Un potager collectif peut-il rassembler un quartier fractionné ?


Dans le quartier du Square Marguerite, un collectif voudrait réunir les habitants autour des légumes

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Dans le quartier du Square Marguerite, un collectif voudrait réunir les habitants autour des légumes

Le collectif de quartier ‘Autour de Marguerite’ a lancé en 2018 un potager collectif, situé au Square Marguerite, dans le Nord-Est de Bruxelles. L’objectif: rassembler deux populations n’ayant aucun atome crochu. Une population plus aisée y habite, tandis que l’autre, défavorisée, y passe la journée. Le projet est-il utopique ?   

Danielle Beeldens est retraitée et vit dans le quartier du Square Marguerite depuis 25 ans. « Rue Jenneval, » exclame-t-elle fièrement. Sa rue donne sur un Square est divisé en deux partie: une agora avec un terrain multisports enclose à l’intérieur de grilles grises qui en ferment l’accès durant la nuit, et un ancien kiosque, qui sert de diffuseur de gaz et d’électricité pour les habitants. Celui-ci, aussi entouré de grilles, forme une infrastructure bétonnée, basse, mais imposante, sans charme. Au début du XXe siècle, le Square devait accueillir une basilique néogothique, qui ne fut finalement jamais construite, faute d’espace. Le tout est surplombé par des immeubles à dix étages. Un bout de terre avec des hortensias encercle la structure.

C’est dans ce lieu improbable que Danielle et son collectif ‘Autour de Marguerite’ ont implanté un potager collectif, « le seul endroit sur le Square où c’était possible » selon elle. Une première demande de permis introduite, il y a dix ans, avait été refusée par la ville de Bruxelles, alors gérée par Yvan Mayeur (PS). « La ville jugeait le projet infaisable et nous décourageait en disant que ça ne fonctionnerait jamais », explique Danielle. Cinq ans après, cette fois sous le mandat de Philippe Close (PS), la demande a fini par être acceptée. « Les mentalités changent », rigole-t-elle.  

 La ville jugeait le projet infaisable et nous décourageait en nous disant que ça ne fonctionnerait jamais 

Danielle Beeldens

Renforcer les liens sociaux 

Le collectif ‘Autour de Marguerite’ a comme ambition de créer une dynamique conviviale et de renforcer les liens sociaux dans un quartier est fractionné. D’un côté, les habitants sont pour la plupart des expatriés aisés qui travaillent pour les institutions européennes voisines. « Il n’y a pratiquement plus de belges dans le quartier », raconte le mari de Danielle. De l’autre, des jeunes viennent passer la journée dans l’agora. Ils habitent dans des communes avoisinantes, défavorisées comme Saint-Josse. « Ils viennent retrouver leurs groupes d’amis », explique Danielle. 

Pour rassembler davantage, le collectif organise quatre fois par an des fêtes qui attirent 150 personnes du quartier. Les jeunes, eux, n’y sont pas, au grand dam du collectif, qui dans sa charte mentionnent l’envie d’améliorer les échanges entre les habitants du quartier et les utilisateurs du terrain de sport voisin et d’encourager le dialogue interculturel et intergénérationnel. C’est face à ce constat qu’est née l’idée d’un potager.

Chaque samedi, les riverains sont invités à participer aux tâches. Il est dix heures pétantes, le soleil est de sortie, il fait frais, dix degrés au maximum. Le chien qui accompagne Danielle, Castard, un petit bull-dog, porte une doudoune rouge et un collier GPS. Pour lui caresser les poils, il n’y a que sa tête à découvert. Danielle se tient au chaud avec son écharpe rouge. Un léger vent frais lui fait monter des larmes aux yeux, qu’elle ne fait plus l’effort d’essuyer. Elle montre tous les recoins du potager: un coin composte, des pots de tomates qu’elle surnomme « l’empire des tomates », des herbes, des nichoirs pour oiseaux. Un merle vient gratter la terre. « Lui, il mange tous nos vers de terre » Une jeune dame française qui habite dans un des immeubles, demande comment elle peut aider. Danielle l’envoie couper les chardons qui longent l’agora.  

