Titres-services : des cacahuètes et des poussières

Elles sont 150 000 aides ménagères à travailler dans les titres-services et 90% d’entre elles le font à temps partiel, pénibilité du travail et vie de famille obligent. D’ordinaire dispersées dans les foyers, elles s’unissaient ce mois-ci pour faire entendre leur voix. 

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Photo : Inés Verheyleweghen (CC BY NC ND)

Elles sont 150 000 aides ménagères à travailler dans les titres-services et 90% d’entre elles le font à temps partiel, pénibilité du travail et vie de famille obligent. D’ordinaire dispersées dans les foyers, elles s’unissaient ce mois-ci pour faire entendre leur voix. 

Photo : Inés Verheyleweghen (CC BY NC ND)

Il est neuf heures du matin, jour de grève nationale. Des aides ménagères et leurs représentantes syndicales se rejoignent devant le siège social de Daoust, une entreprise qui emploie plus de 3.500 personnes dans le secteur. C’est le début d’une série d’actions, qui ont pris fin ce 20 décembre. Abdel, secrétaire permanent de la FGTB, distribue des tracts. Parmi les revendications : une augmentation des salaires et des indemnités de déplacement, ainsi qu’une amélioration des conditions de travail.

« Et qu’est-ce qu’on veut ? Plus de salaires. Quand est-ce qu’on le veut ? Maintenant », scandent une soixantaine d’aides ménagères à la fenêtre du grand patron. Si des négociations sectorielles sont en cours depuis septembre, celles-ci semblent, à ce jour, au point mort. Federgon (la fédération patronale du secteur) plaide pour une augmentation des salaires limitée à 0,4% pour les deux prochaines années. Une proposition jugée scandaleuse par les différents syndicats.

Difficultés à payer les factures, à nourrir les enfants à charge, pénibilité du travail et impact de la crise sanitaire… Deux travailleuses ont saisi le parlophone et s’expriment. Face à elles, les autres acquiescent. Des banderoles sur lesquelles on peut lire « les aides ménagères ne lâchent rien », « payer pour travailler, non merci ! », « Bénéfices Daoust : 600 000€ en 2020, et rien pour les travailleuses ? » sont agitées. Je me fraie un chemin parmi ces femmes rassemblées pour m’adresser à elles. « Me suivre pendant une journée pour un reportage ? Ça ne me pose pas de problème. » répond Karima. « Mais c’est le client et l’employeur qu’il faut convaincre. Et pour ça, bonne chance ! Le client, tu crois qu’il a envie qu’on montre la crasse qu’il nous laisse ? Parfois, je me dis qu’on est considérées comme femmes d’ouvrages plutôt que comme aides ménagères. »

Heures prestées, heures éprouvées

La cuisine est presque propre. Reste à y passer l’aspirateur et à donner quelques coups de chiffon. Mariam a commencé sa journée il y a une heure déjà. Aujourd’hui, elle n’a que trois heures à prester. Chez des clients qu’elle connait depuis ses débuts. Une journée rêvée, presque. Alors qu’elle s’attaque aux poussières du salon, elle m’explique, entre deux gestes maîtrisés, qu’elle a été contrainte, par son médecin, à passer d’un temps plein à un mi-temps.

Après 15 ans à travailler dans la filière des titres-services, son corps l’a complètement lâchée. Cette dame de 58 ans, mère de trois enfants, s’est retrouvée en arrêt maladie un moment. Depuis, elle n’a jamais pu reprendre son activité comme avant. Arthrose, mal de dos, cervicalgies, ces craquements l’accompagnent dans chacune de ses tâches. Récemment, ce sont ses doigts qu’elle a commencé à ne plus sentir. Une histoire de canal carpien. Son cas n’est pas isolé. Toutefois, aucun de ces maux n’est considéré comme maladie professionnelle. Plus interpellant encore, selon une étude récente de la CSC auprès de ses affiliées, elles seraient 43% à repousser souvent ou très souvent une consultation médicale ou l’achat de médicaments, faute de moyens.  

Je l’accompagne au premier étage, où se trouve la buanderie. Elle consacre sa dernière heure et demie au repassage. La cliente nous interrompt, elle vante les mérites de celle qui fait « partie de la famille ». Une fois repartie, Mariam exprime la chance qu’elle a d’avoir des clients avec qui tout se passe bien, qui mettent à sa disposition de bons produits et de bons appareils électroménagers. Toutes ses collègues ne peuvent pas en dire autant. Alors que la pile de chemises pliées s’élève, elle m’explique que certaines d’entre elles ont même déjà été confrontées à du racisme : porte fermée au nez lorsqu’elles arrivent pour la première fois, demandes de « voir les photos des filles » au préalable … Heureusement qu’avec ses employeurs, la relation est bienveillante.

