Vivre sa foi en confinement : Une pratique 3.0

Comme le télétravail ou les cours à distance, ce qu’il est convenu d’appeler la « téléreligion » a certainement acquis ses lettres de noblesse durant le confinement. Privés de messes durant de nombreuses semaines, les fidèles chrétiens ont recours aux technologies numériques pour vivre leur foi à distance. Et l’Eglise catholique, qui est synonyme souvent d’une institution dépassée, montre une grande capacité de résilience et d’adaptation. Il semble qu’à l’heure de la distanciation physique forcée, les voies du Seigneur passent aussi par le numérique.

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Photos: Jean-Pierre SAWADOGO (CC BY NC ND).

Comme le télétravail ou les cours à distance, ce qu’il est convenu d’appeler la « téléreligion » a certainement acquis ses lettres de noblesse durant le confinement. Privés de messes durant de nombreuses semaines, les fidèles chrétiens ont recours aux technologies numériques pour vivre leur foi à distance. Et l’Eglise catholique, qui est synonyme souvent d’une institution dépassée, montre une grande capacité de résilience et d’adaptation. Il semble qu’à l’heure de la distanciation physique forcée, les voies du Seigneur passent aussi par le numérique.

Photos: Jean-Pierre SAWADOGO (CC BY NC ND).

Suivre des messes en différé comme des matchs de football. Cela peut paraître surréaliste mais c’est bien ce qui est arrivé à Michel Bonkoungou ces derniers temps. Statisticien au ministère de l’économie du Burkina Faso, il est depuis quelques mois à Bruxelles dans le cadre d’un stage à l’Université Libre de Bruxelles (ULB). Contraint comme tout le monde de rester à la maison pour limiter la propagation du Covid-19, il a vu sa pratique religieuse changer radicalement.

En temps normal, Michel se rend plusieurs fois par semaine à l’église Sainte-Croix d’Ixelles à la place Flagey, à trois minutes de marche de sa résidence. Mais avec le confinement, il a expérimenté la messe sur Internet. « Avec le confinement, j’ai commencé à suivre les messes en direct sur Internet, à la radio ou à la télévision », raconte-t-il. « Mais il m’est aussi arrivé de suivre les messes en différé parce que je me suis réveillé en retard et comme je voulais vivre l’intégralité de la messe, il fallait que j’attende la fin du direct pour recommencer à zéro ».

Jeune professionnel en prière devant son ordinateur
Devant son PC, Michel Bonkoungou suit la messe dominicale

Cette expérience de Michel, de nombreux fidèles chrétiens l’ont vécue durant le confinement. En effet, avec la distanciation physique forcée due au coronavirus, « les réseaux sociaux n’ont jamais vu autant d’offices et de messes en direct ! Internet n’est plus seulement un nouveau presbytère, c’est tantôt un chœur de cathédrale, une petite église romane, une chambre aménagée en chapelle », témoigne l’abbé Antoine Roland-Gosselin, prêtre du diocèse de Versailles en France et rédacteur au padreblog, un blog animé par des prêtres catholiques. Et c’est grâce à cette nouvelle « église romane » qu’est Internet, que des milliers de catholiques à travers le monde, ont pu vivre, à distance certes, la semaine sainte et les fêtes de Pâques, le sommet de l’année liturgique pour les chrétiens.

Les réseaux sociaux n’ont jamais vu autant d’offices et de messes en direct ! Internet n’est plus seulement un nouveau presbytère, c’est tantôt un chœur de cathédrale, une petite église romane, une chambre aménagée en chapelle.

Abbé Antoine Roland-Gosselin

C’est le cas de Mathias Yaméogo, 29 ans, enseignant d’économie. Lui et sa femme Adèle qui est étudiante en Histoire, vivent au Burkina Faso. Ils se sont mariés il y a quelques mois. Ces jeunes chrétiens font partie de ceux qu’on appelle des catholiques pratiquants. D’ordinaire, ils vont plusieurs fois par semaine à l’Eglise. Mais c’était sans compter la crise du covid-19. Durant plusieurs semaines, il n’a pas été possible pour eux de rejoindre la communauté paroissiale pour les différentes prières. Mais malgré la distanciation physique forcée, il était hors de question de rater la messe, surtout pas durant la « semaine sainte » qui était la dernière ligne droite vers la fête de Pâques. Alors, ils ont trouvé une solution : « A la maison, ma femme et moi avons vécu la semaine sainte via internet. Connectés à la radio catholique, nous avons pu vivre chaque étape : la messe du jeudi saint, le chemin de croix et la célébration de la Passion du vendredi saint, la veillée pascale du samedi saint et la messe du jour de Pâques », raconte Mathias.

