Quel avenir pour le peuple syrien ?

L’après-Assad : espoirs et incertitudes pour les Syriens sous l’autorité des rebelles

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Crédit photo: Pexel

L’après-Assad : espoirs et incertitudes pour les Syriens sous l’autorité des rebelles

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A la suite d’une offensive éclair des rebelles syriens, le régime de Bachar al-Assad a chuté avec la prise de Damas ce week-end. Sur les réseaux sociaux, des vidéos de statues déboulonnées et de foules en liesse reflètent l’espoir d’un nouveau départ pour une population meurtrie par des années de guerre. Mais cet espoir est-il fondé ? Sous l’autorité de Hayat Tahrir al-Sham (HTS), un groupe classé comme organisation terroriste par le département d’État américain, quel avenir attend les Syriens ? Elena Aoun, professeure en relations internationales à l’Université catholique de Louvain, apporte son éclairage sur les enjeux de cette transition.

Comment les rebelles ont-ils réussi à prendre le pouvoir aussi rapidement ?

Il y a eu une offensive éclair qui n’a pas rencontré la moindre opposition de la part d’un appareil sécuritaire pourtant réputé pour être significatif. Les forces militaires et la police se sont littéralement évaporées.

À cela s’ajoute un autre facteur : la prise de distance des alliés traditionnels du régime d’Assad. D’abord, la Russie, fortement engagée sur le front ukrainien, semble avoir d’autres priorités que de soutenir un régime qui n’a même pas pris la précaution de se renforcer depuis la stabilisation des fronts. En somme, le message implicite est clair : « Si vous n’avez rien fait pour vous préparer, tant pis pour vous. » La Russie amorce par ailleurs une forme de négociation avec les rebelles, cherchant à préserver ses intérêts stratégiques, notamment pour ses deux bases militaires en Syrie.

Du côté de l’Iran, le pays est préoccupé par les événements à Gaza. L’Iran est également fragilisé, étant dans le collimateur d’Israël et potentiellement d’une future administration Trump. Le Hezbollah, allié clé de l’Iran dans la région, est lui aussi affaibli : il a dû se recentrer sur l’échiquier libanais après avoir subi des pertes significatives, tant en leadership qu’en effectifs et en capacités militaires.

En combinant ces éléments, on peut comprendre, rétrospectivement, pourquoi le régime s’est effondré aussi rapidement.

Est-il envisageable que le clan Al-Assad tente de reconquérir le pouvoir ?

Non, aujourd’hui, Bachar al-Assad a quitté le pays, s’est réfugié en Russie et y a obtenu l’asile humanitaire (et non politique). Les autorités russes ont annoncé sa démission de ses fonctions de président, ce qui ressemble clairement à une mise à l’écart.

En Syrie, il reste encore quelques villes côtières traditionnellement loyales au régime. Cependant, en réalité, il n’y a plus de régime à soutenir ni de cause pour laquelle combattre. Le Premier ministre syrien a également tendu la main aux rebelles dimanche, et ces derniers ont répondu favorablement. C’est intéressant pour nous, en tant qu’observateurs, car il ne s’agit pas d’une continuité du régime, mais bien d’un basculement vers une transition. L’objectif semble être de ne pas partir d’une table rase institutionnelle, mais de capitaliser sur les structures existantes, de s’appuyer sur elles pour reconstruire. C’est un geste qui, selon moi, mérite d’être souligné.

Les Syriens fêtent cette victoire. Mais l’avenir sera-t-il vraiment meilleur sous une prise de pouvoir du HTS ?

Tout d’abord, je n’utiliserais pas le terme « prise de pouvoir ». Le HTS (Hayat Tahrir al-Sham) pourrait être comparé à une mosaïque de factions qui se sont alliées à lui. Ensemble, elles n’ont pas véritablement pris le pouvoir comme pourrait le faire un militaire renversant un président. Comme je l’ai mentionné précédemment, nous sommes encore au tout début d’une transition.

Par ailleurs, le chef du HTS, Abou Mohammad al-Jolani, n’a pas fait de déclaration visant à se proclamer « calife à la place du calife ». Dans ses discours, il a tenu des propos qui se veulent inclusifs et rassurants. Bien sûr, il convient de rester prudent et de ne pas tout prendre pour argent comptant. Cependant, c’est déjà un premier pas, et tout dépendra de la manière dont la transition sera menée, non seulement par cette figure et cette faction, mais également par les autres factions et acteurs impliqués.

