Depuis le début de la crise sanitaire, les fake news, conspirations et autres théories du complot se sont répandues aussi vite que le coronavirus qu’elles tentent d’expliquer.
Les complotistes et marginaux ne manquent pas d’imagination pour profiter de cette crise. Certaines vidéos qui remettent en cause l’origine du virus ont été partagées des millions de fois par les internautes. Les gens ont l’impression qu’on leur cache la vérité et mettent tout en œuvre pour trouver une raison à l’origine de la pandémie. « C’est un nettoyage massif de la planète » , « les agents secrets l’ont injecté », « la Chine ment depuis le début », « le coronavirus est créé par l’Homme comme le Sida pour dépeupler l’Afrique », « ils veulent juste nous faire payer le vaccin très cher pour s’en mettre encore plein les poches », « certains ont acheté des viagers et veulent que mamie prenne l’air au parc », « ce sont les Russes qui veulent que l’Europe remette en place ses frontières », « c’est pour déstabiliser le mouvement de Greta Thunberg et tous les écologistes de manière générale », « quand ils nous vaccineront, ils en profiteront pour nous pucer »… Bref, en quelques heures passées sur les réseaux sociaux, on lit tout et surtout n’importe quoi. Au delà des fake news déjà traitées par Mammouth, à l’image des rumeurs qui attribuent le développement du Covid à celui de la 5G, voici une récolte des théories du complot les plus répandues, diffusées ou discutées à propos du Covid-19.
Le virus, « cette arme biologique militaire »
Depuis le début de la pandémie, nombreuses sont les suspicions qui font du coronavirus une arme biologique parfaite ou expérimentale qui a mal tourné. C’est une des théories les plus populaires et elle a plusieurs versions. Cette rumeur a notamment été diffusée à la télévision nationale iranienne, pays particulièrement touché par le virus. Ali Akbar Raefipour, conférencier et fondateur de l’institut Masaf dont leur chaîne Youtube publiant des arguments mal étayés sur le sionisme et d’autres théories du complot, a affirmé que le président américain Donald Trump avait déclenché le coronavirus contre l’Iran et la Chine dans le but d’une « guerre hybride ».
Infowars, un site américain d’extrême droite, reconnu pour être à l’origine de plusieurs fake news et théories du complot, a, lui, prétendu que le virus avait été conçu pour détruire l’économie américaine et ravager les chances de réélection de Trump en novembre prochain. Cette rumeur a été relayée à plusieurs reprises sur des chaînes américaines, notamment par le sénateur républicain de l’Arkansas Tom Cotton lors d’un débat sur la chaîne nationale Fox News.
Zhao Lijian, un diplomate chinois et porte-parole du ministère des affaires étrangères chinois, a avancé sur sont compte Twitter que, lors des septièmes Jeux mondiaux militaires qui se sont déroulés à Wuhan (épicentre de l’épidémie du Covid-19) en octobre 2019, la délégation américaine était déjà touchée par le coronavirus et l’aurait amené sur le sol chinois.
Ces déclarations et d’autres publications de prétendus experts et virologues ont été partagées des millions de fois sur les réseaux sociaux, nourrissant les inquiétudes et suspicions des internautes. Parfois même des autorités publiques. A ce propos, le secrétaire général des Nations unies, Antonio Guterres, a dit craindre que les terroristes tirent des leçons de la crise liée au Covid-19 pour commettre des attaques bioterroristes, appelant à la prudence et à la solidarité.
Le Covid-19, « ce Judéovirus »
L’activiste des droits humains et ancien homme politique israélien Natan Sharansky a condamné « la récente propagande antisémite évidente en Turquie, en Iran, en Jordanie et ailleurs, accusant à tort les Juifs de propager le coronavirus » . « L’idée que les Juifs sont derrière le virus, que les Juifs veulent détruire les marchés, gagner de l’argent ou qu’Israël est derrière cela, il n’y a rien de nouveau là-dedans. Nous l’avons vu pendant la peste noire au Moyen Âge. Il y avait une large conviction que les Juifs étaient responsables. La différence entre hier et aujourd’hui est qu’aujourd’hui l’État d’Israël est fort, nous combattons l’antisémitisme et nous le vaincrons. »
Alors que le nombre de cas confirmés de coronavirus ne fait qu’augmenter, la Ligue Anti-Diffamation (ADL), implantée à New-York, a noté que les extrémistes continuent d’utiliser le virus pour faire avancer leur antisémitisme, tout en promouvant les théories du complot sur Internet. « La théorie du complot la plus populaire consiste à dire que les Juifs utilisent ce virus comme moyen de faire du profit », a déclaré Alex Friedfeld, chercheur à l’ADL. « Ils disent que les Juifs l’ont fabriqué et vont profiter de l’effondrement des marchés par le biais de délits d’initiés ».