A la messe comme à la messe

Pour bien vivre les différentes célébrations, Mathias et Adèle n’ont négligé aucun détail. Avec un autel dressé, des cierges allumés et une image de la sainte famille pour la circonstance, « les postures débout, assis ou à genoux correspondant aux moments de la messe sont respectées quand il le faut comme si on était physiquement à l’église », précisent-ils. En plus, « on chantait et on répondait même si le prêtre ne nous entendait pas ».

Si ce couple arrivait « à faire comme » s’il était dans une église, ce n’était pas le cas pour Michel Bonkoungou. Assis devant son ordinateur, il avait bien souvent des difficultés selon lui, pour rester concentré. Aussi, explique-t-il, « en plus de l’écran de KTO où je suis la messe, il y a plusieurs autres onglets qui sont ouverts sur mon ordinateur. Sans oublier que ne je ne suis pas seul dans ma chambre. Pour suivre la messe, il me faut mettre des écouteurs, ce qui est fatiguant. Ou réduire le volume, et cela dérange le colocataire qui n’est pas de la même religion que moi ».

Même si les membres de la famille Ilunga à Ixelles continuaient à vivre leur foi à distance, par le truchement des technologies numériques, ils ont tenu à ne pas rester passifs devant l’écran. Ainsi, détaille Mathilde, la mère de famille, durant les messes, « on s’est reparti les rôles. Le dimanche par exemple, au lieu d’écouter religieusement les lectures à l’écran, un membre de la famille lit la lecture du jour. On s’organisait aussi pour chanter avec les prêtres qui célébraient les différents cultes ». Cette option, conclut-elle, « rendait nos messes devant l’écran moins moroses et tristes ».

A l’opposé de cette famille, Aurélien Kossi, doctorant à l’Université Saint-Louis qui était seul dans sa chambre, avait moins d’options. « Suivre des messes devant mon écran d’ordinateur n’est pas toujours une expérience facile et joyeuse. Si au début du confinement j’étais plein d’enthousiasme en respectant les différentes postures correspondant aux différents moments de la messe, j’ai fini par me lasser au bout de quelques semaines. Aussi, au fur et à mesure que je vivais les célébrations sur Internet, je me suis posé certaines questions : pourquoi tu continues à respecter tous ces gestes et rituels alors que tu es seul dans ta chambre et que personne ne te voit ? » Et que dire, poursuit-il, « de toutes ces frustrations vécues durant des prières parce que ma connexion internet m’a lâché en plein culte ? J’avoue aussi m’être endormi tant de fois à force de rester sur mon lit pour suivre des cultes ».

Selon l’hebdomadaire français, La Vie, la messe télévisée a battu ses records sur France 2 durant le confinement. Elle a en effet triplé sa fréquentation avec plus de 1,7 millions de téléspectateurs. Dans le même sens, Hozana, un réseau social de prière dont la vision est d’utiliser le potentiel de mise en relation d’Internet pour rassembler une immense communauté de priants sur la toile, a vu le nombre de ses membres « exploser ». Créé en 2014 en France par Thomas Delenda, Hozana est constitué aujourd’hui (avril 2020), selon des données disponibles sur la plateforme, de près de 260 000 priants dans plus de 100 pays dans le monde alors qu’ils étaient moins de 200 000 avant la crise. Hozana comprend par ailleurs des centaines de porteurs de communautés qui publient au total une centaine de posts par jour, en quatre langues (français, anglaise, espagnol et italien). Ces chiffres montrent bien que les technologies numériques n’aident pas seulement pour le télétravail ou les cours à distance. Elles ont permis la pratique religieuse à distance ou la « téléreligion ».

Et ce n’est pas Ulrich Valléa, 25 ans, étudiant en communication à l’Université Saint-Louis de Bruxelles, qui dira le contraire. Lui qui, grâce à la messe sur Internet, avait l’embarras du choix. Il pouvait rejoindre plusieurs communautés virtuelles à sa guise depuis sa chambre d’étudiant. Depuis le confinement, « je me suis rendu compte que grâce à Internet, j’ai le choix de pouvoir suivre une communauté en particulier ou de me joindre aux messes grand public diffusées par certaines chaînes ».  Par exemple, poursuit-il, « le jour où je me réveille tôt, à 7h, l’heure où le Pape officie, je me branche sur la chaîne télévisée KTO pour vivre la messe avec lui. Si je n’ai pas pu suivre la messe matinale avec le Saint-Père, je sais que j’ai encore toute la journée pour retrouver la messe du jour en direct sur YouTube ou Facebook, des messes qui sont proposées par diverses communautés ». En temps normal, cela n’aurait certainement pas été possible.

