Pas foule au Campus de Charleroi

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L’annonce réjouit : 10.000 étudiants à Charleroi ! Le campus universitaire carolo va incarner un nouveau départ. Pour les étudiants, pour son quartier : la Ville Haute. Ce projet porte l’espoir de changements. Il attirera les jeunes de la région, revitalisera tout un environnement et transformera Charleroi en ville universitaire. Mais un an et demi après la première rentrée académique en 2023, les commerces se demandes où sont ces étudiants qu’on leur avait promis.

Embouteillages en fin d’après-midi sur Bruxelles. Depuis cinq minutes, personne n’a bougé. Faut dire que les deux serveurs sont débordés. Trois cocktails à faire pour l’un, changer le fût pour l’autre. Sur la terrasse, les différentes peaux transpirantes discutent et rigolent, on n’entend plus les bus. À l’ULB, les cours sont terminés depuis une heure. Les étudiants sont libres d’aller boire un verre en terrasse, dans un parc ou un kot. Le rond point du cimetière d’Ixelles, la plaine du K et le bois de la Cambre sont bondés. Il n’est que 18h mais les estomacs sont vides, une file s’étend jusqu’à l’extérieur du Quick, et ce n’est pas parce que l’une des bornes automatiques est cassée. À 60km de là, c’est la même chanson. Une cinquantaine d’étudiants quittent le campus Zénobe Gramme de Charleroi. Mais la mélodie est différente, ils passent devant les bars mais n’y entrent pas. En vingt minutes, le campus et son quartier sont vides, un peu plus vides. Au moins, il n’y a pas d’embouteillages. Au Métro, café de l’avenue du Waterloo, Beka sert ses deux clients. Ils jouent aux machines à sous. Deux croque-monsieur et deux bières font connaissance avec le paquet de cigarettes sur leur table. De l’autre côté de la vitre, il y a de l’espace pour une terrasse. Mais les tables et chaises sont dans la cave, ou dans un couloir, on ne sait plus trop. À la place, rien. Juste cet homme, plus de poils sous le menton que sur le crâne, qui promène son chien. « Une université à Charleroi ? J’ai l’impression qu’elle n’existe pas, je ne vois jamais d’étudiants ». 

Pourtant, elle est à deux rues : le Zénobe Gramme, ancien musée de 18.392 m2 bâti en 1903 pour l’Exposition Internationale de Charleroi, rénové en université. En face, il y a le bâtiment Maçonnerie où se trouvent classes, auditoires, zones d’étude et le BPS22, Musée d’art de la Province de Hainaut. Au total : 5 auditoires, 55 salles de cours, 450 places de laboratoire, 280 places de labo informatique et 120 bureaux. À cela s’ajoutent Solvay et l’université du travail Paul Pastur. Il est désormais possible d’étudier l’ingénierie, l’informatique, les sciences, l’architecture transmédia, l’urbanisme et bien d’autres. Rendre Charleroi universitaire, c’était l’envie de l’ancien bourgmestre Paul Magnette (PS). Selon Maxime Mori (PS), attaché de cabinet de l’actuel bourgmestre Thomas Dermine (PS), Magnette a voulu donner une justice historique à Charleroi, ville la plus peuplée de Wallonie, qui n’avait toujours pas son université. Ne pas en avoir provoquait un phénomène de désertification. « À Louvain-La-Neuve, il y a plus d’étudiants arrivants que d’habitants. Nous c’est l’inverse, les jeunes partent », explique Mori. Dès 2014, le Charleroi District Créatif, projet de 140 millions d’euros visant à développer la ville, est mis en place. Charleroi en investit 55 dans son nouveau campus à l’aide de fonds FEDER (Fonds  Européen de Développement Régional) et de fonds du Gouvernement wallon. Ces derniers ont financé respectivement 40 et 50% du projet. Les 10% restants ont été apportés par la Ville et les différentes universités. L’ULB (Université Libre de Bruxelles) et l’UMONS (Université de Mons) sont les premiers à collaborer au projet de Magnette, ancien professeur à l’ULB. Quant à l’UCL (Université Catholique de Louvain), elle refuse d’y prendre part jusqu’en 2020, lorsqu’elle achète l’hôpital Notre-Dame pour y poser ses valises. Le campus a donc deux principaux objectifs : attirer les carolos et redynamiser son quartier. 

