d’outil, de machine. Preuve en est de cet article paru dans le magazine ELLE, qui met l’accent sur les demandes que la société et les marques exercent sur les femmes. Le fait de contrôler son corps serait un diktat ancré vis-à-vis des femmes, tandis qu’on demanderait aux hommes de rester simples, naturels, virils, en leur ôtant par la même occasion tout jugement sur leur physique et donc tout complexe.

Le plus size, un marché de niche

Une autre explication à l’absence de mannequin plus size sur les affiches, serait la loi de l’offre et la demande. Pour Ralfagram, photographe et modèle, « les modèles ronds, cela reste une niche. […] C’est encore compliqué, ça ne reste qu’une seule partie du marché. Actuellement, ça ne rapporte pas assez pour pouvoir mettre ça en avant ». Pour lui, tout tourne autour de la loi de l’offre et la demande : « Si demain, les directeurs marketing remarquaient que les clients voulaient voir des personnes beaucoup plus rondes ou des profils beaucoup plus atypiques en vente, les bookeurs, eux, trouveront des modèles qui correspondent à cette demande-là« .   

Admettons. Mais cela n’enlève pas le fait que chacun ait besoin de vêtements à sa taille ! Or, le manque d’hommes plus size dans la mode va de paire avec un manque d’offre textile pour ces personnes… En effet selon le Center of Disease Control (CDC), l’homme américain moyen a une taille de 40 pouces, ce qui équivaut souvent à une taille 2XL. Pourtant, une majorité de marques arrêtent leur offre à une taille 38 (ou XL), n’atteignant même pas la taille moyenne avant de plafonner. Il y a donc un refus de représenter positivement une majorité, et ainsi, de la normaliser….  Donc lorsqu’on entend l’argument d’une « absence de demande », de quelle demande parle-t-on exactement ? De celle des personnes concernées, qui aimeraient sans doute, et avec légitimité, se sentir reconnues, et pouvoir s’habiller avec des vêtements à leur taille ? Ou de celle des marques ? 

* * *

Si l’intérêt des hommes pour la mode était vraiment plus faible que celui des femmes, il est du reste un outil majeur pour changer les mentalités de la société autour des hommes plus size, et les aider à s’accepter. Comment expliquer sinon la popularité de certains instagrameurs, aux dizaines de milliers d’abonnés, comme Zach Miko, le premier mannequin grande taille à signer dans une agence de renom, et fervent militant pour la représentation des hommes plus size ? Ou Ryan Dziadul, s’habillant en XXL et suivi pour ses bonnes adresses de shopping grande taille homme ?

Le 15 septembre 2019, prés du centre Pompidou à Paris, la mannequin grande taille Georgia Stein organise un happening pour le body positivisme : elle réunit 85 mannequins toutes tailles pour un défilé sauvage en lingerie. Sur ces 85 mannequins, 7 sont des hommes et seuls 2 sont des hommes plus size. Nous avons rencontré l’un d’eux, Fabrice Matteoli.

Sur un pari, je suis rentré dans l’agence Wanted, et je suis officiellement devenu mannequin. Depuis, mon corps a été un moyen de m’exprimer.

Fabrice, mannequin, @Fabrice78125
Crédit : Gregory Augendre-Cambon

Lui dit ne jamais s’être identifié aux « mannequins qu’on voit dans les magazines. Sur un pari, je suis rentré dans l’agence Wanted, et je suis officiellement devenu mannequin. Depuis, mon corps a été un moyen de m’exprimer. Avec les photos, je peux aider certaines personnes à s’émanciper face aux diktats de la mode standard. Je pense que faire changer les regards par rapport à la mode est un pari réalisable sur le futur« .

Fabrice entend faire passer un message : “Aimons-nous tels que nous sommes. Les défauts que l’on peut se donner devant le miroir sont souvent considérés comme des qualités dans les yeux des autres”.

“Messieurs, aimez-vous ! Montrez-vous ! N’ayez plus honte !”

David, mannequin, @davidvenkatapen

Nous avons également rencontré David Venkatapen, mannequin français grande taille qui a fait plusieurs shootings avec Fabrice. Il défend lui aussi un point de vue body positiviste assumé, clamant haut et fort : “Mon message est simple et s’adresse à TOUS les hommes, les grands, les gros, les petits, les fins, les tatoués, les féminins, les trop poilus ou pas du tout, avec ou sans cheveux, que vous soyez valides ou pas, bref tous ceux qui se sentent « différents » : Messieurs, aimez-vous ! Montrez-vous ! N’ayez plus honte ! Soyez vous-même !”

