Un toit et une douche pour les laissé.es sur la touche

L’hiver est là, le froid aussi. Donc on chauffe son chez-soi, on se réfugie sous des plaids. Mais pour ceux qui n’en ont pas, de chez-soi, l’hiver est encore plus froid, plus agressif. Multiplier les couches de vêtements remplace difficilement un toit.

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© Leo Wagemans

L’hiver est là, le froid aussi. Donc on chauffe son chez-soi, on se réfugie sous des plaids. Mais pour ceux qui n’en ont pas, de chez-soi, l’hiver est encore plus froid, plus agressif. Multiplier les couches de vêtements remplace difficilement un toit.

© Leo Wagemans

Quelques associations essaient de faire oublier un temps la froideur de la rue. Proposer un café, une douche, discuter un peu. À l’approche des fêtes de fin d’année, Doucheflux accueille parfois une centaine de personnes sans-abri dans un bâtiment situé proche de la gare du Midi. Le froid fait qu’on y reste plus longtemps, alors parfois on peut sentir de la tension au rez-de-chaussée. Au moins là, au milieu des casiers dans lesquels on peut mettre ses affaires en sécurité, il fait chaud.

À l’étage du dessous, on s’affaire. Je fais connaissance avec Françoise et Iveta ; elles préparent des bacs avec ce qu’il faut pour prendre une douche. Parfois, on leur demande si elles n’ont pas quelques vêtements à donner. Alors, on cherche dans les armoires, on regarde si on peut faire un.e heureux.se avec ce que l’on a reçu. « Depuis l’arrivée des migrants ukrainiens, on a beaucoup moins de dons, me dit Françoise. C’est triste, mais on oublie les gens dans la rue. »

Sam prépare des essuies à côté des machines à laver mises à disposition. Ils sont tous les trois bénévoles, et aident les employés de l’association. Jaume est l’un deux, il passe en coup de vent dans le couloir. Accueillir les bénéficiaires, en français, en arabe ou en espagnol, leur demander d’attendre leur tour pour aller prendre leur douche. Apaiser les tensions, faire des blagues aux habitués.

Au premier étage, une salle qui servira dans quelques jours à recevoir un parlementaire après la reconnaissance de l’association par le gouvernement flamand. Et à côté, des volontaires de la Croix-Rouge étalent des produits de soin sur une table. Dans la rue, on met son corps à l’épreuve et les plaies s’infectent. Robert et Naomi sont donc là, bandent des blessures, donnent des bains de pieds, font de leur mieux pour ne pas grimacer devant des plaies pas jolies.

Naomi qui soigne le pied d'un bénéficiaire.
Naomi qui soigne le pied d’un bénéficiaire.
Robert, bénévole de la Croix Rouge en train de soigner une plaie.

Les douches passent, la tension aussi. Un appareil photo dans cette fourmilière, ça suscite des regards. Jaume me met en garde, on pourrait m’embrouiller parce « Tu filmes quoi ? ». Mais on me sourit d’un air curieux, comme Baptiste, un bénéficiaire qui, comme moi, fait de l’argentique. On a même commencé à me demander si je voulais bien faire des portraits pour les envoyer ensuite. Comme Théo qui était ravi que je puisse lui offrir une photo de lui avec son chien.

Le temps passe, et vers la fin de la journée, on me présente Rabah. Un bénévole mais surtout un personnage, me dit-on, qu’on me somme de prendre en photo. Chaque soir, il fait des maraudes muni de son vélo. Le rendez-vous est donc pris, je le retrouverai à la Gare du Midi. Là-bas, il est à peine arrivé que des personnes dans le besoin l’accostent. « Ici tout le monde me connait, ça fait sept ans que je fais ça ». On l’appelle tonton, et ça lui va bien. Rabah porte son fidèle béret, et regarde les gens avec ses yeux bleus, qui débordent de compassion. Il fait le tour de plusieurs boulangeries qui le connaissent bien maintenant, et qui lui donnent leurs invendus. Quelques sandwichs, quelques salades et du café chaud ; c’est tout ce qu’il a à donner. Il m’explique qu’il a travaillé en Allemagne, il me parle de ses enfants qui y ont grandi. Rabah est venu en Belgique après la mort de sa femme. C’est là que j’ai commencé à m’apercevoir que de la tristesse s’était glissée dans ses yeux bleus. Mais pas le temps pour les états d’âmes, il faut nourrir ceux qui en ont besoin. Puis finir après 21h, et recommencer le lendemain.

Rabah, bénévole chez Doucheflux lors d’une de ses maraudes quotidiennes.

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