Dans la chasse aux voix, les « lapins blancs » sont en plein essor
Depuis une vingtaine d’années, un phénomène particulier attire l’attention lors des élections en Belgique : la candidature de personnalités issues du monde du sport, de la télévision ou encore de la musique. La présence de ces lapins blancs sur les listes électorales suscite enthousiasme, curiosité, mais aussi scepticisme.
Qu’est-ce qu’ont en commun Silvio Proto, Walter Baseggio, Charline Van Snick, Yves Coppieters, Ysaline Bonaventure, Romain Thiry, Sandra Narcisi, Aisling D’Hooge ou encore Denis Collard ? Ce sont des “lapins blancs”. Ce terme fait référence à des personnalités publiquement reconnues, qui sont utilisées par des partis politiques pour attirer l’attention du grand public. Il s’agit d’une “peopolisation” de la politique.
Comment ces nouveaux influenceurs façonnent-ils la politique affinitaire ? Et quels sont les enjeux démocratiques derrière ce phénomène ?
D’un conte à un phénomène politique
Mais pourquoi ce terme de lapin blanc ? Dans le livre Alice aux pays des merveilles de Lewis Carroll datant de 1865 , le lapin blanc intervient dès le premier chapitre, où il interpelle Alice en lui disant : “En retard, toujours en retard”. En le suivant, Alice tombe dans le trou et se retrouve au pays des merveilles. Aujourd’hui la signification du “lapin blanc” est une personne sans réel contact avec la politique, surgissant du néant comme dans un tour de magie, et qui se retrouve propulsé sur le devant de la scène.
Ces dernières années, le phénomène du “lapin blanc” a pris de l’ampleur en Belgique. La lutte pour capter l’attention des électeurs est de plus en plus intense, alors même qu’une partie de l’électorat se détourne de la politique. Les lapins blancs sont donc devenus une solution stratégique, comme le souligne Thomas Gadisseux, journaliste politique à la RTBF : “Il faut arrêter de faire les bisounours, à un moment donné, on vote pour des gens. On ne vote pas pour des robots, on ne vote pas pour des programmes. On vote pour des personnages qui portent des idées et il faut que ces personnages parlent aux gens. Si on n’a que des technocrates super brillants, mais qui ne parlent pas aux gens, ça ne fonctionnera pas. Et donc c’est pour cela qu’on a besoin de personnes qui sortent un peu des cases. Il faut des personnages connus, un peu bling-bling… Il faut un mariage entre le public et la politique”. Pour lui, leur renommée ne les empêche en rien d’avoir une véritable culture politique et des idées à défendre. Mais il est clair que leur présence sur les listes est avant tout stratégique.

« Il faut arrêter de faire les bisounours, à un moment donné, on vote pour des gens […] Si on a que des technocrates super brillants, mais qui ne parlent pas aux gens, ça ne fonctionnera pas. Il faut des personnages connus, un peu bling-bling »
Thomas Gadisseux
À partir des années 1980-1990, les partis politiques ont pris conscience que la popularité et la personnalité publique étaient des leviers pour obtenir plus de visibilité et pour séduire l’électorat. Les médias de masse ayant beaucoup d’influence, des personnalités médiatiques, des journalistes et des animateurs de télévision ont été appelés sur les listes.
Un exemple est celui de l’ancien sélectionneur des Diables rouges et joueur emblématique du Standard, Marc Wilmots. En 2002, lorsqu’il s’affiche sur la liste du MR, il fait partie des recrues les plus populaires, lui ayant obtenu un nombre impressionnant de voix de préférence. Cependant, même si c’est une personnalité publique, il n’a pas atteint le succès espéré, étant inadapté au monde politique.
Avec l’avènement d’Internet et des réseaux sociaux dans les années 2000, cette stratégie a pris une toute nouvelle dimension. La viralité des réseaux sociaux permet à ces candidatures d’atteindre un bien plus large public.
Ce phénomène n’est pas propre à la Belgique francophone. On l’observe aussi du côté flamand, mais avec quelques différences. “En effet dans le nord du pays, les personnalités, on les appelle les BV, les bekende vlamingen. C’est assez amusant, parce que là, le mouvement va aussi dans l’autre sens : des personnalités politiques deviennent des BV. Ils deviennent presque des protagonistes d’émissions de télé-réalité ou d’émissions de divertissement. Il n’y a pas vraiment cette nécessité d’aller chercher des gens du star-system pour étayer les listes politiques” nous dit Nicolas Baygert, docteur en information et en communication et intervenant politique sur LN24.
Cela s’applique aussi en dehors de nos frontières : “En France, du côté du Rassemblement National, il y a quelques anciens journalistes dont le visage a un peu marqué l’opinion, mais ce n’est pas comparable avec ce qu’on connaît ici en Belgique. Il y a aussi évidemment le cas connu de Zelensky. On a aussi plein d’exemples de clowns qui arrivent en politique, en quelque sorte. Je pense à Beppe Grillo en Italie ou encore Coluche en France. Aux États-Unis, c’est vrai qu’il y a aussi certaines traditions, notamment côté républicain. Ronald Reagan, par exemple, est un ancien acteur. Mais je dirais que ce n’est pas un phénomène systémique. C’est vraiment des choix des personnes à un moment donné qui se disent “moi je vais aller en politique, je vais défendre quelque chose, des idées”.
Mais en considérant les cas à l’international, l’expert politique relève toutefois une particularité sur notre territoire. “En Belgique, les partis vont vraiment sélectionner et chercher des gens connus. C’est moins une démarche volontaire de la part des personnalités. Nous avons un écosystème particulier”. Malgré sa petite taille, la Belgique possède beaucoup de niveaux de pouvoir et donc, de nombreux postes à combler.