Beaucoup d’espoir, peu d’étudiants

Pas de zèbre universitaire à l’horizon dans le bas de l’avenue de Waterloo, artère reliant le sud au nord du quartier. Un Pizza Hut propose un menu étudiant pour moins de 7 euros. Bien essayé, mais la file se tient devant le comptoir du snack Waterloo. « Nous, évidemment qu’on est contents, on vend beaucoup plus de sandwichs à midi depuis l’ouverture du campus », s’enthousiasme la serveuse le pot de mayonnaise à la main. Il reste deux personnes à servir, pas de perte de temps. Les rues perpendiculaires jouent au roi du silence. Tout le monde est resté chez soi aujourd’hui. Ou alors, ils sont vers la Ville Basse, pour faire les magasins. Ceux du quartier disparaissent. De la poussière et des meubles abandonnés sont tout ce qu’on aperçoit aux vitrines. Rien à vendre, mais les lieux sont à acheter. « Kot à louer », le panneau de l’agence immobilière ne tient plus qu’à une vis. Une classe sort du Zénobe Gramme. « On va au Burger King de Rive Gauche ? », l’autre acquiesce et les voilà partis vers le centre commercial de la Ville Basse. Au Métro, Beka regarde un afflux descendant l’avenue de Waterloo. Personne ne rentre. « Je ne suis pas étonnée qu’ils ne viennent pas. C’est pas safe ici. Ils auraient dû laver le quartier avant d’y mettre les étudiants ». Plusieurs « je ne suis pas raciste mais » plus loin, elle pointera du doigt la porte. « J’ai dû y mettre une serrure en plus. Maintenant, il faut sonner pour rentrer dans le bar. Sinon, les dealers rentrent et vendent leur drogue ici. » Elle se rend derrière le comptoir. « J’ai une clef à molette et un grand couteau à fromage. Un jour un mec est rentré et a mis son canif devant moi. J’ai sorti mon couteau, il a vite bougé. Je me défends. Les étudiants ne le savent pas, c’est pour ça qu’ils n’habitent pas ici ». Pourtant, ils sont plusieurs à avoir été intéressés par l’annonce des 10.000 étudiants. En 2023, Paul Magnette indiquait que 350 permis d’urbanisme avaient été délivrés. Mais Marie, en première année d’études en sciences humaines, grimace à l’idée d’habiter à Charleroi. « J’habite à Couvin, mais je préfère faire l’aller-retour tous les jours plutôt que de koter ici. C’est trop dangereux ». C’est vrai que Charleroi a une image de ville moche, sale et dangereuse. En 2008, le journal néerlandais De Volkskrant avait même élu le Pays noir « la ville la plus moche du monde ». Le Telegraph la qualifiait de « ville la plus déprimante d’Europe ». Cette image négative, la Ville en a conscience et travaille pour la redorer. Paolo Ruaro estime que cette image n’est pas la réalité : « Je comprends qu’un étudiant ne veuille pas venir à Charleroi. L’image de la ville doit être repensée. Mais la ville se développe et elle n’est pas plus dangereuse que Bruxelles par exemple ». Pour Beka, changer l’image ne sert à rien : « Charleroi c’est comme une femme de 90 ans qui fait de la chirurgie. T’as l’impression qu’elle est jeune mais à l’intérieur elle est bientôt morte». Pour elle, c’est trop tard.

Beka a quand même eu de l’espoir à l’annonce de la construction du nouveau campus. « C’est pour ça qu’on est encore ici d’ailleurs ». Elle évoque une réunion entre les commerçants et Paul Magnette. Selon Fabrizio Padovan, président de Shop In Charleroi, l’union des commerçants de la ville, cette réunion n’a servi à rien. « Les travaux avaient déjà commencé, on n’a pas eu notre mot à dire ». Le Métro s’est préparé à accueillir les étudiants. « On voulait mettre une belle terrasse, on a les tables, les chaises. On n’attendait que ça en sortant des travaux : avoir des tables d’étudiants et leur faire des offres de mètres de bières ». Au final, rien. Beka se retrouve avec ses habitués, qui se font de moins en moins nombreux.

