Le centre hospitalier « Le Domaine », situé à Braine l’Alleud, connait une nouvelle vague de demandes d’admissions. Suite à la crise sanitaire, les troubles anxieux se sont multipliés, forçant l’équipe à tirer la sonnette d’alarme.
Photo : Rosalie Coune (CC-BY-NC-ND)
J’accède au lieu en vélo, en passant par une forêt. Arrivée à un croisement, j’aperçois la pancarte « centre hospitalier LE DOMAINE – ULB ». Un nom plutôt énigmatique. C’est là que je me dirige. Je prends une route qui en a surement effrayé plus d’un. Une route prise par des jeunes en difficulté. J’arrive au dit « Domaine », quelques bâtiments entre les arbres. Une infirmière souriante m’accueille. C’est un endroit apaisant. Pourtant, depuis le début de la crise, le personnel est essoufflé. Dans ce centre de pédopsychiatrie, les vagues successives de Covid-19 ont tout chamboulé.
« Moi j’en pleurais parfois. Je me disais ‘mais pauvre chou’ », confie Mireille Delcord, assistante sociale de l’unité des adolescents. Elle se souvient de la première vague : « C’est comme s’il y avait eu une bombe atomique sur la Belgique ». L’arrêt de l’école et de tout lien social ont traumatisé une partie de la jeunesse. « D’un point de vue psychosocial, ce qui est dramatique, c’est que ces jeunes sont les adultes de demain », explique Mireille.
Cette crise a eu deux répercussions. Tout d’abord, la santé mentale des adolescents a été lourdement perturbée entrainant une « augmentation des niveaux de stress et d’anxiété chez les enfants et les adolescents », selon le nouveau rapport de l’UNICEF. Le Domaine a admis des jeunes qui, théoriquement, si le confinement n’avait pas été là, ne seraient pas en pédopsychiatrie. Ensuite, la crise a fort impacté l’équipe du service. L’absentéisme est important et des tensions entre vaccinés et non-vaccinés sont apparues.
Une nouvelle vague
Après un été très rempli, ce qui est inhabituel, le centre est vite arrivé à saturation. Il accueille actuellement 17 patients, pour 15 lits subventionnés. Sur place pourtant, les couloirs sont calmes ; personne ne semble à l’étroit. C’est parce que la pression se situe surtout au niveau de la liste d’attente. Elle a grimpé à 25 demandes en 15 jours seulement. « On est sur une nouvelle vague là. On ne prend plus de nouvelle demande. C’est catastrophique », juge Justine Dubreucq, infirmière en chef de l’unité. Elle se voit dans l’obligation de raccrocher quand elle a au bout du fil des parents paniqués que leur enfant intente à leur vie, sans pouvoir leur offrir de réelle solution. L’hôpital a pourtant modifié ses conditions d’admission. La demande doit maintenant être appuyée par un pédopsychiatre, un psychologue ou un médecin traitant, en d’autres termes, quelqu’un qui s’implique médicalement. Avant, n’importe qui pouvait appeler le centre et être reçu. La liste aurait dû diminuer. Elle aurait dû.
Le service, grâce aux aides gouvernementales, a pu mettre en place une prise en charge du patient déjà sur liste d’attente, avec une consultation psychologique une fois par mois. Mais ce n’est pas assez. Les hospitalisations durent en général trois mois. Par conséquent, quand le temps d’attente est trop long, il y a trois cas de figure. Soit les familles trouvent une solution dans un autre hôpital, soit la crise passe et le jeune va mieux, soit la situation empire. Dans ce dernier cas, les jeunes peuvent alors décompenser et tenter de mettre fin à leurs jours.
Des jeunes comme les autres
C’est dans l’intimité de leur bureau qu’elles évoquent la crise, loin des oreilles des jeunes qui papotent dans le couloir. Les jeunes, ils ne ressemblent à rien d’autre qu’à des adolescents normaux. Ce sont des adolescents normaux. Certains ont les cheveux de toutes les couleurs ou des chaussures à plateforme, alors que d’autres adoptent un look plus classique. Ils sont assis très près les uns des autres. L’une à la tête posée sur l’épaule de son ami. « Quelle chambre est la plus rangée ? », demande Justine. Tous répondent en même temps, impossible de comprendre. Leurs chambres sont simples. La plupart vivent par deux. On peut voir des inscriptions sur les murs, un moyen d’extérioriser peut-être.
On approche des fêtes, alors le service a installé quelques décorations. Mais, ce qui capte le regard, ce sont les œuvres des jeunes : des peintures et des collages. Leur occupation du moment est un grand puzzle. Ils rigolent quand ils se rendent compte que je pourrai lire leurs mots écrits sur le mur de la salle de baby-foot « proute, zila choco ». Je ne sais pas ce que ça veut dire. Ils sont curieux, veulent savoir ce que je fais. Ils trouvent ça « trop cool ».
La crise comme cristallisateur
« La crise sanitaire augmente tout. Elle a fait ressortir des problèmes qui étaient déjà là », exprime Justine. L’accessibilité aux soins de santé mentale a toujours été compliquée. Les services de médecine sociale sont saturés depuis bien avant la crise Covid-19.
Pour les personnes précarisées, l’accès au soin a toujours été compliqué. C’est ceux qui en ont parfois le plus besoin qui n’y ont pas accès. La situation dans cet hôpital de première ligne montre le besoin criant de prévention à la santé mentale. « On n’apprend pas aux jeunes à prendre soin de leur esprit », tranche Justine. « Pour les jeunes, c’est compliqué d’aller chez le psychologue. Ils pensent que c’est pour les fous. La connotation est grave », renchérit Mireille.
Je salue les jeunes et la petite équipe en charge de cette unité pour adolescents. Je remonte sur mon vélo. Les jeunes me font signe de la main. La quiétude illusoire de cet endroit m’aura montré que le chemin est encore long avant une amélioration de la pédopsychiatrie en Belgique.