“En Belgique, les partis vont vraiment sélectionner et chercher des gens connus. C’est moins une démarche volontaire de la part des personnalités”
Nicolas Baygert
Un lapin de différentes couleurs
Le phénomène de lapin blanc s’applique surtout aux partis historiques et installés depuis longtemps, relève Thomas Gadisseux. Les plus petites listes n’ont pas les moyens d’attirer certaines célébrités, car elles ont moins d’avantages à leur proposer en contrepartie de l’image dégagée et des voix rapportées. “Il faut leur amener des bonbons”. Comprenez, une bonne place sur une liste, et un mandat à la clé.
Derrière cette stratégie, Nicolas Baygert note que Georges-Louis Bouchez, par exemple, utilise ces recrues pour renforcer son autorité interne, s’assurant ainsi leur loyauté. Cette approche permet au MR de compenser la difficulté à former des « bêtes politiques » après plusieurs années dans l’opposition.
Mais qu’en pensent les personnalités de ce parti concernées par cette stratégie ? Denis Collard, présentateur météo à la RTBF et élu à Bertrix ainsi que Aisling D’Hooghe, hockeyeuse internationale et échevine à Waterloo, affirment que leur engagement en politique dépasse la simple volonté de « faire office d’attrape-voix ». Pour Denis Collard, l’envie de s’impliquer est avant tout motivée par un engagement personnel. Sa notoriété lui permet peut-être de gagner en visibilité, mais il estime que son impact reste limité.
Chez Les Engagés, la démarche est assez similaire, avec des recrutements comme celui d’Yves Coppieters, qui permettent au parti de se différencier de son héritage CDH en misant sur des profils issus de la société civile. François Desquesnes, Vice-ministre-président et ministre à la Région wallonne estime que “ces personnalités publiques apportent une expertise, un avis, une expérience dans un certain domaine d’action”.
En revanche, des partis comme Écolo et le PS se montrent plus réservés. Antonio Solimando, porte-parole d’Écolo, insiste sur l’importance de recruter des candidats qui portent un projet concret, et non uniquement des figures populaires. Du côté du PS, la tradition repose davantage sur la promotion interne de militants qui gravissent petit à petit les échelons au sein du parti. Cette approche vise à « fabriquer des bêtes politiques » à travers un long parcours, plutôt qu’à attirer des célébrités.
Enfin, le PTB n’adopte pas cette pratique mais ne s’y oppose pas non plus. “C’est même positif que des personnalités qui ont une certaine opinion la révèlent clairement” déclare Germain Mugemangango, député wallon et membre du PTB. Cependant, très peu de personnalités publiques sont présentes sur ces listes. “En s’alliant au PTB, sans mauvais jeu de mots, tu es marqué au fer rouge” explique Nicolas Baygert. Selon lui, le parti va plus chercher des jeunes qui sont actifs dans la militance.

“Est-ce que ma petite notoriété acquise permet d’avoir plus de votes ? J’imagine que cela peut un petit peu jouer, mais dans mon cas, pas énormément”
Denis Collard
La montée en puissance de ce phénomène de “lapins blancs” reflète une transformation fondamentale dans la façon dont la politique belge est perçue et vécue par les électeurs.
En intégrant des personnalités venant des domaines comme le sport, la culture, les médias, on remarque que les partis visent à rendre la politique plus accessible et engageante pour un électorat souvent déconnecté du paysage politique.
Mais derrière cette stratégie, certaines questions persistent. Ces personnalités apportent-elles vraiment une plus-value politique ou sont-elles mises en vitrine pour servir d’attrape-voix ? Les partis ne répondront jamais réellement à cette question et argumentent qu’il faut répondre à des “compétences” pour pouvoir être “repris” sur les listes, laissant tout de même un flou sur leurs réelles intentions à propos de l’utilisation de ces lapins blancs. Un jeu politique certain, mais qui soulève pas mal de questions éthiques en ce qui demeure être le choix le plus important des citoyens dans notre société démocratique.