Autoportrait, Modèle : @davidvenkatapen

Selon lui, l’intégration sociale des personnes grandes tailles, hommes comme femmes, passait par deux vecteurs : la visibilité et la représentation. “ D’abord, il y a la visibilité : c’est le fait que plus les gens s’habitueront à voir des personnes grosses, plus ils considéreront comme « normal » de les voir dans des univers autres que leur quotidien, comme la mode, la musique, la télévision, le cinéma. Par exemple il pourrait ne plus y avoir d’agences spécialisées, mais des agences qui puissent proposer des mannequins d’âges et de mensurations différentes » explique le mannequin plus size.

« Ensuite, poursuit-il, il y a la représentation : c’est faire en sorte que les personnes grosses ne soient pas montrées que comme des clichés. Si on voyait une fille grosse finir avec le beau garçon sans devoir mincir, ou le héros être gros sans que ce soit une comédie, ça pourrait avoir beaucoup d’impact”.

David Venkatapen est persuadé que le public voudrait voir plus de mannequins ronds. « …mais comment espérer voir un tel changement quand on n’a toujours vu que des mecs fins ? Ce n’est pas à eux de crier assez fort pour se faire entendre auprès des marques, c’est à elles de regarder le monde, les gens, et de comprendre ce dont ils ont vraiment besoin ».

Crédit : @nathanselighini, Modèle : @davidvenkatapen

Austin Sparkman, qui a été le seul mannequin plus size à avoir défilé à la New York Fashion Week Men’s cette année, fait également partie de ces nouvelles voix masculines militant pour la pleine acceptation sociale des hommes plus size. Il a déclaré : « Les hommes (plus size) ne le diront pas en général, mais je sais qu’ils veulent se voir dans les médias, les publicités et la mode aussi. Et ils le méritent. Et c’est bien de vouloir ce qu’on mérite ».

En parlant de leur besoin d’être représentés, ce que revendique Austin Sparkman, comme tant d’autres, c’est la nécessité de cesser de nier, ou d’ignorer, l’existence des complexes physiques masculins, et les conséquences émotionnelles qui les accompagnent. Dès l’enfance, s’il est en surpoids, un garçon ne va-t-il pas être moqué autant qu’une fille ? Adolescent, peut-on affirmer qu’il ne subira aucun rejet s’il est frêle et maigre ? Et plus tard, professionnellement, peut-on enfin affirmer qu’il ne subira aucune discrimination du fait de son surpoids ?

Les hommes ont les mêmes complexes que les femmes par rapport à leur apparence mais ils grandissent en pensant qu’ils ne peuvent pas en parler

Philippe Mak, journaliste anglais

Si dans un précédent article nous évoquions déjà cette omerta sur la fragilité du corps masculin, elle concerne chez les hommes en général, tous les complexes liés à l’image corporelle. C’est cette raison qui a vu naître des initiatives comme celle de Kelvin Davis, créateur du blog de mode Notoriously Dapper, encourageant les hommes à accepter leur corps. La blogueur estime que « La société considère qu’un homme est faible s’il parle de ses émotions et de son image corporelle. Et pourtant, il faut être courageux pour admettre ses doutes et commencer à s’aimer

Un article sur le body positivisme témoigne de ce tabou « Les hommes ont énormément de mal à assumer leurs complexes. Ils disent qu’ils s’en foutent, qu’ils ont d’autres choses à faire que de s’inquiéter de leurs corps, mais on sait bien que c’est faux ». Mais le complexe n’est pas compatible avec l’injonction sociale d’un homme fort, physiquement et mentalement. Il ne reste donc qu’à apprendre le silence.

Une forte corpulence masculine sera parfois vécue comme un facteur d’asexualisation ou de féminisation de l’invididu.

Par ailleurs, la question de la corpulence chez les hommes semble poser un double tabou, du moins dans leur représentation médiatique : celui de l’acceptation, du regard des autres par rapport à un idéal mince ; mais également celui de la sexualisation – que MASKULIN a développé dans cet article.

Une forte corpulence masculine sera parfois vécue comme un facteur d’asexualisation ou de féminisation de l’invididu, comme l’explique David Venkatapen : “Si une femme grosse peut-être vue par certains comme hypersexualisée, grâce à ses courbes, un homme gros, qui a des courbes aussi (hanches, fesses, poitrine), est souvent asexualisé ou féminisé. Les « courbes » étant considérées comme féminines, il y a donc beaucoup de réticence à également les attribuer à des corps masculins, d’où une mise en avant moins grande des hommes corpulents. Il reste donc à montrer des hommes gros de façon désirable”.