Certains avaient prédit la pandémie
Nombreuses sont aussi les publications sur les réseaux sociaux qui clament que la pandémie de Covid-19 était annoncée depuis longtemps. Des prédictions de voyants ou des documents gouvernementaux sont fréquemment érigées en « preuves ». Or, si ces documents ont justement anticipé certaines caractéristiques de la crise, cela n’explique pas pour autant qu’ils l’ont prédite ou que leurs prophéties ont été vérifiées.
Plusieurs images du livre La fin des temps, publié en 2008 par la voyante américaine Sylvia Browne, se répandent à grande échelle. Voici l’extrait relayé en masse : « Vers 2020, une maladie ressemblant à une forme grave de pneumonie se répandra à travers le monde, s’attaquant aux poumons et aux bronches et résistant à tous les traitements connus. Encore plus stupéfiante que la maladie elle-même sera sa soudaine disparition et sa réapparition 10 ans plus tard, avant de disparaître pour de bon aussi rapidement qu’elle était apparue. » Sans contexte, ce passage peut sembler prophétique, surtout si l’on considère la nature subjective de termes comme « grave » et « stupéfiant ». Un rapide coup d’œil sur l’histoire de Sylvia Browne montre qu’il s’agit vraisemblablement d’un hasard plutôt que d’un présage. C’est que Sylvia Browne est tristement célèbre pour ses fausses prédictions.
Un autre exemple de prophétie liée au Covid-19 semble venir d’une source un peu plus officielle : la CIA, l’une des agences de renseignement les plus connues des États-Unis. La prédiction en question est issue du livre Le nouveau rapport de la CIA – Comment sera le monde demain ?, paru en 2008, dont un extrait déchaîne les passions sur le web : « L’apparition d’une nouvelle maladie respiratoire humaine virulente, extrêmement contagieuse, pour laquelle il n’existe pas de traitement adéquat, pourrait déclencher une pandémie mondiale. Si une telle maladie apparaît, d’ici à 2025, des tensions et des conflits internes ou transfrontaliers ne manqueront pas d’éclater. »
Si cette prédiction a de quoi laisser pantois, il faut savoir que ce livre n’avait pas pour objectif de lire l’avenir. Il s’agit en fait d’une estimation du futur contexte planétaire et des dangers à prévoir, basée sur des analyses de dizaines de spécialistes et de rapports de la CIA. Interrogé par le média français Public Sénat sur la justesse de ces prédictions, Alexandre Adler, qui a écrit la préface du livre en 2008, évoque des schémas préexistants. « C’était déjà arrivé. Cela ramène aux livres de Tom Clancy, qui lui aussi écrivait à partir de l’expertise de la CIA. Il racontait de manière effrayante une épidémie d’Ebola. Et effectivement, à l’époque, Ebola n’était pas du tout maîtrisée » , on ne connaissait pas encore ce virus. Il l’avait analysé grâce aux rapports de la CIA, c’est ce qui s’est passé avec le coronavirus et qui a donné l’impression de prédictions. Et comme l’a relevé sur Twitter Jean-Baptiste Jeangène Vilmer, le directeur de l’Institut de recherche stratégique de l’École militaire (IRSEM), le risque d’une pandémie a été anticipé, parfois très exactement, par les prospectivistes des quinze dernières années. Il cite en exemple au moins cinq rapports du gouvernement américain ou français qui anticipent des risques de pandémie depuis 2004.
Des dommages collatéraux
Toutes ces hypothèses apportent d’autres problèmes que la désinformation ou l’incertitude, le harcèlement en ligne. La rhétorique complotiste, revendicative, imperméable à la critique, semble avoir définitivement gangrené le débat public et donne lieu à des vagues d’intimidations. En février, le compte Twitter du blog financier Zero Hedge avait été banni pour harcèlement. Un des posts suggérait de rendre visite au scientifique de l’Institut de virologie de Wuhan « pour en savoir plus sur la cause de l’épidémie » . Il avait aussi publié ses informations personnelles.
En France, Karine Lacombe, une des scientifiques qui a alerté l’opinion publique vis-à-vis du manque de preuves de l’efficacité de l’hydroxychloroquine contre le Covid-19, a fait l’objet d’une campagne de harcèlement en ligne. Elle a fini par fermer son compte Twitter.
Aux Etats-Unis, le docteur Anthony Fauci, directeur de l’Institut national des allergies et maladies infectieuses, est un de ceux qui a sonné l’alarme et demandé des mesures de confinement d’urgence pour combattre le coronavirus, en dépit de l’attitude rassurante de Donald Trump. M. Fauci a fait l’objet de nombreuses accusations complotistes sur les réseaux sociaux, rapporte le New York Times. Il vit désormais sous protection.
Le succès des théories du complot n’est pas une coïncidence. Elles nourrissent des préoccupations. On ne peut pas empêcher les gens de s’interroger sur l’origine d’un virus inconnu, nouveau et qui n’épargne personne. Le site Conspiracy Watch a eu l’idée de recenser et de cartographier beaucoup de déclarations, commentaires et spéculations, farfelues ou abjectes, qui se sont manifestés depuis le début de l’épidémie.