Élu ce 19 novembre à la présidence de l’Argentine, Javier Milei se décrit comme anarcho-capitaliste, et propose de nombreuses mesures choc pour le pays. Mais qui est le nouveau président argentin?
Ilan Berkenwald via Flickr, (CC BY NC SA)
Le dimanche 19 novembre, l’excentrique candidat anarcho-capitaliste Javier Milei a remporté les élections présidentielles argentines avec 55,6% des voix. Il compte mettre en place un « plan tronçonneuse » qui effraie l’opinion internationale. Comment celui qu’on appelle le « Trump argentin » a-t-il pu accéder à la présidence d’un des plus grands pays d’Amérique du Sud ?
Parmi les mesures drastiques prévues par Milei, une coupe sévère des dépenses publiques, passant par la suppression de plusieurs ministères, parmi lesquels ceux de la santé, de l’éducation, ou des femmes et de l’égalité des genres. Autres points de son programme : la suppression de toute législation sur la protection de l’environnement, de la banque centrale, ainsi que du droit à l’IVG. Il compte également remplacer le peso argentin par le dollar. Comment l’Argentine en est-elle arrivée là, elle qui a vu naître un des plus importants mouvements sociaux représentant les travailleurs avec le péronisme?
Le péronisme est un terme issu du nom de Juan Peron, président de l’Argentine de 1946 à 1955 et de 1973 à 1974. C’est un mouvement politique représentant les travailleurs, mettant en avant la justice sociale et l’indépendance économique de l’Argentine.
L’ascension de Javier Milei
Javier Milei est né en 1970 dans un quartier de classe moyenne de Buenos Aires. Dans sa biographie, on apprend qu’il se faisait battre et humilier par ses parents, et que ses camarades de classe l’appelaient « El Loco », comprenez « Le Fou ». Il fait des études d’économie, puis enseigne ce sujet à l’université en Argentine et à l’étranger pendant 20 ans, avant de se reconvertir dans le privé.
Il apparaît ensuite énormément à la télé, on parle de 235 apparitions en 2018, notamment dans des émissions de débats. C’est à travers le petit écran qu’il se fait remarquer par un langage fleuri et une rhétorique agressive, n’hésitant pas à insulter ses opposants politiques. Ces derniers sont à l’époque en pleine controverse du fait d’abus réalisés pendant la crise covid, et Milei fut l’un des seuls à les dénoncer, comme le précise l’avocate argentine Milagros Caneda, qui a suivi les élections depuis l’étranger: « Il partageait également ce sentiment de ‘ras le bol’ envers l’élite, et c’était le seul à proposer la fin de cette caste ». Le peuple argentin a été de nombreuses fois déçu par ses dirigeants politiques, ce qui a entraîné « une montée du ressentiment envers la classe politique toute entière. C’est en ça que Javier Milei, qui semble être un citoyen ‘normal’, apparu sur la scène publique il y a trois ou quatre ans et non issu de cette classe politique, a pu se démarquer », déclare l’avocate. Ceci permettra à Milei de figurer parmi les cent personnes les plus influentes d’Argentine en 2019, selon un classement du journal argentin Noticias.
L’année suivante, il rejoint la coalition de droite conservatrice Avanza Livertad, qui compte parmi ses membres des néo-nazis et des apologistes du « Procesio de reorganizacion Nacional », l’ancienne dictature argentine. Aux élections législatives de 2021, son parti arrive troisième et Milei s’installe au Congrès. Durant son mandat de député, il envoie tous les mois son salaire à une personne tirée par loterie, disant vouloir « se débarrasser de l’argent sale du gouvernement ». À nouveau, il se met alors en opposition avec la classe politique et tente de se rapprocher du peuple. « Javier Milei a été le seul capable de prêter réellement attention à ce que les gens voulaient », affirme Milagros Caneda. « Les gens en ont eu marre du manque de sécurité, de l’inflation, de ne plus pouvoir se procurer même les premières nécessités: du lait, de l’eau au supermarché… ». En effet, le peuple argentin est en proie depuis plusieurs années à une crise du pouvoir d’achat extrêmement sévère, comme le témoigne l’avocate argentine: « Certains ménages avec des bas revenus doivent par exemple suivre le cours du dollar à la télé, pour savoir s’ils doivent en retirer, ou investir le peu d’argent à leur disposition dans des fonds qui ne sont pas reliés à cette monnaie ». Dans cette situation où quatre Argentins sur dix vivent sous le seuil de pauvreté, certains voient dans les mesures populistes du programme de Milei un moyen de renverser la situation, ce qui justifie en partie son succès.
« Il dit peut être des choses complètement folles, mais au moins lui il écoute les gens ».
-Milagros Caneda
En 2023, il se présente comme candidat aux élections présidentielles, et ses points dans les sondages montent en même temps que le taux d’inflation. De plus, pendant la campagne, de nouvelles affaires de corruption éclatent, mettant en cause la vice-présidente sortante Cristina Kirchner, pour attribution frauduleuse de marchés publics. « J’ai su que les gens allaient être encore plus remontés, et qu’ils allaient vouloir punir les partis traditionnels en votant pour Milei », explique Milagros Caneda. Elle ajoute qu’à ses yeux, « les gens ne sont pas d’accords avec les idées de Milei, mais qu’ils veulent changer de leadership, et laisser les politiciens traditionnels de côté ». Il termine deuxième au premier tour et reçoit le soutien de Mauricio Macri, président de 2015 à 2019. Il s’impose le dimanche 19 novembre avec 55,6 % des voix face à Sergio Massa.
« Une chose est sûre, on ne voulait pas que Sergio Massa, qui était ministre de l’économie, continue et devienne président »
-Milagros Caneda
C’est de cette manière que l’anarcho-capitaliste Javier Milei a accédé à la présidence de l’Argentine. Cependant, si son élection a scandalisé l’opinion internationale, ce n’est pas le cas de la population argentine. Milagros Caneda avance que « les électeurs ont préféré prendre un risque en votant pour quelqu’un d’imprévisible, et qui de toute façon n’a pas de majorité ni au Parlement ni au Sénat ». En effet si Milei est président, son parti est largement minoritaire dans les assemblées législatives, et elle estime que « Même si Javier Milei a beaucoup de phrases chocs, sur l’avortement, sur les disparus pendant la dictature, les électeurs pensent que c’est beaucoup de paroles en l’air pour accéder au pouvoir, et qu’il ne mettra pas tout en place une fois au pouvoir ».
« Il dit beaucoup de choses mais il n’a pas la structure, ni les connections juridiques et politiques derrière lui pour pouvoir mettre en place ses idées ».
-Milagros Caneda
D’après la juriste Milagros Caneda, les mesures proposées par Milei seront donc impossible à mettre en place. Une autre partie importante du programme de Milei est la restructuration de l’économie Argentine qui aura un impact considérable sur l’avenir du pays. Que ces mesures soient possibles à mettre en place ou non, le mandat du nouveau président argentin est certain de faire couler l’encre.