En tout cas, je n’ai pas eu l’impression qu’Abou Mohammad al-Jolani cherche à devenir le nouveau dictateur de la Syrie. Du moins, il n’a pas adopté les démarches traditionnelles associées à une prise de pouvoir autoritaire, comme s’installer dans le palais présidentiel, par exemple.

Bien que ce groupe se veuille progressiste, il s’agit tout de même d’un groupe classé comme organisation terroriste par le département d’État américain, il y a t’il un risque qu’Abou Mohammed al-Joulani, chef du groupe HTS impose un califat ? 

Pour l’instant, nous sommes dans une transition qui semble vouloir être inclusive. Cependant, il ne faut pas se voiler la face. Premièrement, le HTS a déjà une expérience de gouvernance dans la province d’Idlib, et celle-ci n’a pas été particulièrement concluante. Bien que cette région ait servi de refuge à de nombreux Syriens fuyant le régime d’Assad, le HTS a commis des exactions. Ce groupe a gouverné de manière autoritaire, réprimé la liberté d’expression, emprisonné des opposants, et a même fait face à des manifestations en janvier 2024.

Cette expérience maladroite et autoritaire de l’exercice du pouvoir par le HTS soulève donc de légitimes inquiétudes. L’avenir dépendra de leur capacité à évoluer et à apprendre des erreurs passées. 

Instaurer un califat nécessiterait un appareil militaire et sécuritaire extrêmement vaste. Aujourd’hui, si HTS a réussi sa percée militaire, c’est parce qu’ils ne sont pas seuls. Pour l’instant, la coalition dirigée par HTS est composée d’une très grande diversité de groupes, certains plus radicaux que HTS, tandis que d’autres sont totalement laïques. Ces différentes sensibilités vont probablement se rassembler pour imaginer la Syrie de demain. Dans ce contexte, Hayat Tahrir al-Sham (HTS) ne serait qu’un acteur parmi d’autres.

Comment peut-on imaginer l’avenir politique de la Syrie ?

Il n’est pas certain que les choses évoluent vers une véritable transition inclusive, où un ensemble d’acteurs aurait son mot à dire. Par exemple, des négociations pourraient permettre aux Kurdes d’obtenir une forme d’autonomie.

Pour l’instant, la coalition dirigée par HTS est composée d’une très grande diversité de groupes, certains plus radicaux que HTS, tandis que d’autres sont totalement laïques. Ces différentes sensibilités vont probablement se rassembler pour imaginer la Syrie de demain. Dans ce contexte, Hayat Tahrir al-Sham (HTS) ne serait qu’un acteur parmi d’autres.

Cela dit, je ne parierais pas sur la suite des événements. Je tiens simplement à souligner quelques indicateurs positifs, notamment les démarches du Premier ministre et la transition en cours de la Syrie officielle, qui semble passer d’un régime autoritaire à autre chose.

Comment la Syrie peut-elle construire un régime politique stable et adapté à sa culture tout en évitant les influences externes et les conflits internes ?

Je tiens à souligner que certains acteurs ne sont pas uniquement animés par la bienveillance ; ils poursuivent également des intérêts étroits. On peut penser, par exemple, à la Turquie dans ses relations avec les Kurdes, ou aux oppressions exercées par Israël et les États-Unis.

Si vous imaginez que le futur régime syrien respectera pleinement les droits des homosexuels et des communautés LGBTQIA+, à l’image de certains pays occidentaux, cela n’aura probablement pas lieu. Ces valeurs ne correspondent pas à la culture locale. Il serait contre-productif de tenter d’imposer un « logiciel » démocratique occidental à un pays où ce cadre ne fait pas sens dans l’immédiat.

L’enjeu pour la Syrie est de trouver un espace suffisant pour éviter les pièges d’une guerre intestine et des instrumentalisations externes. Si les Syriens parviennent à élaborer un modus vivendi, ce pourrait être le point de départ d’un renouveau. Tous les régimes évoluent avec le temps : la Belgique, par exemple, est passée d’un État unitaire à un État fédéral grâce à des arrangements constitutionnels novateurs.

Si les acteurs locaux, régionaux et internationaux font preuve de sagesse, la Syrie pourrait se redresser et instaurer un régime qui, même s’il est à coloration islamiste ne devrait pas nécessairement inspirer la peur. Ce qui importe, c’est de permettre aux Syriens de tracer leur propre chemin, adapté à leur contexte et à leur culture.

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