"Les hommes souffrent moins de violences médicales que les femmes"

"Rédigé par des hommes blancs hétérosexuels pour des hommes blancs hétérosexuels". Miriam Ben Jattou, la fondatrice et juriste de l’association "Femmes de droit" évoque les biais genrés du droit belge et dénonce notamment la surexposition des femmes aux violences médicales.

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« Rédigé par des hommes blancs hétérosexuels pour des hommes blancs hétérosexuels ». Miriam Ben Jattou, la fondatrice et juriste de l’association « Femmes de droit » évoque les biais genrés du droit belge et dénonce notamment la surexposition des femmes aux violences médicales.

Pourriez-vous me raconter comment vous vous êtes intéressée à ce sujet ?

« Avec une copine juriste, nous avons créé l’association « Femmes de droit, droits des femmes » pour défendre ainsi que pour réfléchir sur le droit des femmes et surtout de les en informer car elles sont dans une ignorance complète. Un autre objectif est d’attirer l’attention des professionnels du droit sur le fait que celui-ci est genré, même si l’on apprend à l’université qu’il est neutre et égalitaire. En effet, il a été rédigé par des hommes blancs hétérosexuels pour des hommes blancs hétérosexuels, bien que beaucoup refusent encore de l’entendre.

En effet, même si l’on décide de faire abstraction de ces problématiques sociologiques que sont le patriarcat et la domination masculine, et quand bien même on estimerait que ces hommes qui écrivent les lois soient tous de bonne foi, ils ne peuvent ni se mettre à la place, ni penser pour des noirs, des femmes, des arabes, des homosexuels, … Ils ne peuvent pas se rendre compte des réalités que vivent ces groupes opprimés. « 

Auriez-vous un exemple pour démontrer cela ?

« La loi de 2002 sur les droits des patients. Elle contient une série d’articles mais n’est pas contraignante dans le sens où aucune sanction n’est prévue en cas de non-respect de celle-ci (ce qui est déjà plutôt interpellant). Le seul élément sur lequel on peut alors s’appuyer en cas de litige entre un patient et un membre du corps médical est celui de la « responsabilité civile », qui s’invoque en Belgique selon trois critères importants :

  1. Il faut commettre une faute (et non une erreur)
  2. Il faut prouver un dommage
  3. Il faut prouver un lien de causalité entre la faute et le dommage, c’est-à-dire qu’il faut démontrer que sans la faute, le dommage n’aurait pas eu lieu et que c’est à cause de la faute qu’il y a dommage

La loi prévoit également qu’il faut demander, dans la mesure du possible, le consentement de pratiquer un acte médical sur la personne tant qu’elle est consciente.

Je vais prendre un exemple typique et très fréquent où l’on aimerait invoquer la responsabilité civile : le cas d’une femme qui ne souhaite pas d’épisiotomie préventive, qui signe des papiers avant l’accouchement pour marquer son non-consentement et qui en subit une malgré tout pendant son accouchement. Ici, la faute est facile à prouver puisque le médecin n’a pas respecté la volonté de la patiente. De même, le dommage est évident : on a mutilé son périnée. Reste à démontrer que c’est à cause de l’épisiotomie que la femme a une mutilation, des points de suture et des douleurs, et prouver que s’il n’y avait pas eu d’épisiotomie, il n’y aurait pas eu ce dommage. Ce point-là est particulièrement difficile à attester puisqu’une déchirure aurait pu arriver sans épisiotomie

Dans un cas inverse, le médecin respecte le consentement de la patiente : il ne pratique pas d’épisiotomie mais il y a eu déchirure grave et donc un dommage. La question qui se pose alors est : « Peut-on estimer qu’il y a faute alors que le médecin a respecté le consentement de la patiente ? » La réponse est oui, car on pourrait être d’avis que le médecin n’a pas suffisamment informé sa patiente quant aux risques encourus.

En bref, la relation patient/soignant est très souvent compliquée, et c’est la raison pour laquelle il me semblait fondamental de me pencher sur la question. « 

Les hommes sont-ils confrontés à autant de violences/maltraitances que les femmes ?

« Non et pour vous expliquer ça, je vais revenir sur mon exemple du droit médical. Comme la loi de 2002 n’est pas contraignante, ce qu’on invoque pour sanctionner un soignant, c’est la responsabilité civile. Or, il faut prouver un lien de causalité, ce qui est quasiment impossible en matière préventive puisqu’on ne peut jamais démontrer que si l’acte préventif n’avait pas eu lieu, le traumatisme que cet acte visait à prévenir ne se serait pas produit.