Jeune étudiant en adoration devant son ordinateur
Même seul dans sa chambre, Ulrich Valléa est en pleine adoration de son Dieu

S’adapter à toute situation

Ces différents témoignages de messes télévisuelles ou sur Internet montrent que « la pandémie n’a pas entamé la foi de beaucoup de fidèles chrétiens et que l’Eglise aussi s’adapte aux situations qui se présentent à elle », nous a confié par le biais du réseau social Facebook, le père Alexis Kouka Ouédraogo, un prêtre du Burkina Faso, spécialiste des moyens de communications sociales. Au contraire, loin de se résigner, de nombreux chrétiens ou groupes de chrétiens ont redoublé d’inventivité pour continuer à pratiquer leur foi. Cela était d’autant plus important qu’en « cette situation inédite, parfois source d’angoisse et de découragement, le besoin de spiritualité des fidèles se fait plus pressant », selon un initiateur d’une communauté virtuelle.

Pour aider les fidèles qui étaient privés des messes durant le confinement, les diocèses, paroisses, communautés et autres structures de l’Eglise ont fait preuve d’imagination. Dans ce sens, l’association Pôle Jeunes XL qui rassemble les jeunes chrétiens de l’unité pastorale Sainte-Croix à la place Flagey à Ixelles, a mis en place ce qu’elle a appelé un guide de survie pour mieux vivre le temps de confinement. Ainsi, en plus du « Facebook live sportif » des lundis qui avait pour but de maintenir le corps en forme, deux temps de prière pour « nourrir l’âme et l’esprit », les autres dimensions de l’être humain, se tenaient sur le réseau social crée par Mark Elliot Zuckerberg en 2004. A l’occasion de la fête de Pâques, le Pôle Jeunes XL a permis aux fidèles de la paroisse ainsi que leurs pasteurs, de se souhaiter une bonne fête à distance à travers des courtes vidéos reprenant ce qu’on peut appeler l’hymne de Pâques : « le Christ est ressuscité, alléluia » et cela dans plusieurs langues.

Le défi du passage du virtuel au réel

Comme le souligne l’abbé Antoine Roland-Gosselin du padreblog, « divers témoignages de chrétiens montrent que le temps de confinement peut même devenir une véritable retraite avec, dans beaucoup de foyers, la messe et le chapelet suivis en direct aussi souvent que possible ». Il n’y a donc pas de doute quant aux fruits de ces messes à la télévision ou sur Internet. Pour autant, une question se pose : cette pratique religieuse et cette foi vécues à distance, via les technologies numériques, sont-elles faites pour durer ? La question mérite d’être posée quand on sait que la religion chrétienne se veut être la religion de l’incarnation (où Dieu en Jésus-Christ s’est fait homme) par excellence et où un ensemble de rites (baptême, communion…), n’ont de sens que parce qu’il y a une présence physique de croyants.  

Une femme en prière dans sa chambre
Pascaline Hugain espère que les messes à l’église vont vite reprendre pour qu’elle passe d’une pratique virtuelle et à une pratique réelle

La plupart des chrétiens qui se servent d’ailleurs des technologies numériques pour vivre leur foi durant le confinement ne sont pas dupes. Ils estiment que cette situation n’est pas faite pour durer et cela pour de multiples raisons. Pour Michel Bonkoungou, « déjà qu’on avait des difficultés pour vivre notre foi seul, aller à l’église donnait du réconfort. Le cadre même de l’église impose le recueillement et détachait de beaucoup de choses. Mais avec les médias, on ne peut pas éviter la distraction ». Mathias et Adèle, de leur côté, formulent le vœu que « cette crise passe le plus vite possible afin que nous puissions retrouver notre communauté paroissiale ». En effet, s’ils reconnaissent que la messe à distance leur permet de rester en communion de cœur avec les autres chrétiens, ils ne peuvent pas « profiter de certains aspects comme la présence physique des frères et sœurs, ou de bénéficier des sacrements comme l’eucharistie et la confession qui sont pourtant vitaux pour notre vie de foi ». Dans le même sens, Pascaline Hugain, fidèle de l’église Saint-Boniface, à Ixelles, considère que « ça n’est pas toujours pareil de suivre la messe à la télé. Il y a quelque chose d’un peu étrange à avoir cet écran et à être seule aussi. Les dimensions communautaires et sacramentaires manquent beaucoup, comme le fait de ne pas partager sa foi avec d’autres ».