Des entreprises sociales ou commerciales

Mariam est employée par Eko services. Une entreprise qualifiée de sociale, m’expliquera Laeticia. Elle aussi, elle est bien tombée. Sans le faire exprès. « Avant d’être déléguée syndicale, j’ignorais qu’il existait des différences entre les sociétés. Je l’ai appris il y a cinq ans, alors que j’avais déjà dix ans de métier. Le but des entreprises sociales, c’est la réinsertion et non pas les bénéfices, contrairement aux entreprises commerciales. »

Le secteur est subsidié à 70% par l’État. « Mais l’entreprise n’a aucune loi qui lui dicte quoi faire de cet argent. Elle en fait ce qu’elle veut. Une société commerciale va préférer rétribuer ses actionnaires et mettre les sous dans sa poche, alors que l’entreprise sociale va prendre en charge les frais de déplacement, offrir des chèques-repas, permettre la tenue de formations… » Ces différences de traitement se sont surtout faites sentir pendant la crise sanitaire. Le secteur a reçu des aides publiques, pour contrer les pertes liées à l’arrêt des activités. Ces aides, dans les entreprises sociales, ont servi à compléter le salaire des travailleuses qui ne touchaient plus que 70% de leurs revenus, déjà moindres lorsqu’elles ne sont pas en chômage partiel. Dans les entreprises commerciales, raconte Laeticia, « ils ne se sont pas souciés d’elles. J’avais de la peine pour mes amies. On ne savait pas combien de temps ça allait durer en plus. Certaines parlaient de revendre leur voiture, tellement qu’elles n’avaient plus de quoi vivre. Mais ce n’est qu’une solution à court terme, pour avoir, quoi, 1000 euros sous la main ».

Pourquoi ne pas changer d’employeur alors ? Perte d’ancienneté, nulle certitude d’être embauchée dans l’entreprise voisine, et puis surtout, la plupart d’entre elles ignorent que c’est (un peu) mieux ailleurs.

Trois déléguées syndicales tiennent une banderole "Les aides ménagères ne lâchent rien"
CSC (chrétiens), FGTB (socialistes) et CGSLB (libéraux). Les trois syndicats étaient présents ce 6 décembre devant le siège social de Daoust. Photo : Inés Verheyleweghen (CC BY NC ND)
Au pied des manifestantes, les cacahuètes qu'elles ont lancées
Les aides ménagères présentes sur place ont renvoyé les cacahuètes qu’on leur propose. Littéralement. Photo : Inés Verheyleweghen (CC BY NC ND)
Pancarte "Sans accord salarial, pas de paix sociale"
Les syndicats et employeurs se sont réunis à nouveau le 16 décembre pour négocier. Aucun accord a été trouvé. Photo : Inés Verheyleweghen (CC BY NC ND)
Deux déléguées syndicales agitent un drapeau de la FGTB, avec dans le fond le Palais de Justice
La FGTB souhaite que les travailleuses gagnent 14€ bruts de l’heure. Photo : Inés Verheyleweghen (CC BY NC ND)
Mariam, aide-ménagère, pose dans la cuisine nettoyée de son client
Mariam travaille depuis quinze ans dans le secteur des titres-services. Pour sa pension, elle estime qu’elle touchera 1060 euros/mois. Photo : Inés Verheyleweghen (CC BY NC ND)
Mariam déplace un meuble pour y passer l'aspirateur
Une fois que les mauvaises habitudes de posture sont prises, il est dur de s’en débarrasser. Photo : Inés Verheyleweghen (CC BY NC ND)
Mariam sort les habits propres de la machine à laver
Des formations en ergonomie, Mariam en a eu. Mais lorsqu’il faut se dépêcher, le bien-être passe souvent à la trappe. Photo : Inés Verheyleweghen (CC BY NC ND)
Dans la buanderie se trouvent tous les produits d'entretien que Mariam doit utiliser
Lorsque Mariam et Laeticia ont débuté dans la profession, il n’y avait ni interdits ni formations. Laeticia a développé une insuffisance respiratoire à cause de la javel et d’autres produits. Photo : Inés Verheyleweghen (CC BY NC ND)
Gros plan sur les mains de Mariam, usées par les produits
Mariam ne sent parfois plus ses doigts. Ses mains sont usées par les produits, et ce, malgré les gants qu’elle porte. Photo : Inés Verheyleweghen (CC BY NC ND)
Mariam se déplace dans la grande maison pour aller ranger les chemises qu'elle vient de plier
Mariam connait chacune des pièces de la maison. Elle a même organisé le déménagement de ses clients dans ce nouvel espace. Photo : Inés Verheyleweghen (CC BY NC ND)

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