Pourquoi tous les cafés se ressemblent ?

Capitale, Drache, Crème, Bouche… Éparpillés un peu partout dans Bruxelles, ces cafés ont, à quelques détails près, la même carte et une ambiance similaire, que certains jugeront "bobo" ou "tendance". Au fil des mois, le nombre d'enseignes de ce type ne fait qu’augmenter. Assiste-t-on à une uniformisation de nos cafés ?

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© Louise Durieux

© Louise Durieux

Capitale, Drache, Crème, Bouche… Éparpillés un peu partout dans Bruxelles, ces cafés ont, à quelques détails près, la même carte et une ambiance similaire, que certains jugeront « bobo » ou « tendance ». Au fil des mois, le nombre d’enseignes de ce type ne fait qu’augmenter. Assiste-t-on à une uniformisation de nos cafés ?

Vous entrez dans un café et découvrez des murs blancs, des plantes à profusion, une lumière tamisée, une ambiance décontractée, une carte proposant matcha, lait de soja et ‘carrot cake’, un jeune serveur qui vous tutoie… Dans le fond de la salle, un vinyle tourne et ponctue de musique cette atmosphère tendance.

Insta(gramme) pèse dans la balance

Il est indéniable que l’esthétique d’un lieu est devenu un critère primordial. Selon une étude de visit.brussels en 2021, le cadre est le premier critère de sélection pour le choix d’un coffee shop, et ce avant même les tarifs et la carte proposée. Cette importance du cadre est en grande partie due aux réseaux sociaux. 

En effet, depuis quelques années, nous entrons dans une société de recommandation. Grâce au smartphone, la clientèle a plus de prise sur le processus de choix d’un café. Le marketing en est transformé, il ne repose plus uniquement sur les marques pour promouvoir leur enseigne, mais s’appuie aussi sur les individus – influenceurs aussi bien que simples consommateurs – partageant leurs découvertes à leur réseau virtuel.

Ce phénomène a lieu en grande majorité sur TikTok et Instagram. On a tous déjà vu défiler ces vidéos montrant des cafés bruxellois dans notre feed. L’attractivité de ces lieux est étroitement liée à leur potentiel “instagrammable”. Aujourd’hui, il est devenu rare de rentrer dans un café trouvé par hasard. Nous choisissons plutôt un lieu en fonction des expériences que nous avons vues en ligne, cherchant plus ou moins consciemment à recréer ces moments partagés sur les réseaux sociaux. Et qui sait, peut-être à notre tour, alimenter nos propres publications sur ces plateformes.

Aller au café, pour quoi faire ?

Si les réseaux sociaux ont joué un rôle, les envies et les habitudes des Belges ont aussi beaucoup évolué ces dernières années, de même que la manière d’investir un café. Par exemple, avant le Covid, beaucoup de gens avaient l’habitude d’aller prendre leur café avant d’aller travailler. Depuis lors, le télétravail s’est imposé et les laptops ont pris leur place dans les bars. L’afflux des clients s’est réparti sur la journée, et la durée de leur visite est aussi plus longue. 

Les gens viennent travailler quelque part, consomment un café et un croissant et pensent qu’il leur est permis de rester cinq heures, mais ça ne couvre pas nos coûts, il y a une raison pour laquelle un espace de coworking demande 50 euros par demi-journée”, explique Loïc Installé, gérant du Belga & Co – situé à Bailli. Certains clients ont d’ailleurs déserté les cafés, car le côté social et chaleureux était mis en péril. Pour pallier cela, des cafés – dont Belga & Co – ont décidé d’instaurer une ‘laptop policy’. Un bon moyen de refaire des cafés un espace d’échange social et non pas seulement un espace de coworking. 

Ces espaces d’échange social, beaucoup ont voulu en devenir les gérants. Ils ont donc surfé sur la vague et cela explique pourquoi le nombre de cafés tendances a explosé dans certains quartiers. Pas de quoi avoir peur pour Loïc Installé : “Il y a plus d’offres qu’il y a huit ans, c’est certain. Cela ne veut pas pour autant dire qu’il y a plus de concurrence, car la demande elle aussi a énormément augmenté”.  Pour autant, Loïc le sait: “personne n’est fidèle à un café”. Il ne peut donc pas se reposer sur son ancienneté et la réputation qu’il a pu se créer ces dernières années.

Café bobos : indicateurs de gentrification

L’apparition de ces cafés n’est pas qu’une mode, elle est aussi liée à un phénomène bien connu de la capitale belge : la gentrification. Pourtant, ces cafés n’ont pas forcément l’intention consciente de viser uniquement un public aisé. Certains gérants affirment même qu’ils favoriseraient la création de liens et la mixité sociale au sein du quartier dans lequel ils s’implantent. Le problème est que, souvent, les habitants des quartiers sont exclus par les prix pratiqués. En proposant de prix qui ne sont pas en ligne avec les revenus des habitants, les cafés contribuent à accroître la polarisation entre les différentes classes sociales d’un quartier. En d’autres termes, ils peuvent favoriser l’embourgeoisement au lieu de créer de la mixité. Sur le long terme, l’installation massive de lieux branchés provoque même une hausse du prix de l’immobilier et du coût de la vie dans les quartiers concernés. 

Un phénomène que connaît bien Gwenaël Breës, qui a coécrit en 2013, le dossier « Service au bar », qui aborde notamment l’apparition de cafés branchés à Bruxelles et l’absence de mixité sociale qui s’y opère. « Un endroit n’est jamais neutre. Si vous faites des chai latte à cinq euros et des très bonnes soupes bio à neuf euros, ça attirera un public différent que si vous diffusez des matchs de foot avec des bières à deux euros« .

Faites le test !

Nous avons voulu vérifier nos questionnements sur le terrain. Nous avons été prendre des photos dans ces nouveaux cafés tendances et nous les avons comparées avec celles de quelques années auparavant dans ces mêmes lieux. Le constat est sans appel: restaurant, chocolaterie, bar à bières ont laissé place à ces cafés prisés. Voyez par vous même en glissant le bouton blanc de gauche à droite.

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