Les secrets du Palais de Justice de Bruxelles

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Le Palais de Justice de Bruxelles regorge d’éléments invisibles au premier regard, ainsi que de détails que l’on croit connaître, mais dont l’histoire s’avère bien plus profonde. Peu de personnes en maîtrisent les secrets aussi bien que Stéphane Van Reeth, gardien du vestiaire des avocats et véritable mémoire vivante des lieux. Fin connaisseur des secrets du Palais, il est l’auteur d’un livre à paraître à ce sujet(*). Il nous emmène à la rencontre de quelques-unes de ses trouvailles.

La fresque qui dérange

Après les incendies de 1944, l’arrière du Palais de Justice a dû être reconstruit. Lors de ces travaux, le conservateur, un architecte chargé de la restauration du bâtiment, a demandé à trois artistes, Louis Deltour, Edmond Dubrunfaut et Roger Somville, de réaliser une fresque dans le couloir du tribunal du commerce. L’œuvre volontairement non signée est aujourd’hui appelé « Le Port », mais son titre original était « Prolétaire de tous les pays, unissez-vous ». Elle représente une prostituée qui récupère le poisson auprès des femmes, tandis que les trois pêcheurs figurés, qui sont en réalité les trois peintres eux-mêmes, apportent leur pêche.
Dans les années 50, la fresque a provoqué un véritable scandale. Le président du tribunal du commerce la détestait et, chaque fois qu’il traversait le couloir, il donnait des coups de canne, et même de couteau dans la peinture, traces que l’on peut encore voir aujourd’hui.
La Régie des Bâtiments a reproché aux trois peintres de ne pas avoir obtenu d’autorisation pour réaliser l’œuvre. Mais une fresque, intégrée au mur, n’était pas interdite par le règlement. Des analyses ont donc été menées pour prouver qu’il s’agissait bien d’une fresque au sens technique du terme.
Ironie du sort : dans les années 1970-1980, faute de place pour aménager des salles d’audience, ce couloir a été transformé en salle… où l’on jugeait les affaires commerciales. « Cette fresque, qui dénonçait le capitalisme et les dérives du commerce, s’est donc retrouvée à orner une salle du tribunal du commerce lui-même », sourit Stéphane Van Reeth.

Coups de couteaux dans
la peinture
Coups de canne dans
la peinture

Quand une statue obligea le Palais à tirer le rideau

Après les peintures qui font débat, ce sont aussi les statues qui ont suscité des remous à l’époque. La statue de la Charmeuse de serpent, qui se trouvait initialement à côté de la fresque, a été déplacée vers le grand couloir qui était l’entrée principale du Palais. En entrant, les magistrats se retrouvaient face au grand escalier, et apercevaient la statue… de dos. La vue donnait directement sur les fesses de la Charmeuse, ce qui a rapidement été jugée inacceptable. Pour éviter cela, une barre a été installée au-dessus de l’œuvre afin d’y suspendre un rideau. Stéphane Van Reeth explique : « Un petit jeu s’est alors instauré : certains s’amusaient à ouvrir le rideau, et quelques heures après quelqu’un le refermait déjà ». Le rideau était encore présent en 2015. On disait souvent à l’époque que le Palais récupérait tous les « brouillons » du musée des Beaux-Arts. En effet, le bâtiment abrite de nombreux brouillons des sculptures. La Charmeuse de serpent en fait partie : c’est un modèle qui n’a jamais été réalisé en marbres au final, ce qui en fait une pièce unique, conservée uniquement dans sa version d’étude.

L’avant de la statue
la Charmeuse de
Serpent
L’arrière de la statue
avec la barre du rideau
encore présente

Des ombres chinoises sauvées in extremis

Dans le vestiaire des avocats, le principal lieu de travail de Stéphane, on trouve plusieurs silhouettes en fer. Il y a quelques années, des responsables du Palais de Justice ont voulu s’en débarrasser estimant qu’il s’agissait des vieilleries et souhaitant libérer les murs. Stéphane est immédiatement intervenu : lui savait ce que ces silhouettes représentaient.
Ces silhouettes avaient été utilisées lors d’un spectacle réalisé par des avocats, qui y avaient créé des ombres chinoises, à la manière du cabaret du Chat Noir à Paris. On y reconnaît des ministres, des avocats, ainsi que le gardien du vestiaire, identifiable à sa casquette. Stéphane, qui avait retrouvé le texte d’origine du spectacle, a pu authentifier ces silhouettes conservées dans le vestiaire des avocats.
Heureusement, Stéphane avait demandé leur préservation, car quelques années plus tard, un conservateur du Musée des Beaux-Arts lui a déclaré : « Vous possédez dans cette pièce, la plus grande collection intacte de silhouettes en zinc ». Car ces œuvres étaient fragiles et destinées à être temporaires, il n’en reste que très peu de traces : quelques photos et quelques pièces conservées. Le Musée des Beaux-Arts eux n’en conserve peut-être que trois ou quatre, tandis qu’une dizaine sont encore présentes dans le vestiaire des avocats au Palais de justice.

Les silhouettes en zinc dans les vestiaires des avocats

(*) « Joseph Poelaert et les aventures très-illustrées du Palais de Justice de Bruxelles » de Stéphane Van Reeth paraîtra en 2026

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