La compagnie aérienne algérienne profite de son monopole pour tirer profit des familles expatriées, empêchées de rentrer au pays durant la pandémie. Des retrouvailles aux allures de parcours du combattant.
Photos : Numidia Kadri (CC BY NC SA)
Nous sommes le 27 février 2022, sur le tarmac de l’aéroport Frankfurt International, à 385 kilomètres de Bruxelles. Pour les 279 sièges disponibles dans l’avion, 281 expatriés algériens attendent impatiemment de monter dans le vol AH2070. Parmi les voyageurs allemands, on retrouve des Bruxellois, des Carolos, des Liégeois, mais aussi des Parisiens, des Strasbourgeois, des Bordelais, etc. Tous se rendent à Alger pour rendre visite à leur famille, plus revue depuis le début de la pandémie de Covid. Beaucoup rendent visite à leurs proches endeuillés. Pour ce vol de deux heures trente, le prix moyen du ticket aller-retour est de 800 euros. En comparaison, un ticket a/r Paris-New York est de 304 euros.
Des frontières fermées depuis deux ans
Le 17 mars 2020, face à la première vague de l’épidémie de COVID-19, le gouvernement algérien prenait la décision de fermer les frontières terrestres, maritimes et aériennes du pays. L’Algérie n’est à ce moment pas le seul état à établir des restrictions à ses frontières pour endiguer la propagation du virus. Néanmoins, elle va se distinguer par la durée et surtout l’hermétisme de cette fermeture. Si des vols de rapatriement de ressortissants algériens étaient organisés jusqu’à l’été 2020, seuls des avions qualifiés de « spéciaux » pouvaient atterrir à l’aéroport Houari Boumediene. Ces vols sont réservés aux diplomates nationaux et internationaux, détenteurs de passeports de service et aux hommes d’affaires étrangers.
C’est dans ces conditions restrictives que des milliers de membres de la communauté algérienne attendaient la réouverture des frontières de leur pays, dont les portes sont restées closes pendant près de quinze mois. Evidement, lors de l’annonce par le gouvernement algérien de la reprise des liaisons aériennes à partir du premier juin 2021, l’impatience était palpable. Cette impatience a toutefois été rapidement remplacée par l’inquiétude et l’incompréhension, face à une mise en pratique confuse.
Le ticket d’or
Pour ces expatriés, le périple commence bien avant le jour du voyage. Première mission : trouver un billet d’avion. Cette opération plutôt simple, relève d’un véritable parcours du combattant. L’état algérien a le contrôle total sur les vols autorisés à entrer sur le territoire. Il délivre donc des autorisations au compte-goutte sur un régime hebdomadaire, privilégiant la compagnie nationale Air Algérie. Quelques exceptions sont faites avec Air France, British Airways et Vueling. Cependant, leurs autorisations aériennes sont renouvelées tous les deux mois, rendant donc ces liaisons partielles et incertaines.
La stratégie est bien huilée : pour avoir le privilège de pouvoir revoir ses proches, les Algériens préfèrent réserver leurs billets d’avion avec la compagnie Air Algérie, et ainsi maximiser leurs chances de rentrer sur le territoire. Pour ce faire, un site internet affichant un message d’erreur demandant de contacter un agent par téléphone et un call-centrer qui a pour habitude de sonner dans le vide. Le voyageur peut aussi se présenter à une agence de la compagnie… la plus proche pour un expatrié belge se situant à Paris. Pour aspirer à rencontrer un agent de guichet une fois sur place, il faut être présent aux aurores. Ce sont 160 tickets qui sont distribués quotidiennement. Pour espérer obtenir ce sésame, il faut être présent dès 5 h du matin devant l’agence Air Algérie. Des vols évidement pris d’assaut et qui sont rapidement en « rupture ».
Les prix s’envolent
À l’annonce de la réouverture partielle, les prix affichés par la compagnie algérienne ont flambé : il faut en moyenne compter 957 € un aller-retour pour deux heures de vol, entre Paris et Alger. Avant la crise Covid, un tel billet en haute-saison coûtait 280 euros. La compagnie nationale ayant le quasi-monopole des vols, elle pratique une politique tarifaire très élevée, tout au long de l’année. Pour la plupart des voyageurs, il faut également compter le voyage jusqu’à l’aéroport européen accueillant la compagnie algérienne le plus proche. S’ajoutent un test PCR express de moins de 36 heures facturé plus de 100 euros et un test antigénique payant à l’arrivée à l’aéroport de destination. Voyager en Algérie est devenu un véritable luxe.