« Ils nous ont clairement vendu du rêve ». Les réunions entre la Ville et les commerçants n’auraient eu pour seul but de rassurer pour se faire réélire. « Ils nous disent qu’il y allait y avoir 10 000 étudiants, c’est génial. Bien sûr qu’on est contents. Puis, deux semaines avant les élections, ils nous mettent encore plus de patrouilles de police pour montrer que le quartier sera plus sain. 2 semaines après les élections : plus rien. Deux ans après la première rentrée universitaire : personne » raconte Beka. 

En 2020, la Ville annonçait que l’objectif était d’accueillir entre 12 000 et 15 000 étudiants à terme. En 2023, Magnette revoit les chiffres en baisse et en espère 10 000. Peut-être qu’ils se sont vus trop beaux. Maxime Mori estime que l’incompréhension est due aux différentes envies. Celle de la Ville est de rendre Charleroi universitaire, alors que les commerçants ont avant tout un objectif économique. Par contre, Mori avoue que « la communication n’a pas été bien faite ». Il demande dans un premier temps de re-baliser la vie universitaire carolos. En effet, il y a d’autres bâtiments consacrés aux études supérieures, à Montagnes-sur-Sambre et Marcinelle. Les étudiants de ces bâtiments vont être transférés progressivement vers le campus de la Ville Haute. Ça, la Ville n’en a pas parlé, ou beaucoup moins. Elle a promis 10.000 étudiants sur le nouveau campus tout en omettant que ce chiffre allait être atteint grâce au rassemblement de tous les étudiants de la ville dans un seul endroit. « En fait, l’information qu’il manque aujourd’hui, c’est que le campus n’est pas du tout achevé. On n’est vraiment que dans les prémices ». Il ajoute que la principale difficulté est de mettre tous les différents acteurs d’accord avant de communiquer. « Avant la création de l’ARES, qui coordonne l’enseignement supérieur en Fédération Wallonie-Bruxelles, et du décret paysage, aucun acteur ne se parlait. Les hautes écoles ne parlaient pas aux universités qui elles-mêmes ne se parlaient pas en dehors de leurs piliers historiques ». Avant de communiquer, il faut donc mettre tout le monde d’accord, que ce soit l’ULB, l’UMONS ou la Haute Ecole du Hainaut. La cohabitation, et donc la communication commune, ne fait que commencer. Mori est néanmoins optimiste pour le futur. 

Beka non. Pour elle, si le quartier n’est pas assaini aujourd’hui, il sera trop tard pour agir demain. Au contraire, Paolo Ruaro explique que voir les avantages d’un aménagement de territoire prend du temps et, qu’en général, un masterplan peut prendre 30 ans avant d’atteindre ses objectifs. L’urbaniste donne 8 ans pour que le campus remplisse les siens. « Ce n’est pas comme quand t’achètes une voiture que tu peux conduire le jour même ». Maxime Mori se projette pour 2026-2027, lorsque les 6 mini-campus de Charleroi se rejoindront dans la Ville Haute. « Mécaniquement, il y aura plus d’étudiants. On va dire qu’il y en a pour l’instant 4000 dans le centre. Il y en a environ 3400 sur le campus de Montigny-sur-Sambre. Quand ils viendront, on aura déjà plus cet effet de masse. Ce sera aux différents acteurs de créer une identité, un lieu de vie, de fêtes. Et la densification créera un effet d’attrait ». 

La ville mise sur son futur, d’abord à l’horizon 2050. Paul Magnette l’écrit dans la préface du livre Charleroi Projet Métropolitain qui explique la rénovation du Pays Noir. 15 lignes plus loin, on lit que « se projeter dans le temps ne revient pas à délaisser le temps présent, au contraire ». Au Métro, Beka veut offrir un verre à Thomas Dermine pour en discuter. Astucieux pour remplir son bar. 

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