Dealer est synonyme de danger ? Dealer vous oblige-t-il à être en dehors de la société ? À devenir l’ennemi des policiers ? Néo n’est pas d’accord. Pour lui, être dealer, c’est seulement être salarié de la rue.
Photos et texte : Marie Ruwet
Néo est arrivé en Belgique à l’âge de 8 ans. Une passeuse l’a abandonné à Zaventem alors qu’il devait se rendre à Londres pour retrouver son père, mort peu de temps après. Les fréquentations qu’il a eues l’ont amené petit à petit à Matongé. Au début, il observait uniquement ce qu’il se passait, puis il a fini par intégrer le milieu de la drogue. Cependant, il a décidé de ne pas lâcher ses études et a toujours gardé un pied dans « la grande société ».
Néo différencie en effet deux sociétés : la grande, celle du monde extérieur, et la petite, Matongé et plus spécifiquement, la galerie.
Un enfant pleure, un sans-abri appelle à l’aide, une femme court pour prendre son bus, tout va trop vite. Seul avec ses poches remplies, il ne se sent pas serein dans la grande société. Mieux vaut se déplacer en trottinette ou à pied au lieu d’emprunter les transports en commun où les chiens peuvent venir le renifler.
Après avoir travaillé toute la nuit pour les services publics, Néo retourne sa casquette et se rend à son deuxième lieu de travail. Là-bas, il se considère comme salarié de la rue. Il ne fait pas de différence entre ces deux boulots mis à part que pour l’un des deux, il vend de la drogue.
Dans la galerie, c’est une vraie vie de famille : il peut y avoir des actes violents, des bagarres, mais ça reste toujours dans un cadre familial. « Une petite discussion peut devenir un tremblement de terre, mais finalement, on mangera tous dans les mêmes assiettes ».
Dans la petite société, il y a de petites entreprises : les mamans qui tressent et vendent des habits, d’autres qui proposent de la drogue et finalement, ceux qui volent dans la grande société et puis vendent dans la galerie. Pour n’importe quel business ici, il suffit d’un client pour que tout change ; 10 euros peuvent influencer l’ambiance de ce lieu.
Dans la galerie, la notion de partage est constante : contrairement à la grande société où l’homme ne va penser qu’à lui et à son profit, dans ce petit « village », la valeur principale de la communauté est l’entraide et la générosité. À midi, Néo propose la moitié de son sandwich à un jeune congolais sans abris. On peut voir le désespoir dans ses yeux, il refuse la nourriture. Néo le regarde avec ses grands yeux noirs et craque avec ses dents la drogue. Il lui offre un morceau.
Ici, l’argent qu’il gagne est soit dépensé pour la nourriture, soit envoyé à sa famille au Congo. Lui et ses collègues ne sont pas ici pour faire du profit ou essayer d’embobiner la grande société. Si c’était le cas, les policiers essaieraient beaucoup plus rapidement d’y mettre un terme.
« Nous ne sommes pas acceptés par la société, mais sans nous, ce serait le néant. Des sans-abris jusqu’aux avocats, nous sommes les seuls à aider toutes les classes sociales. Le système ne nous arrête pas, car il a besoin de nous pour établir le calme et la détente. »
Les dealers de la galerie sont tous indépendants. Ils ne dépendent pas d’un supérieur. Ils viennent chaque jour à la galerie avec le nombre de grammes qu’ils ont envie de vendre. Un client arrive et aussitôt, une masse de vautours se forme autour de lui. Chacun veut vendre sa propre beuh. Cependant, il y a une tournante assez saine entre eux. Chacun fait son business, mais ensemble ils se respectent et se protègent.
Quand il y a une descente, les sœurs, les mamans et toute la communauté les aide à ne pas être attrapés : tout se passe vite et avant même que les policiers n’arrivent sur place, les sachets de cannabis sont déjà jetés à terre et les dealers partis vers des endroits secrets encore habités par des toxicomanes.
Avec les policiers, c’est le jeu du chat et de la souris : si la police les attrape avec de la consommation dans leur poche, le dealer a perdu et doit accepter les règles. Si elle les arrête, mais il n’y a aucune preuve physique, elle les relâche.
C’est le jeu. La partie se répète à multiples reprises, chaque membre commence à comprendre le système : « D’un côté, ils savent qu’on vend et nous on sait que c’est la police, mais à force de passer du temps ensemble, ça crée des liens. On devient même parfois amis. »
Une voiture de police passe dans la rue. Néo ne cherche pas à se cacher, au contraire, il s’approche de la voiture et commence à bavarder avec le conducteur. C’est Fabrice, un policier blanc qui a appris le lingala. Pour lui, Néo et certains autres dealers sont comme ses fils. Après une poignée de main amicale, il ne les contrôlera pas aujourd’hui, et poursuit son chemin.
Néo a conscience que ce qu’il réalise n’est pas légal, mais il en a besoin pour faire vivre sa famille, car les dettes s’accumulent et un petit boulot dans la grande société n’est pas suffisant.
Néo n’a pas envie de quitter ce quartier rempli d’histoires et de secrets. Dès qu’il ne va pas bien, il sait que passer par sa rue le fera raisonner et prendre de bonnes décisions. Les occupants sont là l’un pour l’autre, peu importe ce qui arrive. « On fume un peu, mange un peu et on se calme. Ca évite de faire des bêtises. »