Comment l’externalisation des frontières européennes expose les migrants à des violations ?
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En 2024, selon l’Organisation internationale pour les migrations (OIM), 21 700 migrants ont été interceptés en mer Méditerranée et renvoyés en Libye. Dans ce pays, nombre d’entre eux ont été victimes d’enlèvements, de torture, d’esclavage ou encore de violences sexuelles, selon Amnesty International. Ces violations se produisent-elles avec le consentement de l’UE ?
Depuis la chute du chef d’état libyen Mouammar Kadhafi en 2011, la Libye traverse une période d’instabilité politique. Deux autorités principales s’y opposent :

• À l’ouest, le Gouvernement d’union nationale (GNA), reconnu par l’ONU.
• À l’est, l’Armée nationale libyenne (LNA).
Autour de ces deux autorités gravitent une multitude de milices et de groupes armés, dont l’influence dépasse souvent celle des institutions officielles. Cette fragmentation du pouvoir empêche l’État d’exercer un contrôle réel sur le territoire et ouvre la voie à de nombreuses violations des droits humains. Cette instabilité libyenne sert de cadre à la politique européenne d’externalisation des frontières.
Le principe est simple : l’Europe ne protège plus seulement ses frontières… elle les déplace. Elle délègue le contrôle migratoire à des pays tiers comme la Turquie, le Maroc et la Libye qui deviennent en quelque sorte les nouveaux garde-frontières de l’UE. Or, La Libye est un pays central sur la route migratoire de la Méditerranée
Depuis 2016, l’Union européenne a versé une aide de 465 millions d’euros pour la gestion des migrations et des frontières à la Libye. La Commission refuse de divulguer l’utilisation exacte de ces fonds et a même été reconnue coupable, par le médiateur de l’UE, de mauvaise administration pour ce manque de transparence.
Mais pourquoi cette coopération avec la Libye pose-t-elle problème ?
L’ONG Sea-Watch a recensé au moins 54 incidents violents commis par la « garde côtière libyenne » : tirs, poursuites de bateaux en détresse, entrave aux sauvetages, menaces, violences physiques, abandons de corps en mer, détournements de navires humanitaires. Des enquêteurs mandatés par l’ONU estiment que la coopération de l’UE avec la Libye a aidé et encouragé des violations du droit international – jusqu’à des crimes contre l’humanité. Amnesty International parle d’une coopération « dépourvue de moralité », et dénonce la complicité de l’UE dans les violences infligées aux personnes.
Cette politique d’externalisation maintient donc des dizaines de milliers de personnes dans un pays qui n’est pas sûr pour eux.
« La coopération migratoire de l’UE avec les autorités libyennes revient à se rendre complice d’horribles violations des droits humains. »
Eve Geddie, directrice du Bureau européen d’Amnesty International
En octobre 2025, 38 députés européens ont appelé la Commission à mettre fin à tout soutien aux forces de sécurité libyennes. Ils dénoncent les violences et abus perpétrés contre les migrants par la Garde-côtière et la Direction de lutte contre la migration illégale, l’autorité responsable des centres de détention. Ils demandent que l’Union européenne cesse immédiatement de financer ces pratiques.
Peter Stano, porte-parole du SEAE (Service européen pour l’action extérieure), affirme que l’UE ne finance aucune entité libyenne.
L’Union explique que tout l’argent passe par des organisations internationales comme l’OIM (l’Organisation internationale pour les migrations) ou le HCR (Haut-Commissariat des Nations unies pour les réfugiés), et non par les autorités libyennes accusées d’abus. Elle rejette les accusations selon lesquelles son argent contribuerait aux abus en Libye, et affirme au contraire que les fonds servent à protéger les migrants.
Face à ces critiques, l’Europe pourrait-elle changer son approche ? Elle dit prendre « au sérieux » les critiques de l’ONU et considère “ces alertes comme un stimulant pour travailler davantage avec ses partenaires afin d’améliorer la situation”, selon Peter Stano.
Mais dans les faits, aucune mesure n’est annoncée. La présidente de la Commission européenne, Ursula von der Leyen, a ainsi réaffirmé dans une lettre adressée aux 27 États membres de l’UE la volonté de l’Union de collaborer avec la Libye afin de limiter les départs depuis les côtes sud de la Méditerranée. L’UE prévoit un budget de référence de 52 millions pour cette coopération, couvrant la période du 1er juillet 2025 au 30 juin 2027.

