Des eurocrates résidents du quartier Nord ?

La Commission européenne envisage de déménager certains de ses bureaux dans le quartier Nord de Bruxelles. De nombreux commissaires ont manifesté leur désaccord face à cette décision, craignant que ce quartier soit trop dangereux. Cependant, au vu du déroulement des précédentes installations européennes à Bruxelles, il n’est peut-être pas non plus dans l'intérêt des habitants du quartier Nord de recevoir la Commission. 

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Photos : Hannah Sibomana

La Commission européenne envisage de déménager certains de ses bureaux dans le quartier Nord de Bruxelles. De nombreux commissaires ont manifesté leur désaccord face à cette décision, craignant que ce quartier soit trop dangereux. Cependant, au vu du déroulement des précédentes installations européennes à Bruxelles, il n’est peut-être pas non plus dans l’intérêt des habitants du quartier Nord de recevoir la Commission. 

Photos : Hannah Sibomana

L’annonce du possible transfert de bureaux de la Commission européenne dans le bâtiment North Light, situé à 350 mètres de la gare du Nord, a provoqué un déferlement de pétitions, de lettres et de protestations parmi les commissaires. La raison de ces accrocs ? Les fonctionnaires européens et leurs syndicats estiment que le quartier Nord, à cheval sur la commune de Schaerbeek et de Saint-Josse-ten-Noode, est trop dangereux et rempli de trafic de drogue.

Il est vrai que le quartier Nord, aux abords de la gare, c’est notamment la rue d’Aerschot, des toxicomanes et des migrants. Tout semble s’opposer ici à l’image du quartier Schuman, connu pour ses espaces verts, ses bars “branchés” et ses expatriés. Une certaine anxiété pourrait alors se développer pour les habitués des boulevards aux larges trottoirs déblayés, face à cette rue du Nord bordée de murs tagués, de femmes derrière des vitrines et de regards dilatés. On ne peut donc pas dire que leurs craintes soient infondées, bien qu’il soit tout à fait possible d’y passer sans gêne, comme ces jeunes enfants faisant leurs courses à “ALIMENTATION GENERALE”.

Mais la bonne nouvelle pour ces commissaires est que leur possible futur lieu de travail se trouve de l’autre côté de la gare du Nord, où ce sont plutôt les sacs d’ordinateurs et attachés-case qui défilent vers le boulevard Simon Bolivar, bordé de parcs et de hauts bâtiments de verres, qui rappellent presque le quartier européen. Après tout, bien que le quartier soit souvent médiatisé pour ses faits de violences, il reste le deuxième plus grand quartier d’affaires du pays. 

“Les membres de la Commission peuvent aussi être des acteurs de changement à Bruxelles. » 

Pascal Smet

Malgré les craintes des fonctionnaires européens concernés, la décision de déménagement vers le quartier Nord n’a, pour le moment, pas été revue. Le secrétaire d’Etat bruxellois aux relations européennes et internationales, Pascal Smet, a affirmé avoir pris en compte les inquiétudes des commissaires, mais équilibre le débat en présentant des plans de rénovation du quartier Nord : il tente de motiver ses collègues à l’idée de nouveaux “rooftops” qui remplaceront certains petits toits rouges couvrant actuellement le quartier. Il ajoute que leur déménagement participera à cette revitalisation et que les commissaires pourraient eux aussi être « acteurs de changement ».  

Ces rénovations pourraient éventuellement apaiser les eurocrates, mais inquiéter d’autres publics. En effet, le quartier souffre d’un manque de diversité et de qualité de logement. Cependant, l’installation d’immeubles et de restaurants haut de gamme ne semble pas être une solution pour les habitants, affichant les plus hauts taux de chômage et d’allocations sociales de la Région Bruxelles-Capitale.  

La “capitale de l’Europe”, à quel prix ? 

