COP 27 : Alerte à Sharm El Sheikh

Manifester, s’exprimer, penser à l’encontre du régime sont des menaces pour les citoyen·nes égyptien·nes dont le pays accueille cette année le sommet mondial sur le climat. Député, activiste, et ONG tentent de clarifier cette controverse.

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Manifester, s’exprimer, penser à l’encontre du régime sont des menaces pour les citoyen·nes égyptien·nes dont le pays accueille cette année le sommet mondial sur le climat. Député, activiste, et ONG tentent de clarifier cette controverse.

Palmiers, plages de sable fin, vue sur la mer Rouge et hôtels de luxe à gogo : on s’y méprendrait presque devant les photos du paysage idyllique qui abrite la COP 27. C’est à Sharm El Sheikh, une station balnéaire égyptienne, que les 197 pays signataires de la Convention-cadre des Nations Unies sur les changements climatiques ont été convoqués du 6 au 18 novembre.

Seulement, il y a un petit hic (notez que le contraire nous aurait étonné). Organiser une conférence telle que la COP27 dans un pays plus que « critiquable » en matière de respect des droits humains, passez-nous l’expression mais : « ça craint un peu ».

Sharm El Sheikh se situe à une centaine de kilomètres seulement du Sinaï, et est une région marquée par divers conflits : les guerres israélo-arabes, la montée des mouvements islamistes radicaux ou encore le conflit israélo-palestinien. Aussi nombreux soient-ils, ces tourments vécus par la péninsule égyptienne n’ont pas suffi à faire réagir l’État d’al-Sissi – qui les a vraisemblablement plus envenimés qu’autre chose -. Plutôt ironique donc, que de voir s’installer à quelques pas de ce désert une conférence ayant pour but de sauver l’humanité (ou du moins son support). Vous vous demandez donc sûrement comment nous en sommes arrivé·es là ?

Dans l’histoire, les COP ont déjà été le théâtre de nombreuses aberrations. Néanmoins, cette édition bat des records.

Pour commencer, il est important de savoir que l’organisation des COP se fait à tour de rôle entre les différentes parties du monde. À l’occasion de cette 27ième édition, l’Afrique a été désignée hôte. Et c’est là que ça a « un peu coincé » : il n’y a eu cette année qu’un seul candidat. Vous l’aurez deviné, il s’agit de l’Égypte. En même temps, loin d’être étonnant puisque l’organisation d’un événement aussi important que la COP demande moultes ressources, tant financières qu’humaines. C’est la raison pour laquelle les aspirants organisateurs se font plutôt rares sur le continent africain.

Dans l’histoire, les COP ont déjà été le théâtre de nombreuses aberrations. Néanmoins, cette édition bat des records. D’une sponsorisation de l’événement par le géant Coca-Cola en passant par des tarifs exorbitants des logements qui empêchent la société civile africaine de pouvoir se rendre à la conférence, le gouvernement égyptien s’est montré une nouvelle fois très inventif. L’État égyptien, qui a retiré en 2013 le droit de manifester de sa constitution, persévère ses restrictions en faisant grâce d’une « Zone verte ». Cet espace dédié à la manifestation accueillera la société civile qui souhaite « s’exprimer librement », mais seulement entre 10h et 17h. Oh, et sans oublier qu’il faut une accréditation aux manifestants pour accéder à cette « Zone verte ». Mais pas de panique, celle-ci n’est pas bien compliquée à obtenir. Il suffit aux activistes de fournir un préavis de 36 heures à l’avance, en précisant bien sûr « l’objectif de la manifestation, sa date, l’entité organisatrice, ainsi qu’un centre de liaison désigné, avec une copie du badge de la conférence ». Bref, trois fois rien en somme…

Mais ça ne s’arrête malheureusement pas là. Alors pour explorer davantage les enjeux clivants de ce sommet, nous vous emmenons écouter trois personnalités au regard éclairant.

Episode 1/3 – Climat et droits humains : même combat

« L’action climatique n’est possible qu’avec un espace civique ouvert »

Mounir Satouri

Il s’agit du constat qu’a fait le Parlement européen. Puis, quand on apprend qu’al-Sissi a prévu de surveiller 500 taxis de Sharm El Sheikh, grâce à des caméras qu’il a fait installer dans chacun des véhicules pour pouvoir être en permanence au courant de ce que le peuple égyptien fait, on se dit que sa vision de « l’espace civique ouvert » est légèrement biaisée.

