Parmi les gratte-ciels surgit la basse-cour

Bulle verte méconnue, la ferme pédagogique et A.S.B.L. "Maxi Milles Liens" offre un air campagnard au Quartier Nord de Bruxelles depuis plus de trente ans.

par

Photos : Divine Posadinu (CC BY NC ND)

Bulle verte méconnue, la ferme pédagogique et A.S.B.L. « Maxi Milles Liens » offre un air campagnard au Quartier Nord de Bruxelles depuis plus de trente ans.

Photos : Divine Posadinu (CC BY NC ND)

L’odeur âcre et chaude du fumier, le bleu de travail souillé, le cri du coq qui crève les petites heures du matin et le grincement significatif d’une brouette attaquée par la rouille. Autant d’éléments et d’images qui rappellent le quotidien d’une exploitation agricole au milieu du plateau limoneux. Pourtant, entre le gris menaçant des gratte-ciels de l’Espace Nord et l’architecture stylisée et moderne du Kanal– Centre Pompidou, une couverture laiteuse, luisante comme du sable, caresse des museaux et des becs pétrifiés par l’air glacial apporté par les flocons de laine d’un après-midi. Dans un écrin de verdure dissimulé aux abords du Parc Maximilien, des moutons, des chèvres, des ânes, des poneys, des poules, des lapins et même des alpagas défient le crissement des pneus sur l’asphalte.

De projets avortés à oasis urbain

Ardu d’imaginer que le terrain clôturé, sur lequel gambade paisiblement une pléiade d’animaux, a accueilli autrefois un nombre conséquent de projets avortés, déceptifs et parfois éphémères. Le Royaume de Belgique en était à ses balbutiements quand la première gare européenne a vu le jour. Ses fondations sous les enclos qui dominent maintenant le terrain, elle sera délaissée au fil des années pour être finalement réduite à néant près d’un siècle plus tard. « J’aime apprendre aux visiteurs que les Rolling Stones ont atterri en hélicoptère en 1966 sur le feu héliport qui a précédé notre installation », révèle Valentine Appelmans, coordinatrice de la ferme à la flamboyante coupe à la garçonne. Ce passé insolite derrière eux, les rats des villes et les rats des champs ont, en effet, fini par s’unir pour créer cette forme de thébaïde verdoyante qui fleurit depuis trente ans dans une capitale qui tend à diversifier l’usage de ses sols et mise sur la consultation populaire pour donner vie à des projets basés sur l’éveil, la transmission et l’écologie. « Nous sommes situés à la croisée de trois mondes, trois modes de vie opposés, ceux du quartier pressé des affaires, du quartier populaire Chicago et du quartier branché de Sainte-Catherine. Notre envie et but est de favoriser un brassage socio-culturel spontané, dans cet oasis urbain, entre ces citoyens aux profils singuliers et de sensibiliser les plus petits à la préservation de la biodiversité, à l’environnement en général et bien sûr au bien-être animal », insiste Valentine, le regard perçant et les pieds sur l’assise de sa chaise de bureau.

Vue d'ensemble de la ferme pédagogique du Parc Maximilien
Les odeurs de foin et de fumier côtoient celle du pot d’échappement des voitures.

Nous sommes situés à la croisée de trois mondes, trois modes de vie opposés.

Valentine Appelmans, coordinatrice de la ferme Maxi Mille Liens

La diversité des activités pédagogiques et de bénévolat proposées par la ferme offrent un bol d’air non négligeable et un souvenir immarcescible aux habitants des tours voisines qui transpercent le ciel de leur froideur. L’uniformité lassante des plaines de jeux est balayée par le foin qui chatouille les narines des petites têtes blondes chanceuses qui s’aventurent dans l’antre des alpagas et autres moutons ardennais pendant que leurs parents s’affairent dans l’un des potagers collectifs au pied des marronniers et des saules. Une nouvelle dynamique de vie s’est ainsi installée dans les foyers participants. Les écoliers ne sont pas en reste. En partenariat avec les établissements scolaires de la région, des ateliers ont été créés autour de thèmes variés : le triage des déchets, l’observation de la faune et la flore, le compostage ou encore l’épuration des eaux usées. La moindre parcelle de terre est dédiée au partage de connaissances ou de techniques.

Une équipe soudée et atypique

« Nous venons tous d’horizons différents, reprend Valentine, mais notre osmose renforce l’atmosphère familiale plébiscitée par le public de promeneurs ou de fidèles. » La ferme compte sur une équipe soudée et atypique pour entretenir l’espace et choyer la faune locale. Elle engage des citoyens sous contrat « article 60 », aide sociale pour recouvrer le droit au chômage et favoriser la réinsertion professionnelle. Pour le reste, l’équipe est composée de permanents, de volontaires et d’employés communaux qui orchestrent cette A.S.B.L. principalement subventionnée par la ville de Bruxelles et présidée par l’échevine Ecolo des Espaces verts, de la Propreté publique et du Bien-être animal en fonction, Zoubida Jellab. Le soutien sans faille des bénévoles et des visiteurs reste le bénéfice le plus précieux de cette aventure.

Ce décor et ce récit presque idyllique tranchent avec l’histoire malheureuse du Parc Maximilien dépeinte habituellement. « Nous avons été confrontés de près à cette précarité particulière, du deal avait lieu à proximité de la ferme encore l’année dernière, mais cet épisode est dernière nous« , affirme Valentine. La quiétude des lieux ferait presque curieusement oublier les enjeux à proximité immédiate.

Pigeons dans le frois
Les rats des villes s’accoutument à l’air de la campagne.

La logique future de la ferme, motivée par la nouvelle direction, sera de privilégier l’apport d’espèces animales plus locales. Un projet de déménagement est dans les cartons depuis quelques mois maintenant, pour agrandir sensiblement ce bout de campagne sans surcharger les cages et les enclos. À la clé, des locaux plus modernes et mieux équipés, c’est l’espoir de Valentine et de ses collègues. Le tout, jamais au détriment du moindre insecte qui aurait l’idée de butiner une fleur de cerisier du nouveau domaine de Maxi Milles Liens. « Nos petites et grandes bêtes sont notre priorité numéro une, si la ferme devait changer de localisation, ils jouiront d’une plus grande liberté de mouvement quoiqu’il en coûte », termine Valentine Appelmans.

Un soleil aveuglant nargue désormais la fine couche de neige qui ne laisse entrevoir que le feuillage marcescent des arbres, jadis fruitiers, qui ne demandent qu’à embrasser le printemps et des couleurs plus chatoyantes. La ferme des animaux, ce petit morceau de pelouse, s’impose comme un espace de résistance, encore et depuis trente années, face à l’hyperurbanisation du centre bruxellois.

Vue d'ensemble sur les enclos de la ferme pédagogique du Parc Maximilien
Un fermier et sa brouette en ville. Oui, ça existe !
Moutons de la Ferme du Parc Maximilien
Les moutons profitent du ballet des voitures.
Cadre bucolique de la ferme du Parc Maximilen
Le beau temps venu, certains bruxellois profitent des bancs mis à disposition pour profiter du cadre bucolique de la ferme.
Sculpture ferme Maximilien
Des décors et sculptures sont à retrouver aux quatre coins de la ferme.

Nouveau sur Mammouth

Bigh : cultiver l'espoir d'une économie locale
Maraîchage bobo ou logements sociaux ?
4 ans après l’arrivée du virus, qui sont ceux que l’on appelle covid long ? 
Mon Fils, Xavier et moi