Les familles de détenus face à l'exclusion sociale

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Photo : Générée par IA

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Du 14 au 24 novembre 2024, la 11ème édition des journées nationales de la prison de Wallonie-Bruxelles se déroule sur le thème de “La prison, le monde invisible”. L’objectif est de sensibiliser aux conditions carcérales en Belgique. Celles-ci, affectent aussi les familles des détenus. Franca et Manon témoignent.

« Beaucoup de gens m’ont tourné le dos dès qu’ils ont su que mon ex-mari était en prison », confie Franca, mère de trois enfants. Son récit met en lumière les épreuves silencieuses des proches de détenus. Comme pour des milliers de familles en Belgique, la condamnation de son compagnon a profondément bouleversé son quotidien et l’a confrontée à la stigmatisation et à l’exclusion sociale.
Son cas est loin d’être isolé. En Belgique, plus de 17 000 enfants ont un parent en prison, et plus de 76 000 personnes sont indirectement affectées par l’incarcération d’un proche. Ces familles affrontent un lourd fardeau émotionnel, financier et social, rarement pris en compte.

En Belgique, plus de 17 000 enfants ont un parent en prison

La vie de Franca a basculé il y a 8 ans, en décembre 2016, lorsque son mari a été arrêté pour commanditation d’un braquage, ce qui lui valut une peine de 6 mois de prison préventive, et une condamnation de 5 ans avec sursis. La première conséquence de cette détention fut financière : Franca et l’une de ses filles, Manon, 19 ans à l’époque, se sont retrouvées accablées par plus de 40 000 euros de dettes. “Les huissiers ont sonné à la porte. Je me suis aperçue qu’il y avait un énorme problème. Je me suis débrouillée tant bien que mal. Au bout de deux ans, j’ai cessé de payer et je me suis mise en médiation de dette collective. Ça s’est terminé cette année-ci en février, au bout de cinq ans.”

Au-delà de l’aspect financier, la vie sociale de Franca a complètement changé. “Je ne fais plus confiance à personne. Je me méfie de tout et j’essaye d’ouvrir les yeux sur ce qu’il se passe autour de moi. J’ai fait un énorme tri parmi mes proches et amis.” Avec du recul, elle estime que cette condamnation l’a transformée, faisant d’elle une personne plus solide et ferme.

Coupables par association

À l’époque, Franca s’est sentie juger par les autres : “Ils s’imaginaient que j’aurais dû voir venir la chose, que j’aurais pu l’empêcher d’une certaine manière.” Pour certains, les proches de prisonniers sont considérés comme des “coupables par association”. “C’est inadmissible parce que d’un côté, nous, on n’y est pour rien. Et dans cette situation, je suis la première victime.

Cependant, l’expérience n’est pas vécue par tous les proches de cette façon. La fille de Franca, Manon, ne s’est pas du tout sentie exclue ou montrée du doigt suite à l’incarcération de son père. “Au contraire, très souvent, la réponse des gens, c’est que je ne suis pas mon père et que mon père n’est pas moi. Par contre, je me suis sentie un peu rejetée par certains membres de la famille. Mais je pense qu’avoir un proche emprisonné fait un peu partie de la vie actuelle, que c’est de plus en plus banal.

Néanmoins, Manon admet que cette incarcération a “bouleversé le schéma familial”. Ses parents se sont séparés et sa relation avec son père s’est dégradée. Manon et sa famille ont tout de même tenu à maintenir une relation avec leur père en détention en lui rendant régulièrement visite en prison. Ce qui n’était pas sans difficulté.

Accolades interdites

Les familles des personnes emprisonnées sont fréquemment confrontées à des règles strictes lors des visites. Pour Manon et Franca, les visites se déroulaient dans un espace comparable à un réfectoire, sans intimité. « On ne peut pas trop lui serrer la main, et les accolades sont interdites« , précise Franca. Cet environnement, à distance, rend difficile le maintien des liens affectifs.

Au départ, j’ai été très triste et j’étais un peu honteuse aussi. Mais ça n’a pas duré longtemps, car à partir du moment où j’ai commencé à aller le voir, après qu’il soit rentré en prison, j’avais plutôt l’impression que ma mission, c’était de soulager son quotidien”.

Des aides financières

Un quotidien qui fut notamment soutenu au sein de leur famille par l’octroi d’un soutien du CPAS. Mais de nombreuses aides sociales sont aussi disponibles pour les proches des personnes emprisonnées (Croix-Rouge, Fonds Houtman, les Relais Enfants Parents, La Ligue des Familles), mais peu en sont informés. Franca, pour sa part, a reçu une aide sociale et financière, « pendant un petit temps, pour le remboursement de mes médicaments, pour le sport de mes enfants. J’avais des chèques pour intervenir dans les frais.

En revanche, pour ce qui est de l’aspect psychologique, comme l’explique Manon, aucune association ne lui est venue en aide, et elle a dû elle-même faire la démarche de consulter un psychologue pour traverser l’épreuve que représentait pour elle l’incarcération de son papa.

Par ailleurs, les proches se plaignent d’être livrés à eux-mêmes sur le plan administratif. Franca et Manon racontent avoir eu beaucoup de mal à comprendre ces documents. De leur point de vue, l’aide d’un avocat est aussi importante pour les proches que pour le détenu lui-même dans ce genre de situation.

La réinsertion, un mirage

Pour Franca et Manon, si l’emprisonnement a été une épreuve, le défi le plus inattendu fut la réinsertion du père de famille. La sortie de prison d’un détenu ne signifie pas toujours un retour à la normale.
C’était une période hyper compliquée”, raconte Manon. Après de longs mois d’absence, le schéma familial a évolué, ce qui fait que le retour nécessite une phase d’adaptation difficile.

Le quotidien avait changé sur ces six mois-là. Le sien n’était plus du tout rythmé comme le nôtre. J’ai trouvé ça compliqué et c’était un peu violent”, partage Manon. L’absence d’une transition progressive entre l’isolation carcérale et la liberté extérieure peut compliquer la réinsertion sociale, et beaucoup peinent à retrouver une stabilité à leur sortie.

De plus, l’absence de structures d’accompagnement rend la situation d’autant plus compliquée. Tellement compliquée que Manon se questionne quant à la possibilité d’un retour à une vie de famille normale. « Il n’a jamais repris un rythme de vie serein, des habitudes correctes… Il ne s’est pas vraiment réinséré dans la société”.

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