En dépit des prix abusifs, l’Airbus AH 2070 est complet. Quatre personnes refusées à l’embarquement pleurent en suppliant les hôtesses d’accueil de les laisser rentrer voir leurs proches. Pour que les 281 passagers puissent avoir un siège, des parents d’enfants en bas âge décident de les asseoir sur leurs genoux. Un employé de l’aéroport de Frankfurt me confirme que ces scènes touchantes se succèdent tous les jours. Chaque semaine depuis maintenant deux mois, deux avions décollent en direction d’Alger.
Dans la file d’attente pour embarquer, les passagers s’impatientent. Plusieurs discutent de la flambée des prix. Et de l’importance que revêt ce voyage. « J’habite en Allemagne. Les miens vivent en Algérie » raconte Mya. « Ma fille est née pendant la période Covid et ils n’ont jamais pu voir la voir, c’est la première fois que je vais les voir avec elle. Mon mari n’a pas pu venir avec moi… J’ai payé 1569 euros pour ma fille et moi. On ne pouvait pas se permettre un billet de plus. »
Karima, parisienne, acquiesce : « Pour ceux qui partent à plusieurs, en famille, qui se serrent la ceinture pendant un an ou deux avant de passer quelques semaines en Algérie, c’est impossible. On annonce des tarifs de près de 1000 euros par personne. Avec mon mari et mes deux enfants, nous ne pouvons pas nous le permettre. »
Nous embarquons. A l’heure du décollage, l’avion est lourd d’émotions. Certains regrettent de n’avoir pu faire ce voyage plus tôt. Khatiba soupire : « Mon père est décédé il y a deux jours. J’habite à Metz et j’ai pris la route ce matin pour Frankfurt. Le seul vol disponible était au prix de 1637 euros. Je suis obligée de mettre le prix… je voulais vraiment dire au revoir à mon père. »
Arrivée dans un aéroport vide
Deux heures trente plus tard, l’avion arrive à l’aéroport international d’Alger-Houari Boumediene, l’un des plus grands aéroports d’Afrique. Avec une capacité de 22 millions de passagers par an, il est le premier aéroport africain en termes de capacité, devant celui de Johannesburg. Pourtant, l’aéroport est vide. Depuis la reprise partielle des vols, l’aéroport accueille sur son tarmac moins de dix vols par jour. Un nombre de vols jugé insuffisant par la diaspora algérienne qui a décidé de lancer une pétition ce 26 février dernier. Les signataires réclament « la cessation d’application des tarifs abusifs et hors normes appliquées par la compagnie nationale Air Algérie et les compagnies étrangères qu’elles soient aériennes ou maritimes ». Ils demandent aussi « l’application de tarifs justes et équitables ».
Selon le ministre algérien des Transports, Aïssa Bekkai : « la décision de la réouverture totale des frontières aériennes revient à la Commission scientifique de suivi de la pandémie de coronavirus ». Le ministre a d’ailleurs reconnu l’impact de cette fermeture sur la compagnie Air Algérie en soulignant « les pertes financières et la forte pression » que subit la compagnie algérienne en raison de cette pandémie (ndlr : Aïssa Bekkai a été licencié de son poste de ministre des Transports ce 10 mars). Les Algériens expatriés ont le sentiment de payer, eux-aussi, la perte financière de l’entreprise, causée par la crise sanitaire.
Au bout du compte, l‘incompréhension
Ces quatre derniers mois, l’Algérie connaît son taux le plus bas de contaminations au Covid19. Selon le bilan du ministère de la Santé publié ce mercredi 8 mars, 26 nouveaux cas confirmés de Covid-19 ont été recensés ces dernières 24 heures. La décrue des contaminations en Algérie et la stabilisation rendent plus qu’urgente une reprise normale des dessertes aériennes et maritimes.
Beaucoup d’expatriés s’interrogent sur leur prochaine venue, espérant parfois que leurs au revoir n’étaient pas des adieux. A quel prix pourront-ils retrouver leurs proches cet été ? Le programme de vols autorisés pour la saison estivale devrait répondre à beaucoup de ces questions.