Cette inquiétude prend tout son sens lorsqu’on revient aux premières installations d’institutions européennes. Depuis les années 1990, date où Bruxelles devient “capitale de l’Europe”, les prix de l’immobilier ne font qu’augmenter, que ce soit dans les quartiers centraux ou les périphéries à l’est de la capitale, laissant de moins en moins de place aux logements bon marchés.

Cette élitisation de l’espace bruxellois ne s’arrête pas aux loyers. C’est l’ensemble des espaces de la vie publique et privée qui s’adapte aux attentes des nouveaux fonctionnaires européens. Menus en anglais dans les bars de la place du Luxembourg, écoles européennes étalées sur l’est de la Région, église anglicane à deux pas de l’avenue Louise… La présence eurocrate a su marquer son territoire. 

Ce phénomène s’observe particulièrement dans le quartier Solvay. Cloisonné entre l’avenue Louise et la Porte de Namur, il n’a pas toujours été synonyme de prestige et cosmopolitisme. Comme l’explique Charlotte Claiser dans son étude de ce territoire, avant les années 2000, ce lieu était plutôt connu pour ses boîtes de nuits, ses prostituées et ses façades vieillissantes. Pourtant, il est rapidement devenu the place to be pour les eurocrates : en 2015, les données IBSA ont montré que 40% des personnes domiciliées dans le quartier Solvay étaient des ressortissants, hors Belgique, de l’Union européenne. La même année, les chiffres de StatBel affirmaient que le revenu moyen par habitant du secteur “Eglise anglicane” du quartier dépassait la moyenne régionale de plus de 30%.  

Cette mutation a su étirer ses frontières jusqu’à Saint-Boniface ou encore Matongé. Ce dernier quartier est connu pour ses commerces et clients d’origine africaine qui se sont peu à peu recroquevillés dans la chaussée de Wavre pour laisser place à des commerces tels que le Café Caléo, où il faut compter plus de 10 € pour un toast. L’européanisation du quartier a été tellement réussie que le Guardian a décrit, en 2013, ses restaurants comme des lieux où les “eurocrates sont assis coudes à coudes avec des étudiants congolais”.  

Le quartier Nord prêt à accueillir la Commission ?  

L’analyse de Claiser du quartier Solvay et ses alentours pourrait-elle s’étendre à la situation actuelle du quartier Nord de Bruxelles ?

Un diagnostic du “territoire nord” fait par perspective.bruxelles permet de mettre des chiffres sur ces problématiques. Le rapport montre que cet espace est déjà accablé par un surpeuplement de ses logements, avec une densité d’habitants et une taille des ménages supérieures à la moyenne régionale. De plus, les revenus annuels déclarés par ménages n’atteignent pas les 17 000€, malgré l’apport des familles de classes moyennes supérieures, installées dans les quelques bâtiments neufs du bassin Béco. Ce faible profil socio-économique peut, entre autres, être expliqué par la forte proportion de primo-arrivants sur ce territoire. La diversité sociale est quant à elle très faible. Une grande part des loyers sont adaptés à ces situations précaires. Vacillant, en moyenne, entre 500 et 600€ par mois, ils sont parmi les moins chers de la Région. Ces prix imbattables entrainent cependant une importante contrepartie : le manque de qualité et de salubrité des logements, ayant souvent connu leurs dernières rénovations avant 1919.  

Ces différents facteurs illustrent bien le décalage entre les caractéristiques du quartier et les attentes des commissaires européens. Quel serait le point médian entre les ménages précarisés et les habitants à hauts revenus, financièrement et géographiquement divisés ? Une adaptation sera donc nécessaire, que ce soit de la part des eurocrates ou des actuels habitants. Cependant, au vu de la situation socio-économique de ceux-ci, à moins de profiter d’une ascension sociale miraculée, la phase d’adaptation sera plutôt une phase de migration, quelque peu forcée, vers les rares quartiers bon-marchés qui subsistent dans la capitale.  

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