Refuge LGBTQIA+ : une année pour se retrouver

La fondation Ihsane Jarfi héberge des Liégeois.es qui ont été exclu.es par leurs parents, en raison de leur identité de genre et orientation sexuelle.

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Photos : Ivo Da Silva

La fondation Ihsane Jarfi héberge des Liégeois.es qui ont été exclu.es par leurs parents, en raison de leur identité de genre et orientation sexuelle.

Photos : Ivo Da Silva

Le 30 septembre dernier à Montgeron, en France, eu lieu une agression dont la vidéo est rapidement devenue virale. Celle-ci montrait un adolescent passé à tabac par une dizaine de personnes homophobes. Ce crime fait écho à de nombreux autres, dont celui qui a touché Ihsane Jarfi en 2012, massacré à mort à Liège par quatre individus. La fondation dans laquelle nous nous rendons aujourd’hui a décidé de rendre hommage à ce Belge en lui empruntant son nom, faisant de lui un symbole.

Photo d'une femme transgenre
Une jeune femme transgenre se prête au jeu des photos, dans son appartement. Photo : Ivo Da Silva (CC BY NC ND)

Une équipe motivée et motivante

Nous rencontrons Léa et Cyril, éducateurs, dans les locaux de la « Maison Arc-En-Ciel », dans un bureau qu’on leur prête, en attendant qu’ils puissent s’agrandir et avoir le leur. Le lieu est rempli de livres portant sur la question du sexe et du genre. Cyril a du maquillage bleu ciel autour des yeux qui met en valeur son regard. Léah semble plus réservée, moins volubile. Ils racontent leur parcours. « Nous avons d’abord commencé comme bénévoles avant d’être engagés, c’est une cause qui nous tient très à cœur », dit Cyril. Sa collègue ajoute : « la demande est de plus en plus grande à mesure qu’on se fait connaître ». Pour l’instant, le refuge ne loge que quatre jeunes âgés de 18 à 26 ans dans deux appartements liégeois. Deux autres sont hébergés dans une auberge de jeunesse car la fondation n’a pas assez de refuges pour répondre à la demande. « Nous avons visité un duplex à quatre chambres hier, mais notre objectif à moyen-terme serait d’avoir une grande maison », précise Cyril.

Ils ne sont que deux pour s’occuper à plein temps de celles et ceux qu’ils appellent « nos jeunes », pourtant pour certains plus âgés qu’eux. Leur rôle d’acteurs du terrain consiste à être à l’écoute des désirs et interrogations de ces LGBTQIA+, de les conseiller concernant leurs études ou travail, de les épauler dans les moments difficiles et de faire respecter certaines limites. Ils insistent sur l’une d’entre-elles : « nous les aidons à se réinsérer, à se retrouver d’un point de vue personnel, mais cela ne peut durer qu’une année maximum. Leur autonomie est notre priorité et ils devront à l’avenir laisser la place à d’autres ».

Appel à l’aide

Si ces LGBTQIA+ ont fait appel à la fondation, c’est qu’il y avait urgence, qu’il était temps de quitter leur maison familiale au sein de laquelle ils subissaient des violences verbales, psychologiques et parfois même physiques. « Il leur arrive parfois de nous confier leur histoire dès la rencontre, mais très souvent ils n’ont même pas besoin de parler pour qu’on les comprenne », explique Cyril, la mine grave. Plusieurs d’entre eux ont par ailleurs fait des tentatives de suicide ou s’automutilaient avant d’arriver au refuge.

« Ma famille m’a mégenrée, critiquée et humiliée pendant des années. »

« Ma transidentité a choqué mon beau-père qui a insisté auprès de ma mère pour que je parte. »

« Mes parents m’ont insultée et frappée quand j’ai révélé être lesbienne. »

Voici quelques-uns des nombreux témoignages que l’on a pu lire le 11 octobre dernier sur Twitter, lors de la journée internationale du coming out.