La différence fondamentale entre les hommes et les femmes, c’est que nous, les femmes, sommes confrontées au milieu médical beaucoup plus fréquemment que les hommes et beaucoup plus souvent dans un cadre préventif. Dès nos premières règles, il nous faut un rendez-vous chez le gynéco. Les recommandations sont ‘De s’y rendre chaque année, de faire un frotti tous les deux ans, de faire des mammographies, etc’. Les hommes, eux, ont comme seule recommandation de faire suivre leur prostate à partir de leurs 55 ans, et le nombre d’hommes qui suivent ces conseils est considérablement réduit par rapport à la proportion de femmes qui suivent les recommandations au niveau gynécologique.

Je tiens à rappeler aussi que dans 90% des cas, les grossesses et les accouchements ne sont pas des pathologies, et que donc tout acte médical réalisé l’est à titre préventif : les échographies, les prises de sang, les frottis, le percement de la poche des eaux, la position de la femme sur la table d’examen, l’épisiotomie, etc. Tout cela n’est pas du soin mais bien de la prévention. Comme la plupart des femmes sont concernées par les grossesses et les accouchements, elles sont également confrontées au milieu médical dans un cadre non pathologique bien plus souvent que les hommes.

Le problème est que tout le droit médical, vu qu’il est basé sur la responsabilité, est en fait basé sur la pathologie. Résultat ? En tant que femmes, dans l’immense majorité des cas, on ne peut pas faire valoir notre droit puisque rien ne nous protège dans le cas de la prévention. On tient donc là un exemple typique du droit qui est pensé par les hommes pour les hommes.

Ces derniers souffrent donc moins de violences médicales que les femmes pour toute une série de facteurs. D’abord, comme je viens de l’expliquer, parce qu’ils y sont moins souvent confrontés, ensuite, parce que le sexisme est fort présent dans le milieu. Bien-sûr ils peuvent être victimes de racisme, de grossophobie, de pauvrophobie et de pleins d’autres choses dont les femmes souffrent également. »

Quels sont les différents types de violence auxquelles les patientes sont confrontées dans le milieu médical ?

« Le sexisme. Les stéréotypes de genres qu’on observe dans la société de manière générale impactent les femmes ainsi que la relation entre le soignant et sa patiente. Exemple classique : « la femme est plus sensible » et « l’homme ne se plaint pas souvent de douleurs donc lorsqu’il le fait, il faut le prendre en charge très rapidement ».

Il y a un mépris de la douleur chez la femme et une infantilisation de tous les patients mais qui est davantage prononcée envers nous. De plus, certains symptômes sont davantage pris en considération chez les hommes que chez les femmes. Un exemple criant serait celui de la pilule contraceptive. Cela fait des années que la pilule pour homme existe mais qu’elle n’est pas mise sur le marché parce que les effets secondaires sont trop importants (ils incluent notamment une baisse de libido et des rapports sexuels plus douloureux). Pourtant, ces effets secondaires sont exactement les mêmes pour les femmes. Alors oui, on parle d’en commercialiser une bientôt, mais cela n’empêche que ça fait plus de 30 ans qu’elle aurait pu l’être. Et, en plus de ce sexisme omniprésent, les femmes souffrent également de grossophobie, d’homophobie, de racisme, comme je l’ai dit tout à l’heure. « 

Comment expliqueriez-vous cette violence ?

Les rythmes de travail qu’on impose, la diminution des salaires et la restriction de personnel, c’est inhumain et donc effectivement, quand on est seul à s’occuper de 30 patients, on fait les choses vite et on ne prend pas le temps d’expliquer ni d’obtenir le consentement de la personne. Le problème, c’est que toutes les décisions politiques qui sont prises depuis des années ne concernent que des réductions budgétaires, ce qui augmente la violence institutionnelle. Les violences médicales faites aux femmes sont donc un croisement de deux violences : les violences de genre et les violences institutionnelles.

Il faudrait changer tout le système, en commençant par sécuriser les soignants pour qu’ils aient de meilleures conditions de travail ce qui de facto aura un impact sur les patients. Il y a clairement deux niveaux de combat : un niveau individuel et un niveau politique. Résultat, tout le monde est en insécurité : les patients comme les soignants. « 

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