Photojournalisme et IA : une coexistence pacifique ?

« Plus la technologie avancera, plus notre travail de photojournaliste devient précieux »

par

Photos : Mia Hodžić

« Plus la technologie avancera, plus notre travail de photojournaliste devient précieux »

Photos : Mia Hodžić

Omar Havana, photojournaliste depuis plus de vingt ans, revient sur son parcours et les défis d’un métier en plein changement. Entre authenticité humaine et avancées technologiques, il défend un photojournalisme transparent et fidèle à la réalité, tout en appelant à une collaboration entre empathie et innovation. 

Quelles différences voyez-vous entre un journaliste, un photographe et un photojournaliste ?

Ces métiers partagent une mission commune: témoigner du monde, mais leurs approches diffèrent. Le journaliste raconte des histoires par les mots. Avec des phrases, il décrit un événement, une émotion, une ambiance. Le photographe utilise des images, mais pas forcément pour raconter une vérité car la photographie peut être artistique et interprétative. Le photojournalisme se situe à la croisée des deux. Il ne s’agit pas simplement de prendre des photos, mais de documenter la réalité de manière fidèle. Un bon photojournaliste doit être capable de capturer une image qui raconte une histoire, sans avoir besoin d’explications supplémentaires. Ce n’est pas forcément plus simple ou plus difficile que d’écrire, mais c’est une autre manière de communiquer. Pour moi, le point central du photojournalisme, c’est l’observation et l’empathie. Prendre une bonne photo demande du temps, une immersion dans l’environnement et une compréhension fine des dynamiques humaines. Chaque cliché est le fruit d’un dialogue entre le photographe et son sujet. Je passe beaucoup de temps à observer les gens, à essayer de comprendre leur situation avant de prendre une photo. Et surtout, je garde à l’esprit que ce n’est pas mon histoire que je raconte, mais la leur. 

Dans un contexte où l’intelligence artificielle transforme de nombreux secteurs, quel est son impact sur votre métier ?

L’IA est un sujet qui divise. J’ai déjà discuté avec beaucoup de collègues qui craignent que l’IA prenne nos emplois car elle offre des outils puissants pour générer des photos ou manipuler des images. Mais pour moi, elle ne peut pas remplacer la réalité. Être photojournaliste, c’est être sur le terrain, sentir l’ambiance, capter l’émotion. Si vous voulez montrer ce qui se passe en Ukraine, vous devez être en Ukraine, pas derrière un ordinateur à générer des images. Une machine ne pourra jamais capturer les émotions ou l’atmosphère d’une scène réelle. Ce que l’IA peut produire, c’est une imitation, mais il manque toujours l’authenticité, la profondeur émotionnelle. C’est cette authenticité qui fait toute la force du photojournalisme. Une bonne photo, c’est celle qui traverse le temps et l’espace pour toucher directement le spectateur. Cela dit, l’IA peut nous aider. Par exemple, je l’utilise pour retoucher mes photos ou simplifier certaines tâches techniques. Ce qui me prenait des heures il y a dix ans peut maintenant se faire en quelques minutes.

Il est important de former le public à reconnaître les vraies images des fausses et à comprendre ce qu’est le photojournalisme. Sans cet effort collectif, la frontière entre le réel et le fictif pourrait s’estomper dangereusement.

La crédibilité des images journalistiques est-elle menacée ?

Avec l’IA, il devient facile de falsifier des images, ce qui peut en effet susciter le doute, même envers des photos authentiques, surtout si elles sont spectaculaires ou difficiles à croire. Pour protéger notre crédibilité, la transparence et la rigueur sont cruciales. Être sur le terrain, éviter les manipulations excessives et s’assurer que chaque image reflète fidèlement la réalité sont des impératifs. Le problème avec les images générées par IA, c’est qu’elles peuvent être visuellement parfaites, mais elles n’ont pas ce ressenti humain. Une vraie photo transmet des émotions que l’IA ne peut pas reproduire. Je pense aussi qu’il est important de former le public à reconnaître les vraies images des fausses et à comprendre ce qu’est le photojournalisme. Sans cet effort collectif, la frontière entre le réel et le fictif pourrait s’estomper dangereusement.

Quels conseils donneriez-vous à de jeunes photojournalistes face à ces défis technologiques ?

Mon premier conseil serait de cultiver l’empathie. Avant de maîtriser l’IA ou toute autre technologie, il faut d’abord comprendre les gens que vous photographiez. Si vous n’avez pas cette capacité d’écoute et de respect, vous n’arriverez pas à raconter de véritables histoires. Ensuite, soyez passionnés. Quant à l’IA, je pense qu’il faut l’accueillir comme un outil et non comme une menace. Quand Photoshop est arrivé, beaucoup de photographes traditionnels l’ont rejeté. Mais ceux qui ont appris à l’utiliser ont découvert de nouvelles possibilités. C’est la même chose aujourd’hui. 

Pensez-vous que l’IA remplacera un jour les photojournalistes ?

Non, car le photojournalisme repose sur des qualités intrinsèquement humaines : l’observation, la sensibilité et la présence. Même si les machines s’améliorent, elles manqueront toujours de cette compréhension intuitive des situations. Paradoxalement, plus la technologie avancera, plus notre travail deviendra précieux, car il représentera une rareté : celle de la vraie connexion humaine. Être un témoin direct, c’est ce qui continuera de nous différencier des technologies.

Traduit de l’anglais par Mia Hodžić.

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