Ibrahim fait partie d’une équipe de onze personnes bénévoles qui veillent au bien-être des hébergés. Sa joie de vivre et la douceur de son regard inspirent la confiance. « Nous sommes comme des grands frères et grandes sœurs. On les soutient et on les conseille », dit-il d’une voix enjouée. Les bénévoles se relaient pour assurer une présence régulière, mais tous n’ont pas accès aux appartements. « Nous tenons à la discrétion des domiciles, c’est un point très important pour protéger nos jeunes », explique Léah.

Vivre heureux, vivre cachés

Nous arrivons chez deux jeunes femmes transgenres de vingt ans à peine, que nous appellerons ici Marie et Cath. Léah, l’éducatrice, insiste pour que nous ne photographions ni le quartier, ni les immeubles voisins. L’appartement est grand et très peu décoré car elles ont l’interdiction d’afficher quoi que ce soit qui pourrait abimer les murs. Sur la table basse du salon trônent quelques fascicules, dont plusieurs qui font état des maladies et infections sexuellement transmissibles. « Nos hébergé.es découvrent leur sexualité, leur identité et leur corps. Il est nécessaire de les prévenir des risques liés au sexe non-protégé », précise Cyril.

Marie s’empresse de nous montrer sa grande chambre en désordre, sa télé et tous ses DVD. Cath, plus discrète, fuit d’abord notre regard, mais se met à nous parler une fois à l’aise. Léah et un bénévole s’attablent avec les deux jeunes femmes hébergées et s’intéressent à leur alimentation, en leur prodiguant de précieux conseils : « Essayez de manger sainement, pensez à acheter plus de légumes. Les frites, c’est pas trois fois par semaine ». Les jeunes filles sont réceptives et posent de nombreuses questions. La relation entre les bénévoles, les éducateurs.trices et les hébergé.es semble franche et bienveillante. Iels parlent ouvertement de leurs sentiments, se confient aisément sur les difficultés rencontrées et expriment également leurs petites joies du quotidien. Marie mange des crêpes et s’en réjouit. Cath est au régime car elle souhaiterait ressembler à Kim Kardashian. « Ce n’est pas un modèle », explique immédiatement Léah.

Ihsane Jarfi est une fondation sans laquelle ces jeunes dormiraient à la rue, du simple fait de leur identité. Un refuge, une passerelle, un tremplin, une deuxième maison. Même pour certains, une deuxième famille.

Photo du bénévole Ibrahim
Ibrahim, le bénévole, est attentif et propose des idées pour améliorer la prise en charge des hébergés. Photo : Ivo Da Silva (CC BY NC ND)
Photo de livres de la bibliothèque de la fondation
Quelques-uns des nombreux livres sexo de la bibliothèque de la fondation, disponibles à la location pour les hébergés. Photo : Ivo Da Silva (CC BY NC ND)
Photo d'appartement de la fondation Ihsane Jarfi
La décoration quelque peu clinique de l’appartement refuge. Photo : Ivo Da Silva (CC BY NC ND)
Photo d'une consigne dans l'appartement : "Rangez vos chambres"
La fondation ne plaisante pas quant à la propreté et la bonne tenue des appartements. Photo : Ivo Da Silva (CC BY NC ND)
Photo du bénévole et des deux jeunes femmes trans
Le bénévole Ibrahim conseille aux deux hébergées de manger plus sainement. Photo : Ivo Da Silva (CC BY NC ND)
Photo des deux jeunes femmes trans dans leur appartement
Les deux jeunes femmes sourient à la suite d’une blague de Marie. Photo : Ivo Da Silva (CC BY NC ND)
Photo du drapeau gay sur la façade de la fondation Ihsane Jarfi
Le drapeau arc-en-ciel sur la façade de la maison Arc-En-Ciel et de la fondation Ihsane Jarfi. Photo : Ivo Da Silva (CC BY NC ND)

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