Au programme du jour, planter un abricotier, qui viendra compléter une longue liste d’arbres fruitiers : framboisier, prunelier, cerisier, mûrier, cognassier. Deux jeunes frères kurdes, venus de la Chaussée de Louvain, travaillent pour huit euros de l’heure, payés grâce aux subsides que reçoit le collectif. « Normalement, on ne peut pas les payer mais on le fait quand même », lâche Danielle. Les deux jeunes se donnent à fond et font preuve d’inventivité. Pour déplacer le pot où se trouve l’arbre, ils utilisent une poutre pour le faire coulisser sur l’escalier. « Ils sont formidables » dit Danielle, en les regardant admirativement comme une grand-mère regarderait ses petits-enfants quand ils ont bien réussi à l’école. Elle aurait envie de faire participer plus de jeunes à la vie du potager. Le problème, c’est que deux personnes suffisent pour faire tout le travail. Il n’y a pas tant des tâches à faire que ça.  

Absence dinteractions

Danielle aimerait aussi être davantage en relation avec les jeunes qui traînent dans l’agora et qui font des « petits deals de drogue ».  Récemment, elle a introduit une demande auprès de la fondation Roi Baudoin, qui offre des fonds pour soutenir des projets intergénérationnels et multiculturels pour des jeunes en difficulté en Belgique.

Ce qui les intéresse, c’est de passer au-dessus des grilles, cueillir des fruits et se canarder avec.

Danielle Beeldens

Si la demande est acceptée, cela permettrait la rénovation des bancs, l’éclairage, une verdurisation, l’organisation d’une fête tous public et des démonstrations musicales. Le tout pour répondre davantage aux besoins des jeunes, créer du lien et apaiser l’espace public. Danielle insiste sur l’importance de donner de l’espoir et de la dignité à ces enfants et jeunes issus de milieux défavorisés, qui sont mal vus par les habitants du quartier . « On sent une distance », déplore la retraitée. Parfois des résidents des immeubles l’appellent pour avertir qu’il y a du commerce de drogue dans le potager. Quand l’agora ferme, à 21h, ils viennent à côté du potager. « Ce qui les intéresse, c’est de passer au-dessus des grilles, cueillir des fruits et se canarder avec », se désole Danielle. Elle aimerait, pour contrer ces comportements, lancer des interviews pour demander aux jeunes ce qu’il leur ferait plaisir. « J’ai envie d’être à leur écoute. On pourrait mélanger nos fêtes traditionnelles avec du rap. » Difficile de combler tout le monde mais l’envie y est. Elle propose aussi d’acheter du matériel de sport. Son mari, lui, déplore l’usage massif de gaz hilarant – une drogue récréative hallucinogène qui consiste à inhaler du protoxyde d’azote et provoque des réactions euphorisantes. « On pourrait même organiser un concours de celui qui inhale le plus de gaz hilarant » dit-il ironiquement avec un regard désespéré. 

Au final ils sont fort occupés par le travail et ont des enfants, ils n’ont pas le temps. 

Danielle Beeldens

Un quartier dexpatriés  

Danielle espérait aussi attirer les fonctionnaires européens des immeubles alentours. Comme ils n’ont pas de jardin, elle a pensé que ça leur manquait. Mais « c’était une erreur. Au final ils sont fort occupés par le travail et ont des enfants, ils n’ont pas le temps ». Il y a quand même quelques exceptions. comme Carla, Elena et Maggy, toutes expatriées, qui passent au potager. Carla est Allemande, Elena, Espagnole et Maggy, Anglaise. Elles parlent toutes français, mais chacune a un accent bien spécifique. Carla observe les deux frères planter l’arbre. « Maintenant, vous êtes des hommes, vous savez planter un arbre », dit-elle avec une voix grave et son accent allemand. Les jeunes sourient avec un air gêné.

Une fois l’abricotier enlevé du pot, il faut le placer bien droit dans le trou. Sous le regard attentif de Danielle, les deux frères s’exécutent. Ils rebouchent le trou, aplatissent la terre. C’est plié. Il leur a fallu une heure. « Madame, on a fini », dit le plus petit des deux, avant de ranger ses outils. Danielle leur donne un défraiement de 20 euros. Le petit tend sa main pour recevoir l’argent, mais le grand frère se saisit des deux billets et les glisse dans sa poche. Le petit se plie avec un air désespéré à l’autorité de son grand frère.

Un potager collectif comme celui de Danielle peut-t-il réellement rassembler un quartier aussi divisé de Bruxelles ? Elle veut y croire, mais il semble difficile de rassembler les différentes populations de la deuxième ville la plus cosmopolite au monde.

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