Photo : Elodie Clement
Habiter un lieu est une banalité pour certains, une lutte quotidienne pour d’autres. C’est le cas du collectif Zone neutre, un groupe d’une soixantaine de sans-papiers, qui occupent un bâtiment vide à Woluwe-Saint-Lambert. Ils défendent le droit au logement pour tous et toutes, et luttent pour la régularisation des sans-papiers. Le 22 octobre dernier, ils ont échappé de justesse à une menace d’expulsion.
Un grand bureau dressé au milieu de la pièce donne au 451, Avenue Georges Henri, une allure à mi-chemin entre le squat et la salle de réunion. Une odeur de hall de gare, de marc de café et de tabac froid flotte dans l’air. Si le lieu a une apparence glaciale, une chaleur et une familiarité s’en dégage. Il est habité par le feu de celles et ceux qui luttent. Les éclats de voix caractéristiques des balbutiements d’enfants se mêlent aux conversations étouffées, et comme du velours, habillent la froideur des murs.
Ce soir-là, une cinquantaine de personnes se tiennent dans ce décor. Au milieu d’eux se trouve un homme au visage détendu mais fatigué. C’est Saïd, le porte-parole du collectif, qui anime une réunion. « C’est un projet de lutte. Le logement, c’est un droit. On a le droit d’être ici ». Régulièrement, il passe du français à l’arabe pour faire comprendre son discours à l’ensemble de son auditoire.
Le collectif existe depuis 2021 et a occupé quatre bâtiments différents. Depuis le cinq aout dernier, ils occupent celui-ci, qui appartient au Groupe des États d’Afrique, des Caraïbes et du Pacifique (ACP), vide depuis trois ans.

« Une partie des propriétaires a porté plainte contre nous. Il y avait l’expulsion normalement le 22 octobre. On a mobilisé notre réseau, on a résisté. Grâce à ça, on a réussi à avoir un recours ». Désormais, ils attendent de savoir s’ils pourront ou non signer une convention, qui leur permettrait de rester un certain temps dans le bâtiment.
Le froid et l’incertitude s’invitent
Une dizaine de minutes après le début de la réunion, les lampes qui brûlaient à l’essence s’éteignent subitement. Le groupe décide de continuer la discussion dans le noir. Depuis deux mois, les occupant·es sont privé·es d’électricité. Une difficulté qui s’additionne à toutes celles qui compliquent leur quotidien.
Naïma* a fini ses études il y a peu. Sa voix gracile dégage une optimismeà toute épreuve. Elle est née en Belgique et a donc ses papiers mais, victime de la crise du logement à Bruxelles, elle ne peut pas assurer un loyer. Elle vit avec le collectif depuis plusieurs mois. « À cause de la coupure d’électricité, il fait hyper froid le soir. Le froid me gêne plus que le manque de lumière. Aussi, il n’y a pas de douche ici. Chacun se débrouille, il faut se laver chez des amis, à la salle de sport… ».
La vie dans une occupation, c’est aussi la crainte d’être expulsé. « Moi, c’est différent, je sais que je pourrai trouver mon propre logement. Mais tu ne peux pas vivre comme ça, c’est vraiment super difficile de pas savoir si tu peux rester habiter dans un endroit. C’est effrayant, parfois tu dors pas, tu dors super mal. »

Négocier la signature d’une convention permettrait au collectif d’avoir plus de confort, notamment en rétablissant l’électricité. L’obtenir est aussi un préalable aux demandes de régularisation, car le convention offrirait une adresse aux occupant·es. Saïd explique : « Nous ici, on est dans le cas de la migration économique, et ça ne nous donne pas le droit de demander l’asile. C’est un problème. C’est pour ça qu’il faut qu’on arrive à signer une convention. Il faut avoir une adresse. Si t’as pas d’adresse, même si tu as tous les arguments, tu peux pas déposer un dossier de régularisation. »

La trajectoire de Selim, entre attente et désillusion
Selim balade sa silhouette élancée dans le rez-de-chaussée du bâtiment, avant de larguer les amarres sur une chaise un peu isolée du groupe. Il tapote inlassablement avec son stylo sur le coin d’une table, un peu nerveux, mais souriant et d’une apparente légèreté. Sur son passé, Selim reste volontairement évasif. La seule chose qu’il confie : « Moi quand je suis arrivé en Belgique, t’étais pas encore née, je te jure, j’en suis sûr ». Il est arrivé dans le collectif en 2021, par hasard « Je suis passé devant, j’ai vu une banderole ‘lutte pour la régularisation’. J’ai été voir, et voilà, ça a commencé comme ça ».
Selim est lui aussi un migrant économique et souffre des difficultés qui y sont liées. « J’ai fait une procédure, mais ça a échoué. Mon dossier, ils l’ont laissé trainer, trainer, trainer… Je suis parti sur un recours, ça a duré deux ans et ça n’a pas abouti non plus. Je veux faire une nouvelle tentative, mais l’avocat m’a demandé une somme d’argent que j’ai pas. »
Au fur et à mesure de ses confidences, son air joyeux se voile. « Franchement l’avenir, pour moi c’est sombre… C’est vraiment flou et je vais pas te mentir, j’ai perdu espoir. À la base mon objectif en venant ici c’était avoir les papiers. Je me disais, peut-être c’est plus facile de passer par un groupe, on va plus m’écouter. Mais j’ai compris que non… »
Comme une très grande majorité des membres du collectif Zone neutre, Selim travaille. Il est livreur. Pourtant, l’accès au logement reste un éden impossible pour lui. « Un loyer, il faut l’assumer. Avant, tu trouvais un studio à Bruxelles pour 380 euros… Maintenant quand je regarde pour louer, dès que je vois les prix, je pars en courant. Ça m’énerve, ça me stresse, je te jure. »
Il se lève et continue sa déambulation dans ce lieu où s’entremêlent les difficultés liées à la régularisation et au logement. Un lieu dont les habitant·es vivent dans l’inconnu. Obtiendront-ils la signature d’une convention ? Cela serait comme une trêve dans leur combat en zone neutre.
* nom d’emprunt