C’est pourquoi, sur l’initiative du groupe des Verts/ALE, le Parlement européen a demandé dans sa résolution sur la COP 27 que les pays hôtes des prochaines COP souscrivent à des engagements de respect des droits humains établis par l’ONU. Ironie du sort : l’hôte prévu l’année prochaine pour la COP 28 n’est autre que -on vous le donne en mille-… les Émirats Arabes Unis, soit un autre champion en matière d’écologie et de respect des droits humains. La COP 27 est-elle donc un simple moyen pour l’Égypte de réaliser une jolie opération de « Human Rights Washing » ? Réponse avec Mounir Satouri, député français européen du groupe des Verts/Alliance libre européenne, rapporteur permanent de l’Égypte au sein du Parlement.

Episode 2/3 – Activisme sous surveillance

Il est difficile d’obtenir des chiffres précis concernant le nombre de prisonnier·ères politiques qui croupissent actuellement dans les cellules égyptiennes, mais on les estime entre 60 000 et 100 000. Quel motif est requis pour les plonger dans des conditions carcérales inhumaines ?

Le crime de lèse-majesté : s’opposer au régime d’al-Sissi ou, pire, oser le critiquer ouvertement et dénoncer les pratiques innommables en matière de droits humains en Égypte. L’exemple le plus tristement célèbre est celui d’Alaa Abdel Fatah, une ancienne figure de la révolution de 2011 dont al-Sissi n’est pas le plus fervent admirateur. Emprisonné à de multiples reprises depuis 2006, sa dernière incarcération date de 2019. En cause : la publication sur son facebook d’une « diffusion de fausses informations » qui accusait un officier de police de faits de torture, évidemment niés par l’État.

Alaa Abdel Fattah entame une grève de la fin en avril dernier. Pour offusquer davantage encore, il décide au commencement de la COP de ne plus s’abreuver non plus. Ses jours sont donc comptés depuis lundi, et son intention d’utiliser la COP pour visibiliser sa lutte ne fait aucun doute. De nombreux.ses dirigeant.es et institutions ont appelé les autorités égyptiennes à le relaxer, lui, mais aussi les milliers d’autres écroué·es. « Aujourd’hui, tous les regards sont posés sur l’Égypte grâce à la COP. Demain, il ne faut pas que les nations détournent leurs regards après avoir quitté la conférence. Il faut qu’il y ait des mobilisations dans tout le pays et partout ailleurs dans le monde » réclame une activiste égyptienne. Elle nous a offert anonymement son témoignage.

« Le simple fait de se filmer et danser sur Tiktok est passible d’arrestation »

Activiste égyptienne anonyme

Episode 3/3 : Au tour des ONG d’écoper

Ramy Shaath, ex-prisonnier politique égyptien libéré grâce aux efforts zélés de plusieurs ONG, s’exprimait fin octobre face au Parlement européen. Il demandait à l’Europe de ne pas “donner raison à ces gardiens de malheur”, sous-entendant les régimes autoritaires. Si sur le plan politique, de nombreuses actions de mise sous pression du régime d’al-Sissi sont possibles, dans les faits, ça rame. En cause : diplomatie lente, accords commerciaux, … C’est là qu’interviennent les ONG.  Quelles sont leurs possibilités à échelle mondiale face au général ? 

Amnesty International écrivait dans un rapport : “Une fois que la COP sera passée, il y a une vraie crainte que les autorités ciblent les activistes et le staff des ONG qui auront émis des discours critiques.” Lorsque la lumière du phare pointée sur l’Égypte s’en ira en même temps que les invités de la COP dans leur jet privé, pensera-t-on toujours aux (trop) nombreux prisonniers et combattantes de l’ombre qui luttent de l’autre côté de la Méditerranée ?

Olivia Fleuvy, chargée de communication pour Amnesty Belgique explique l’importance qu’ont des sommets comme la COP, tant d’un point de vue géostratégique qu’au niveau de la participation civile sur la scène décisionnelle. 

Dans les sept derniers mois, 766 prisonnier·ères politiques ont été libéré·es, mais 1540 autres personnes ont été incarcérées pour délit d’opinion.

Mêmes relaché·es, les ancien·nes détenu.es politiques ne sont pas libres pour autant. Ils et elles subissent des contrôles aléatoires, du harcèlement, des réductions de possibilités de voyage, d’administration et d’accès aux aides. Même sort pour les chercheur.euses égyptien.nes. Comment, alors, faire évoluer les libertés fondamentales des habitant·es de la “mère du monde” si aucune recherche, information ou action n’y sont réalisables ?  Si la devise de l’Egypte était « Silence et patience, liberté, socialisme, unité » on rigolerait moins. On rigole moins. Mais on rigole quand même.

Si nos podcast exposent un décor humoristique fictif, les entretiens et les faits eux, sont bien réels.

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