Les prêtres qui célèbrent les messes seuls et les retransmettent en direct pour les fidèles chrétiens trouvent aussi qu’il y a quelques inconvénients avec les messes à distance. Ainsi, si l’abbé Roland reconnaît qu’il peut y avoir une communion qui est vécue de manière très forte entre « les personnes qui s’unissent de tout leur cœur à l’évènement relayé par la caméra. Cependant, il semble que cela puisse créer deux gênes durables : pour celui qui diffuse et qui se croit obligé de « jouer » virtuellement au pasteur devant sa caméra, seul dans son église, et pour le spectateur, qui bien que cherchant à entrer en plus grande communion avec ce qui est vécu, peut réaliser douloureusement qu’au fond, le lien n’est pas réciproque ».

Entre crainte et enthousiasme

Une autre problématique que posent les messes à distance, concerne les différents sacrements, notamment l’eucharistie et la confession. En effet, durant tout le confinement, il n’est pas possible de communier, encore moins rencontrer physiquement un prêtre pour se confesser. Ainsi, avec l’impossibilité d’aller physiquement à la messe et de communier, les chrétiens ont été invités à communier et à se confesser spirituellement en attendant de pouvoir le faire « sacramentellement ».

Si cela est encouragé et peut être utile durant le confinement, l’abbé Alexis Ouédraogo du Burkina Faso a déjà certaines craintes pour l’issue de la crise. Avec la communion spirituelle qui est promue pendant le confinement, « le danger de ne plus donner de l’importance à la communion matérielle, au corps du Christ, est réel, comme l’est aussi le fait de ne plus croire en la présence réelle du Christ dans l’eucharistie. Car toute situation engendre quelque part des conséquences négatives », avoue-t-il. Et à son confrère du Padreblog de renchérir : « la communion à la messe n’est pas simplement recevoir le Christ « caché dans l’hostie », comme le disaient les petits voyants de Fatima. C’est bien plus que cela : l’union des cœurs dans l’unique communion des saints vécue dans le Christ. Il ne s’agit pas de faire comme si je vivais la messe ou d’être dans la quasi-réalité de ma participation eucharistique ». En somme, si l’homme d’église est d’accord que « l’union des cœurs peut s’appuyer sur la messe retransmise, il n’empêche que comme tout moyen, Internet peut devenir un obstacle et m’empêcher de réaliser cette union ».

« L’histoire, comme la vie, ne revient pas en arrière. Il faut prendre cette nouvelle invention comme un fait qui ne fera que croître. Dans quelle direction ? au service de l’homme ou pour sa perte » ?

cardinal E. Suhard

On peut se demander si ceux qui se sont habitués à toutes ces messes à distance, depuis leur ordinateur et leur chambre, vont retrouver le chemin des églises une fois le confinement levé. Clément Yabré, étudiant en économie à l’ULB, se dit pressé de « retrouver les messes à l’église avec tous les autres fidèles pour chanter et louer le Seigneur ». Pour d’autres chrétiens, présume l’abbé Roland, « la routine de la messe du dimanche a été perdue, elle ne sera peut-être pas retrouvée. Mais en Occident, peu de personnes vont encore à la messe par routine. Pour beaucoup il s’agit d’un choix bien affirmé ».

Le pape François en direct sur Internet
Le pape François a trouvé en Internet un moyen pour rejoindre les fidèles du monde entier

Une chose semble certaine : le confinement prendra fin et les chrétiens qui le désirent pourront reprendre les chemins des églises et une pratique religieuse « normale ». Mais à la question de savoir si ces mois d’expériences de foi vécue à distance modifieront la pratique religieuse, il n’y a pas de réponse arrêtée. Pour ceux qui pensent qu’un retour en arrière est possible, cet extrait de l’homélie du cardinal E. Suhard, prononcée à la Noël 1948 à Notre-Dame de Paris, à l’occasion de la première messe télévisée de l’histoire peut enseigner : « Vous voici dans l’église-mère du diocèse qui vous a ouvert ses portes, en cette nuit divine, pour vous associer au mystère de la Nativité. Vous savez de plus que cette messe solennelle est propagée dans toutes les directions de l’espace par la radio et la télévision. Alors vous vous posez peut-être une question : est-ce bien l’esprit de Noël ? Et vous vous prenez à regretter ces messes de minuit d’autrefois, avec une tradition millénaire, auxquelles semble porter atteinte cette dernière invention (…). Depuis vingt ans, l’homme a pris l’habitude de parler à l’homme et de l’écouter à distance. Plus récemment, il a découvert le moyen de percer l’horizon et de voir sans limite. La télévision l’a doté d’un nouveau sens. Surtout, elle est pour le genre humain un nouvel instrument d’unité. L’histoire, comme la vie, ne revient pas en arrière. Il faut prendre cette nouvelle invention comme un fait qui ne fera que croître. Dans quelle direction ? Au service de l’homme ou pour sa perte ? »

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