Mon grand-père, ce harki

Récit de mon grand-père, en cette Journée nationale d'hommage aux harkis et aux autres formations supplétives de l'armée française.

par

Dimitri Korczak

Récit de mon grand-père, en cette Journée nationale d’hommage aux harkis et aux autres formations supplétives de l’armée française.

Dimitri Korczak

Il était une fois, mon grand père, Ahmed, ancien harki. Non, pas une fois… Le destin d’Ahmed n’est pas unique, loin de là. Pour tous ses frères d’armes, les souvenirs d’Algérie restent gravés à jamais. L’amertume subsiste, certes, mais Ahmed est conscient de la chance qu’il a eue. Le choix fut très simple : rester là, en Algérie, et mourir, ou, rejoindre la France et laisser l’espoir se charger du reste, Inch’Allah.

L’Algérie, terre qui l’a vu naitre, désormais le rejette. Cette même terre qu’il cultive avec son père Mohamed, garde-champêtre. Ici, à El Chlef, il possède beaucoup de terrains et une foule d’animaux : des poules, des mules, des vaches, des chevaux, des moutons et onze chiens.

Mais depuis 1954, la présence française en Algérie est largement contestée. Ce désir d’indépendance et les actions qui s’en suivent sont menés par le Front de Libération Nationale (FLN). La guerre est déclarée, il faut choisir son camp. Mon arrière-grand père ayant participé à la libération de la France lors de la Seconde Guerre Mondiale, le camp français paraissait logique.

« Les miliciens du FLN sont descendus de la montagne comme des fourmis. On serait tous morts si mon chien Tanou n’avait pas donné l’alerte en aboyant »

Ahmed, ancien Harki

Un soir de 1957, la guerre les rattrape. Ahmed a dix-sept ans. Il est 23h, nuit noire, lorsque son village subit sa première attaque menée par le FLN. Une tension était palpable, mais rien ne présageait une action de cette envergure. Les miliciens du FLN se dirigent vers la maison transformée en poste de commandement.  « Ils sont descendus de la montagne comme des fourmis. On serait tous morts si mon chien Tanou n’avait pas donné l’alerte en aboyant ».

Ils étaient sept au poste avancé, contre quatre-vingts cinq côté FLN. Sans barbelé, ni tranchée, ni arme automatique. La nuit leur a permis de gagner du temps et de distribuer des fusils à vingt hommes d’une autre mechta (hameau en Afrique du Nord). Oui, à vingt hommes ; la guerre était une affaire d’hommes. On se battait pour protéger sa maison et sa famille.

Ahmed et ses compagnons d’armes ont résisté jusqu’à 3h du matin, heure à laquelle les parachutistes de l’armée française sont arrivés sur place. Le premier poste français se situait à 300km de leur mechta.

La guerre, c’est moche

Puisqu’ils ils sont sortis victorieux, leur engagement devint officiel. L’armée française équipe tous ceux qui rejoignaient le camp de la métropole. Le père d’Ahmed reçoit alors sous son commandement 75 hommes, tous des Harkis enrôlés au fil des mois.

« La guerre c’est moche » soupire-t-il. Ahmed a des difficultés à évoquer certains souvenirs. Rares sont ses enfants (et encore moins ses petits enfants) à qui il parle de cette période de sa vie. Les silences en disent long sur les horreurs qu’il a vécues. L’émotion est palpable, la respiration témoigne d’une douleur toujours prégnante.

Les accords d’Evian, avec le cessez-le-feu, mettent fin à la guerre en mars 1962 et l’indépendance est déclarée le 3 juillet de la même année. Mais le chaos qu’entraine la renaissance de ce pays souverain précipite les choses. Il faut agir vite. Le fait d’avoir choisi le camp français dans ce nouveau contexte d’indépendance laisse présager un sombre destin. Les purges et les chasses à l’homme ont commencé depuis quelques temps maintenant.

Le père d’Ahmed paye ses ouvriers cash et emmène sa famille à Alger, pour ensuite rejoindre Marseille en bateau.

Quatre mois sous la tente

Après Marseille, le périple se poursuit à Mas-Thibert puis à Tarascon, dans une insécurité morale et matérielle. « On est restés quatre mois sous une tente. Il faisait chaud ; il y avait beaucoup de moustiques, de maladies ». Ahmed tente un retour furtif en 1963. Il est arrêté et mis en prison pendant deux jours. Après quoi on essaye de le faire accuser pour un meurtre qu’il n’a pas commis. Libéré, on le renvoie expressément en France avec comme bagage l’interdiction de revenir, sous peine de mort.

Un poste de garde-champêtre à Gérardmer est attribué à son père. Cet emploi permet à la famille de s’installer dans une grande maison dans les Vosges et de rester unie dans l’adversité.

Ahmed est embauché dans la sidérurgie à SOLLAC (ARCELOR), s’installe à Uckange avec sa femme Lalia, puis à Thionville, avec leurs huit enfants. Aujourd’hui à la retraite, il vit à Florange.

Trop tard pour regretter

Aujourd’hui, Ahmed est fier d’être français, fier d’être porte-drapeau, fier d’être un harki. Si la France le lui rend bien ? « Non. Mais il est trop tard pour regretter. Si nous avions fait autrement, nous serions morts. La famille se porte bien. Tout le monde a survécu. Aujourd’hui on n’est pas les plus à plaindre ».

Alors pourquoi tant d’amertume ? Certes les médailles et les honneurs reçus essayent de combler les vides laissés par une vie d’exil. Mais il aura fallu attendre 2016 pour une reconnaissance de la responsabilité du gouvernement dans l’abandon des harkis, du massacre de ceux restés en Algérie et des conditions inhumaines d’accueil de ceux qui ont été rapatriés.

Que lui reste-t-il de l’Algérie ? Pas grand-chose. Des photos et des souvenirs. Il ne sait même pas si ses amis d’Algérie sont encore en vie. On lui a dit que ceux qui avaient survécu aux purges seraient morts du fait des retombées radioactives après les essais nucléaires français dans le Sahara. On lui a dit aussi que jusqu’à fin 2017 ses terres étaient encore au nom de son père et qu’il pouvait les récupérer. Enormément d’incertitudes donc. Ahmed souhaite retourner là-bas, « pour voir comment c’est ».  L’appréhension demeure. Il vit comme beaucoup, dans le flou.

Cinquante-cinq ans ont passé et Ahmed, en tant que président de l’Union Départementale des Harkis Rapatriés (UDHR), œuvre pour le devoir de mémoire. Il est indispensable de reconnaître ce drame, de dire qu’ils se sont battus en tant que français et que c’est cette identité qu’ils revendiquent. Indispensable aussi de dire que les Harkis ont participé à une écriture de l’Histoire de France et qu’ils sont encore trop peu reconnus pour tels, ni même assez étudiés à l’école.

Ainsi, Ahmed n’est pas le dépositaire d’une mémoire globale de ce passé compliqué. Il dispose uniquement de ses propres souvenirs qui eux, font partie l’Histoire. Une mémoire qu’il est donc nécessaire de préserver.

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