Lorsque les joueurs rentrent aux vestiaires et que les lumières s’éteignent, les collaborateurs de l’ombre peuvent rentrer en jeu. Un club de football professionnel doit son succès à bien plus que la vingtaine de joueurs médiatisés chaque semaine.
Photos : Thibaut Martin
Ils ne valent pas des millions et pourtant, ils le mériteraient. Lorsqu’il n’y a plus personne en tribune ou sur le terrain, c’est au tour des personnes de l’ombre de se mettre en action. Ces acteurs qui, contrairement à leurs collègues, ne vivent pas dans la lumière médiatique. Pour la plupart, ils sont bénévoles. Une infime partie perçoit quelques centaines d’euros, une somme plutôt considérée comme symbolique de la part du club.
La crise du Covid-19 a assurément laissé une trace au Racing White Daring de Molenbeek. Le nombre de bénévoles a considérablement baissé depuis deux saisons. « 7… Ils étaient 70 avant », lance de bon matin la présidente Natasja Nerinckx. Pourtant, ces personnes sont indispensables au club. « Des légendes », comme les appelle la dirigeante, sous les volutes de cigarette, qu’un bénévole termine de fumer.
Aux bénévoles de jouer
Une fois les joueurs partis s’entraîner, Salvatore et Jean entrent en jeu. Ils sont tous les deux kitman. Ils se connaissent depuis 25 ans. Jean a été l’entraîneur du fils de Salvatore au RWDM. Supporters depuis qu’ils peuvent marcher, les deux retraités ne comptent pas leurs heures pour aider le club bruxellois. Faire les lessives, plier, ranger, dresser les équipements des joueurs pour chaque entrainement… Grâce à un entrainement quotidien, Salvatore connaît les numéros de chaque joueur. « Regarde, ce numéro, c’est celui du frère d’Eden Hazard (ndlr. Kylian) », fait-il remarquer en pointant du doigt le casier de celui qui porte le numéro 14. Salvatore est présent à chaque match du RWD Molenbeek, pour veiller à ce qu’aucun joueur n’oublie son équipement. « La semaine, les joueurs sont libres de venir habillés comme ils le veulent. Par contre, quand c’est jour de match, ils sont obligés de venir avec l’équipement du club sous peine d’amende. »
À chaque marque, son emblème. Jean, 91 ans et Irène, 87 ans, sont les concierges du matricule 5479. Ils font partie de l’histoire du club fondé par Jean-Baptiste Lecluse et Jean Gooris. Ils ont tout connu : les fusions, les faillites, les matchs de Coupe d’Europe (alors, Coupe UEFA). Mariée depuis 35 ans, Irène est passée par tous les postes dans un football qui ne ressemble plus à celui des décennies précédentes. Aujourd’hui, elle s’occupe principalement de la réception lors des matchs à domicile. Telle une fervente défenseuse, elle refuse qu’on empiète sur son territoire. « Je ne veux pas être aidée. J’aime bien travailler à ma façon », s’exclame celle qui est une fidèle supportrice depuis le titre de champion de Belgique en 1975. À 87 ans, beaucoup auraient déjà raccroché. À la question « Ne songez-vous pas à arrêter ? », s’en suit un long silence, les larmes aux yeux et une incapacité à répondre. C’est à ce moment-là qu’on comprend ce que représente le RWDM pour Irène et son mari.
La santé de Jean, ancien délégué du Royal Daring Club de Bruxelles, ne lui permet plus d’assurer totalement une fonction au sein du club, mais son passage reste encore ancré dans le cœur du Stade Edmond Machtens.
La polyvalence est importante sur un terrain, mais elle l’est toute autant dans les coulisses. Jan, 59 ans, est ‘‘l’homme à tout faire’’ du club rouge et noir. Il se charge du moindre problème dans les infrastructures du club. « Pour faire mon boulot au sein d’une cellule professionnelle comme le RWDM, nous devrions être six », constate celui qui dispose d’un graduat en hôtellerie.
Après avoir été militaire pendant dix ans, indépendant pendant une décennie, il a aussi travaillé pour l’ambassade des États-Unis. « J’ai reçu des cartes signées par les présidents Bush, Clinton et Obama. Mais la construction a toujours été ma passion », affirme l’ancien chef d’équipe, boite à outils solidement agrippée à la main. Jan exerce désormais sa passion depuis quinze ans dans le club qu’il suit depuis son plus jeune âge. Il a été rejoint depuis deux ans par Brahim. Ancien vendeur sur les marchés, le tunisien de 50 ans résout désormais tous les problèmes techniques du club géré par Thierry Dailly.
Dans l’ombre d’un club redevenu professionnel en 2018, Anita et Debora sont les ‘‘femmes à tout faire’’. Complémentaires, elles se prêtent main forte. ‘‘Mamy’’ comme la première est surnommée par les plus anciens joueurs, s’occupe du petit-déjeuner tout en veillant à respecter les régimes alimentaires établis par les deux nutritionnistes du club. Les jours de match, Anita, qui est arrivée au club en 2021, se mue en ‘‘Madame pipi’’. Fille d’un papa militaire, Anita a hérité d’un caractère autoritaire. « C’est important de se faire respecter, quel que soit notre poste », explique celle que les supporters des Blocs A et B saluent désormais à chaque match à domicile.
Le dîner étant livré par un traiteur, Debora prend le relais. Il faut débarrasser, nettoyer les tables et faire la vaisselle. Lorsque les joueurs sont off, la maman de quatre enfants nettoie les vestiaires et s’occupe de l’entretien des locaux. « Si l’on me dit de faire autre chose, je le fais. Je suis toujours là pour rendre service », dit-elle en récurant les douches de l’équipe première. Le football ne l’a jamais botté. Pourtant, ses deux garçons de 11 et 15 ans, jouent pour l’ancien Racing White. Au départ traiteur et bénévole derrière le bar les jours de matchs de ses deux prodiges, elle est dorénavant très investie. « Je regarde tous leurs matchs à la télévision lorsqu’ils sont en déplacement. »
Bénévoles ou employés avec un revenu complémentaire, le RWDM recense bien d’autres dévoués. Par passion, ils ne comptent pas leurs heures pour espérer voir leur club de cœur empocher les trois points chaque week-end.