Mammouth a passé à la loupe les mandats des exécutifs bruxellois des vingt dernières années
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L’article 11bis de la Constitution belge impose depuis 2002 à ses pouvoirs exécutifs d’inclure des personnes de sexe opposé. “Un gouvernement sans femme devient un gouvernement illégal”, tranche Caroline Sägesser, politologue au Centre de recherche et d’information socio-politiques (CRISP). Mammouth a décortiqué cette obligation et a analysé vingt années de mandats de la Région de Bruxelles-Capitale.
En juillet 2024, les négociations pour le nouvel exécutif wallon et de la Fédération Wallonie-Bruxelles semblaient présager un gouvernement majoritairement féminin avec Valérie Glatigny et Jacqueline Galant pour le MR, Elisabeth Degryse et Valérie Lescrenier pour Les Engagés. Mais ce casting ne respectait pas l’article 11bis de la Constitution belge, qui impose une représentation minimale d’un tiers pour le sexe le moins représenté. Par conséquent, la composition proposée par le MR et Les Engagés, entièrement féminine, est tombée à l’eau. Elle aurait néanmoins constitué un véritable renversement de la dynamique genrée des mandats au sein de la Fédération Wallonie-Bruxelles.
Bruxelles : une parité en apparence ?
Les gouvernements bruxellois n’ont pas toujours compté de femmes dans leurs rangs. Au cours des vingt dernières années, seuls 16 postes (22 %) ont été occupés par des femmes, pour 56 pour des hommes. « C’est en 2002 que la Constitution belge oblige tous les gouvernements à être mixtes », rappelle Caroline Sägesser. En 2003, une loi fédérale vient renforcer cette exigence à Bruxelles, imposant la présence de personnes de « sexe différent » dans l’exécutif de la capitale.
Avant ces dispositions légales, seule une femme, Annemie Neyts-Uyttebroeck, a siégé à la région bruxelloise de 1999 à 2003 lors du gouvernement emmené par le libéral Jacques Simonet (Simonet I). Après cette législature, Bruxelles a même connu trois coalitions composées intégralement d’hommes, en l’espace de deux ans.
Alors que de nombreux démêlés fiscaux et judiciaires ont ensuite écourté les mandats de plusieurs législatures, la présence de femmes à la région a augmenté dans les cabinets dès l’exécutif Picqué III (2004- 2009). Si le nombre de femmes au régional bruxellois a progressé au lendemain de l’instauration des nouvelles dispositions constitutionnelles qui ont imposé la mixité dans les organes représentatifs, derrière cette apparente évolution, les postes clés sont largement restés masculins.
Des responsabilités inégalement réparties
Selon la loi spéciale de janvier 1989 qui a créé la Région bruxelloise, il faut quatre ministres (deux francophones, deux néerlandophones) hors ministre-président et trois secrétaires d’Etat (un néerlandophone minimum) pour former l’exécutif. Et depuis 1999, les postes ministériels – plus prestigieux – semblent être une affaire d’hommes. Cinq hommes ministres dans les gouvernements Donnea, Ducarme et Simonet II. Quatre dans les exécutifs Simonet I, Picqué III, Vervoort II et Vervoort III.
Pour la législature Vervoort II, toutes les femmes étaient même cantonnées au poste de secrétaire d’État, un mandat moins bien payé et placé sous l’autorité d’un ministre. “En 1999, j’ai failli rentrer dans le gouvernement mais on m’a proposé un secrétariat d’Etat et ça m’a semblé vraiment dérisoire avec les chiffres qu’Ecolo avait fait”, se souvient Evelyne Huytebroeck, ex-ministre de l’Environnement et de l’Energie de 2004 à 2014.
En vingt ans, un seul gouvernement a affiché une majorité féminine ministérielle : le gouvernement Picqué IV (2009-2014), avec trois femmes ministres pour deux hommes. Toutefois, jamais une femme n’a accédé à la fonction de Ministre-Présidente, tous gouvernements bruxellois confondus.
Un pouvoir concentré dans peu de mains
Au-delà d’une inégale répartition des postes depuis vingt ans, l’accumulation de mandats semble être réservée majoritairement à la gent masculine. Sur les 55 postes ministériels observés, 46 ont été occupés par seulement 14 hommes. Proportionnellement, 84% des hommes ont cumulé des mandats, contre 44% des femmes. Comprenez qu’à Bruxelles, un homme a deux fois plus de chance d’être reconduit qu’une femme. Guy Vanhengel, champion en matière d’accumulation de mandats, a siégé à six reprises. À titre de comparaison, Évelyne Huytebroeck, la femme avec la plus longue carrière politique au régional, compte trois mandats.
Les têtes de listes l’emportent
Les candidats favoris des partis apparaissent souvent en tête de liste aux élections régionales. “À Bruxelles, une seule circonscription existe, donc forcément la tête de liste devient celle qui est appelée à devenir ministre”, affirme Caroline Sägesser.
Si les têtes de listes des partis de la coalition gouvernementale ne deviennent pas parlementaires, elles deviennent souvent ministres ou secrétaires d’Etat. En moyenne, les femmes à la capitale figurent deuxième sur la liste électorale pour le Parlement à la même période, tandis que les hommes sont souvent premiers.
Les femmes de plus en plus jeunes
Une autre tendance s’observe au fil des législatures : un rajeunissement des femmes qui les composent. L’âge moyen des ministres et secrétaires d’Etat féminines a en effet chuté de 55 à 36 ans. « Elles deviennent plus ambitieuses et on leur fait plus confiance qu’avant », souligne Caroline Sägesser. « J’avais 30 ans quand j’ai commencé ma carrière politique. Je n’aurais jamais fait tout ce que j’ai fait si je n’étais pas bien entourée. Mon mari était là. J’avais une structure familiale forte », partage Evelyne Huytebroeck.
Malgré des lois prometteuses, la réalité reste contrastée pour la région. La représentation féminine progresse sur le papier, mais les femmes assument moins de mandats et ne tiennent pas autant de postes ministériels que les hommes. Les lois de « parité » n’imposent que la présence de personnes de « sexe différent », ne garantissant finalement qu’une mixité.
Neuf mois après les élections régionales, Bruxelles se trouve toujours dans l’attente d’un nouveau gouvernement. Les dernières négociations ont montré que la priorité des formateurs consistera à justifier un exécutif sans la NV-A ou de convaincre le PS de négocier avec cette dernière. Rien à l’horizon sur le sexe des ministres et des secrétaires d’État. Les préoccupations, à tort ou à raison, semblent se trouver ailleurs.
Et la prochaine ministre sera …
A l’heure où les négociations bruxelloises emmenées par le Mouvement réformateur (MR) patinent, toute prédiction est à considérer avec précaution. « J’ose espérer que la composition du gouvernement fédéral ne soit pas un mauvais présage pour Bruxelles », lance Évelyne Huytebroeck.
Cependant, les éléments recueillis lors de l’analyse de ces neuf gouvernements permettent de dresser le profil type d’une femme « ministrable » pour le gouvernement de 2025.
Âge : 35-40 ans
Couleur politique : Centre ou gauche
Place sur la liste : Deuxième de liste aux élections législatives
Nombre de mandats au gouvernement bruxellois : Aucun
Portefeuilles pressentis : Mobilité, logement, transition économique ou développement urbain