Line Hedebouw travaille à la SNCB. Elle contrôle les billets des navetteurs, tout en occupant une fonction de déléguée syndicale à la CGSP Cheminots. Elle raconte son quotidien d’accompagnatrice de train.
Photos : Jérôme Vertommen (CC BY NC ND)
Accompagnateur.trice de train, c’est un métier difficile selon-vous ?
Oui, on ne va pas se mentir, c’est difficile. Se lever tôt le matin et aller dormir tard le soir, ça complique la vie sociale. Je dois parfois aller dormir avant mes enfants… On échange les rôles, c’est eux qui me mettent au lit. Il y a beaucoup de gens qui me disent comprendre ce que c’est de se lever très tôt parce qu’ils ont déjà pris l’avion à 3h du matin une fois, mais c’est très différent de se lever à 3h du matin occasionnellement ou toute la semaine. Et physiquement, il faut pouvoir encaisser. Je connais beaucoup d’anciens collègues qui ont commencé le métier et qui au bout d’une année se rendent compte que physiquement ça ne va pas. En fait, il faut s’habituer à vivre avec la fatigue. Les voyageurs ne voient pas cet aspect du métier, ils ne voient que le contrôle des billets.
Le coronavirus a-t-il compliqué la pratique de votre métier ?
Oui, le covid n’a pas aidé. De manière générale, il y avait moins de monde à bord des trains. Les navetteurs qui partent travailler, les gens lambdas ont moins pris le train pendant la période du confinement, donc le contrôle social a diminué. Les gens étaient moins enclins à respecter les règles. Au de-là de 22h, le pourcentage de fraudeurs potentiels est de toute façon plus grand ; il y a plus de laisser aller. Et pour le moment, l’ambiance dans les trains est très tendue parce qu’on voit une tension entre les pro-masques et anti-masques par exemple… et nous notre métier, c’est de faire appliquer les règles. Les changements des règles à répétition, imposés par le Comité de concertation, nous compliquent la tâche et on voit que ça pousse les voyageurs à bout. En fin de compte, c’est du stress à gérer pour nous, et notre direction ne s’en rend pas toujours bien compte.
Comment avez-vous réagi après avoir entendu parler de l’agression d’une accompagnatrice de train à Ottignies ?
On a tous eu mal au cœur pour notre collègue. Le problème avec cette agression c’est qu’elle est restée seule presque une heure sans qu’on la remarque. Personne n’a remarqué qu’elle était absente. On est au courant des risques du métier et des tensions possibles, mais il y a un manque d’assistance en cas de problème. En fait, il y a un ras-le-bol général de la situation, un ras-le-bol d’être seul. Le manque d’effectifs à la SNCB est global. Il y a un manque de personnel chez les accompagnateurs, mais aussi chez Securail qui est le service de sécurité interne à la SNCB. Ils ne sont pas toujours à nos côtés, parce qu’ils ne peuvent pas être partout à la fois. Il y a une désertification générale des gares, surtout en soirée.
Existe-t-il une aide psychologique après un cas comme l’agression d’Ottignies ? Est-ce une demande de votre profession ?
C’est quelque chose que nous avons réussi à obtenir par négociations syndicales. Une personne qui se fait agresser peut avoir un suivi psychologique de 3 à 6 séances. Je pense que pour certains agents, c’est vraiment nécessaire, mais pour d’autres c’est trop peu. Le problème, c’est que la gravité de l’agression est très subjective. Il peut y avoir une agression violente, mais qui vous touchera moins parce que c’est la première par exemple. Puis une autre beaucoup moins violente, mais qui est la cinquième d’une série et c’est celle de trop. Certains contrôleurs, pour une insulte, vont avoir besoin de ce suivi psychologique parce que c’était la goutte d’eau qui a fait déborder le vase. Et ça ce n’est pas toujours compris par notre hiérarchie.
Recevez-vous des formations de self-défense ou autre proposées par la SNCB ?
Ce n’est pas du self-défense. La SNCB part du principe qu’il faudrait trop de temps de formation pour que cela vaille la peine et elle n’a pas les moyens d’offrir ça. Une formation « one shot » était donnée pour gérer les situations difficiles, mais à cause du manque d’effectifs, quasiment plus personne n’est envoyé en formation. Je fais partie des rares personnes qui ont eu cette chance, mais la raison c’est que j’étais enceinte et que je ne pouvais donc plus exercer mon travail à ce moment-là.
Avez-vous déjà subi des violences verbales ou physiques dans le cadre de votre travail ?
Des violences verbales oui ! C’est presque au quotidien. Ce qui est malheureux, c’est que ce sont des non-événements. Ils font partie du métier. Mon uniforme, c’est comme une armure. C’est l’uniforme qui se prend les insultes, ce n’est pas moi. On finit par créer une espèce de carapace et les agressions verbales glissent dessus. Mais quand on est fatigué, cette carapace se fragilise. Une fois j’ai reçu une insulte qui m’a fort touchée ; j’en ai eu les larmes aux yeux. C’était pendant une période où je n’arrêtais pas. Je courais partout, me donnais à fond. Je devais m’occuper des enfants, je gérais mes horaires, le ménage, je suis déléguée syndicale… Je manquais de sommeil à fond. Et un matin, il y a un bonhomme qui m’a traité d’« espèce de pourriture fainéante ». J’aurais préféré qu’il me traite de sale p*te.
Avez-vous peur d’aller travailler ?
Personnellement, non parce que j’arrive à me raccrocher aux aspects positifs de mon métier, mais je connais des collègues pour qui c’est le cas. On le voit au taux d’absentéisme, de burnout et de dépression. Certains travaillent depuis dix ans et n’en peuvent plus ; ils ne sont plus capables de voir un train. Je travaille à la SNCB depuis 15 ans et ça fait 15 ans qu’il y a un problème d’effectifs. Il y a aussi une peur de la hiérarchie. On ne peut pas s’exprimer librement face à la presse, dire ce que l’on pense. L’ambiance aux chemins de fer bloque parfois les agents à revendiquer des choses, parce qu’il y a une peur de la punition, une culture de la punition. C’est une entreprise qui fonctionne à la menace.