Je suis gros, mais je vais bien.
Je suis gros, mais je suis joli.
Je suis gros, mais je suis fun

Fabrice, mannequin, @Fabrice78125
Crédit : Gregory Augendre-Cambon? Modèle : @Fabrice78125

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Pour en finir avec cette hypothèse de l’absence de demande de la part des hommes plus size, rappelons-nous de l’explosion de la popularité du dadbod, il y a quelques années aux USA, mettant à l’honneur les corpulences d’hommes d’âge murs avec du muscle et du gras. Si l’offre dépendait vraiment de la demande, il aurait dû y avoir d’un coup une représentation marquante de ces physiques masculins. Mais la polarisation se maintient encore et toujours, entre ce qui semble apprécié et accepté collectivement, et ce qui est montré… La nécessité, la demande semblent bien là, mais difficilement audibles.

Il semble en effet plus facile de déclarer que ce sont les personnes concernées qui ne sont pas intéressées, plutôt que de dire que ce sont les marques qui ne formulent pas de demandes. Sur ce point, Koen Tambuyser, responsable du booking hommes chez Dominique Models (la plus grande agence de mannequins du Benelux), estime que « C’est la loi de l’offre et de la demande. On a un département ‘plus’ pour les femmes, mais pas pour les hommes, simplement parce que les marques ne sont pas intéressées. Je pense qu’il y a un énorme marché mais, pour le moment, ça fonctionne mieux en Angleterre et aux USA »

Par ailleurs, selon Cosmopolitan Magazine, s’il y a besoin d’un modèle plus size pour un shooting, les marques embauchent simplement un acteur pour quelques photos, c’est tout. Pourtant les designers ne peuvent pas prétendre qu’il y a un manque de modèles plus size disponibles : IMG Models a créé sa division Brawny en 2016, et des agences comme Wilhelmina et Bridge Models ont suivi également. Il semble donc que ce n’est pas une demande inexistante — puisqu’elle est à la fois formulée et réalisable — mais bien le refus des marques d’associer leur image à celle de mannequins plus size.     

Cela s’illustre notamment dans le fait que même lorsque les magazines s’aventurent à parler de body positivisme masculin, les mannequins présentés ne sont pas vraiment plus size tels que la société l’entend. La catégorie « modèle standard » dispose de ses propres critères de sélection et ne correspond déjà pas aux tailles moyennes de notre réalité. Ainsi, lorsqu’on est trop musclé ou trop épais, et que l’on se retrouve hors de cette catégorie, arbitraire du reste, il est facile de comprendre comment l’étiquette « plus size » peut vite être attribuée. Mais quelle meilleure façon de nier le manque de représentativité que de poser le bon mot sur le mauvais exemple ?   

Nous sommes face à une mise en scène qui est symptomatique de ce tabou, qui bloque l’idée d’une nouvelle pensée et d’une nouvelle tolérance autour de la beauté du corps masculin.

Big is beautiful

Face à ces blocages, ce qui interpelle, c’est que tous les témoignages convergent au moins sur un point : il y a un immense marché, mais il est peu visible. On peut donc suppose que les stylistes qui s’attaqueraient à ce marché se distingueraient facilement et attireraient la presse….

En allant à leur rencontre, on découvre quelques stylistes marginaux qui osent ce que les autres se refusent, ou quelques magasins, qui misent sur ce manquement pour se démarquer. A la New York Fashion Week Men’s de 2020, sur les vingt-quatre marques présentes, un seul mannequin plus size défilait. Ce choix est celui d’Aaron Potts, le designer d’APOTTS. Il a déclaré : “Mon utilisation des modèles plus size est une célébration de leur beauté, sans se plier à une norme de la corpulence et certainement pas à cause d’une tendance. Je voulais montrer que les grands gars aiment la mode, ont fière allure et peuvent absolument la faire évoluer »

Nous pouvons également évoquer l’initiative de rares magasins, comme Gulliver, à Bruxelles, dédié exclusivement à la mode masculine grande tailles depuis 1985. Leur slogan ? « Big is beautiful ».

C’est avec ce genre d’initiative que l’on pourra combattre les stéréotypes et les images négatives associées aux courbes masculines. C’est de cette façon que les hommes pourront dépasser leurs complexes et affronter leur besoin d’être acceptés physiquement par la société. Si les femmes ont avancé sur ce plan, même à tous petits pas, les hommes le peuvent aussi.

Un projet à retrouver dans son intégralité sur Medium
Autrices : Viviane Crinon, Victoria Freché, Zoé Henrard, Justine Laurenty, Nassia Masson, Camille Opdebeeck, Jeanne Tilly, Pauline Todesco, Florence Woods

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