Depuis le 21 octobre, une cinquantaine de personnes se sont installées dans un immeuble inoccupé depuis plusieurs années à Ixelles. Tous partagent la même particularité : celle de ne pas avoir de papiers. En bon état, le lieu représente un précieux point de chute pour ces personnes qui ont connu pas moins de quatorze déménagements en deux ans.
Photo : Ondine Werres (CC BY NC ND)
« Il y a aujourd’hui 150 000 sans-papiers en Belgique, soit plus d’1% de la population qui est privé de droits fondamentaux », relève Modou, porte-parole de la Voix des sans-papiers (VSP). Créé en 2014, la VSP est un collectif composé de 90 personnes dites « sans-papiers » et soutenu par diverses organisations, dont la FGTB, SOS Migrants et la CSC. Son combat est celui de la régularisation de ses membres afin qu’ils puissent jouir de droits élémentaires comme l’accès à un logement salubre, la possibilité de travailler et de vivre décemment.
Passer l’hiver à Ixelles
Dans l’immeuble ixellois occupé par la VSP règne une ambiance conviviale. Au fil des années, des liens forts se sont tissés : « On vit ensemble depuis cinq ans ; on forme une grande famille ! » affirme Salim, arrivé d’Algérie il y a sept ans. Avant que débute leur cours d’anglais donné bénévolement par une habitante du quartier, les enfants s’amusent dans le couloir pendant que des adultes préparent du thé en regardant la télévision.
Parmi les membres de la VSP, certains sont arrivés récemment, mais la grande majorité des hommes, femmes et enfants du collectif vivent en Belgique depuis plusieurs années. Ils viennent d’une dizaine de pays d’Afrique et différents motifs les ont poussés à partir de chez eux. Certains sont venus pour des raisons économiques, dans l’espoir d’une vie meilleure en Europe, d’autres pour fuir un pays en proie à la guerre.
Bien qu’ils aient été expulsés de l’habitation qu’ils occupaient à Molenbeek-Saint-Jean, ils espèrent cette fois-ci pouvoir passer l’hiver dans ce nouveau foyer, jusqu’à la prochaine expulsion. Ce n’est pas gagné. Malgré sa qualité d’organisme public, la Régie des bâtiments, propriétaire des lieux, a directement exigé l’expulsion immédiate des occupants. Mais, une vague d’optimisme a gagné les troupes à l’annonce du report du jugement au 10 mars 2020, par le Juge de Paix d’Ixelles. Rassurés, les sans-papiers voient dans ce délai la possibilité de rester plus longtemps. Tous aimeraient vivre sans crainte d’être expulsé à tout moment, mais bien des obstacles empêchent d’accéder à un domicile fixe quand on est « illégal ».
La régularisation en Belgique
La Constitution belge énonce : « Chacun a le droit de mener une vie conforme à la dignité humaine. Ce droit comprend notamment le droit à un logement décent. » (art. 23). Pourtant, ce droit est inaccessible aux personnes sans-papiers qui ne sont pas en mesure de fournir des preuves de revenus et une garantie locative, entre autres.
L’accès à un titre de séjour leur permettrait de se trouver un toit de manière durable, mais ce n’est pas chose facile : « En Belgique, il n’y a pas de critère de régularisation clairs et permanents, c’est le problème. Il n’y a aucune loi qui définit des critères à remplir pour pouvoir être régularisé. », soutient Modou.
Dans l’espoir de faire avancer les législations, la Coordination des sans-papiers de Belgique (CSPB), réseau regroupant tous les collectifs de sans-papiers, dont la VSP, a proposé un cahier de recommandations pour les élections de mai 2019. Parmi ces recommandations, on trouve la création de cinq critères « clairs et permanents » pour les demandeurs d’un titre de séjour. Par exemple, le fait d’être dans l’impossibilité de retour, d’être gravement malade, ou même la prise en compte d’un projet de contribution socio-économique en Belgique. Cet appel aux partis politiques n’a pour l’instant donné lieu à aucun résultat.
Comment vivre une vie « comme les autres »
L’accès au travail est une autre difficulté que connaissent les personnes qui ne sont pas régularisées. En effet, être migrant sans-papiers rime avec travail au noir, précaire et mal payé. « On a besoin d’argent pour se nourrir, s’acheter des vêtements… Alors on est obligés de chercher un petit boulot tout en sachant qu’on risque de se faire prendre. Dans ce cas, on nous envoie au commissariat, puis au centre fermé, puis après c’est l’expulsion » déclare Modou.
En 2018, Eurostat estimait que les activités non-déclarées représenteraient 15 à 20% de l’économie. Dès lors, la régularisation des sans-papiers pourrait être envisagée comme une solution pour faire diminuer cette proportion et réduire le déficit de la Sécurité sociale. Ce sont ces aspects positifs de l’immigration que les membres de la VSP souhaiteraient rendre audibles.
Parmi les membres du collectif, on trouve des parents qui se battent pour que leurs enfants puissent aller à l’école. Pourtant, d’après la loi, aucune direction d’école ne peut refuser d’inscrire un élève qui serait en séjour irrégulier. C’est généralement le manque de place qui est utilisé comme argument par les établissements. Un prétexte auquel Modou ne croit pas : « En tant que noir sans-papier, si je demande à une école l’inscription de mes enfants, on me répondra systématiquement non. » C’est grâce à des associations et des bénévoles, qui leur viennent en aide dans les démarches pour les inscriptions, que les enfants sont capables d’aller à l’école et d’apprendre.
Un décalage entre les citoyens belges et l’Etat
Certains habitants du quartier, curieux, ont déjà poussé la porte de l’immeuble pour venir rencontrer leurs nouveaux voisins. C’est d’ailleurs la volonté affichée sur une feuille placardée sur la porte d’entrée : « Vous êtes les bienvenus à tout moment pour nous rendre visite et discuter. »
Modou ressent une conscientisation de plus en plus importante des citoyens, mais très peu de la part du gouvernement. « On a beaucoup d’amis belges ; on sort et on organise des activités ensemble. C’est l’opposé de ce qu’on a avec le gouvernement qui nous chasse, nous intimide et nous discrimine. » Pour le collectif, le fait d’occuper un immeuble public fédéral s’impose comme un bon moyen pour mettre l’Etat face à ses responsabilités et, peut-être, se faire entendre.