Les facilités linguistiques de Bertrand Waucquez

Portrait du bourgmestre de Kraainem, Bertrand Waucquez

par

Pierre Maeyens pour Mammouth Média

Portrait du bourgmestre de Kraainem, Bertrand Waucquez

Pierre Maeyens pour Mammouth Média

Il parle couramment six langues, dont le japonais, mais surtout le français et le néerlandais. Très utile quand on est bourgmestre d’une commune à facilités. Bertrand Waucquez a réussi à apaiser les tensions communautaires dans sa commune. Au prix d’un culte de la personnalité, comme le pense l’une des échevines ? Portrait de l’homme fort de Kraainem.

65 bougies décoraient son gâteau d’anniversaire le trois octobre dernier. Un âge à partir duquel beaucoup songeraient sérieusement à la retraite, mais pas lui. Marié et sans enfant, Bertrand Waucquez préfère investir toute son énergie dans sa commune : Kraainem. Il proclame être à la tête d’une famille d’un peu plus de 14 000 personnes. Membre fondateur du mouvement citoyen baptisé Kraainem-Unie, ce polyglotte en est à son second mandat à la tête de la commune à facilités située en périphérie bruxelloise. Son parcours n’a cependant rien de linéaire.

Bertrand Waucquez a grandi à Woluwe-Saint-Pierre, aux côtés de son frère et de sa sœur. Sa mère était très active dans des associations pour paralysés cérébraux, son père travaillait dans les ressources humaines. Diplômé comme ingénieur civil à l’Université Catholique de Louvain, il finira ses études et commencera sa carrière à Tokyo. Entre Louvain-la-Neuve et le Japon, il fera un crochet par Zeebrugge pour effectuer son service militaire.

De retour au plat pays, le futur bourgmestre travaillera durant une quinzaine d’années dans une entreprise portuaire anversoise, puis, se transformera en consultant indépendant dans le secteur énergétique pendant dix années.

De B-Plus au Parti Populaire aux côtés de Rudy Aernoudt

« Je considère que les langues et les cultures sont des enrichissements et non des obstacles. On a cette richesse de pouvoir combiner deux cultures, deux héritages et de régler les tensions pacifiquement ». C’est l’une des raisons qui rend fier Bertrand Waucquez de la Belgique, lui qui maîtrise parfaitement plusieurs langues (français, néerlandais, anglais, allemand, japonais, espagnol). Il comprend les conversations en chinois et apprend l’ukrainien depuis le début de la guerre.

Le Crainhemois a toujours défendu la Belgique, au point de devenir, aux alentours de 2007 – 2008, Président du comité exécutif de B-Plus, une ASBL qui se bat contre la scission du pays. Aujourd’hui, il en est encore administrateur. Bertrand Waucquez y rencontrera une personne pour qui il a rapidement développé « une grande admiration » : Rudy Aernoudt, actuel chef de cabinet du Président du Mouvement Réformateur. Économiste, essayiste et haut fonctionnaire, Rudy Aernoudt est connu pour son positionnement en faveur d’un fédéralisme belge fort. Ancien précepteur du Prince Laurent, il a ensuite occupé plusieurs fonctions au sein de l’administration flamande, dont celle de secrétaire général du département de l’Économie, avant d’être licencié en 2007 pour avoir dénoncé publiquement des dérives politiques.

En juin 2010, la Belgique est marquée par une élection fédérale anticipée. Deux mois auparavant, le gouvernement Leterme II explosait en miettes sur base du conflit communautaire autour de l’arrondissement électoral de Bruxelles-Hal-Vilvorde. À ce moment où resurgissent tensions entre Néerlandophones et Francophones – tout ce dont a horreur Bertrand Waucquez – Rudy Aernoudt vient le chercher pour une place sur la liste électorale du parti qu’il a cofondé avec un certain Mischaël Modrikamen : le Parti populaire (PP). Fait rare – et déterminant dans l’acceptation du futur bourgmestre de Kraainem – la liste ne se limite pas à une province, ni même à une région, mais elle s’étend en Wallonie, en Flandre et à Bruxelles.

« Ça a été ma première expérience politique », confie Bertrand Waucquez. « Je n’avais jamais pensé à m’engager en politique, et c’est par ce biais que j’ai commencé à m’y intéresser. Le PP, au départ, c’était un projet bilingue et fédéral. C’est ça qui m’intéressait. Comme partout, dans le programme, il y avait des choses qui me plaisaient et auxquelles j’adhérais à 100%, et puis, des choses qui me plaisaient moins ». 

Peu après les élections, où le PP n’obtient qu’un seul siège, Rudy Aernoudt finit par quitter la formation. Ce départ entraîne, à terme, une autre démission : celle de Bertrand Waucquez. Polyglotte, convaincu que la plus grande richesse du pays réside dans la coexistence de ses deux cultures, il constate que le parti qu’il avait rejoint s’éloigne de cette vision. Là où il défendait un projet fédéral et bilingue, le PP glisse peu à peu vers une ligne confédérale et résolument francophone. Bertrand Waucquez finit alors par s’en aller.

Le PP sera qualifié par le Centre de recherche et d’information socio-politiques (CRISP) de parti d’extrême droite en 2016. En 2019, le parti disparaît. « Je ne l’ai pas vue venir [NDLR : la qualification d’extrême droite par le CRISP], parce que quand j’y étais, ce n’était pas le cas. Je ne pouvais pas prédire en 2010 ce que le PP allait devenir en 2016 », clame aujourd’hui Bertrand Waucquez.

Kraainem-Unie : de Facebook à l’écharpe mayorale

2012 est une année phare dans la vie de Bertrand Waucquez. Avec quatre personnes, il fonde un mouvement citoyen à Kraainem, nommé Kraainem-Unie, qui se base principalement sur le bilinguisme. Lors des élections communales du 14 octobre de la même année, il est élu pour la première fois de sa vie en tant que conseiller communal.  

Les origines du mouvement remontent à un groupe Facebook, qui dénonçait le fait que la politique locale était davantage consacrée aux questions linguistiques qu’à la bonne gestion de la commune.  Pour Bertrand Waucquez, si les aspects linguistiques demeurent importants, ils ne doivent pas être le centre de toutes les discussions politiques. « Le déclic, ça a été de se dire qu’il y avait d’autres choses que la langue des convocations électorales – car on ne parlait que de ça. C’est incohérent […], il y a tellement de choses importantes pour la vie d’une commune que les problèmes administratifs ».

Le conseiller communal mettra alors son propre bureau, annexé à son domicile, à disposition du mouvement, précise Vinciane Cardinael (Kraainem-Unie), troisième échevine en charge des Finances, de la Mobilité, de l’Enseignement néerlandophone et du Patrimoines et des Sépultures. « Entre nous, on appelle ça le QG. On y fait toutes nos réunions en présentiel. Il l’a vraiment aménagé pour le mouvement ».

En 2018, c’est le Graal. Kraainem-Unie progresse toujours et arrive en deuxième position, derrière la liste MR-Défi-Indépendants. Mais les tractations politiques permettent à Bertrand Waucquez de ceindre l’écharpe mayorale pour la première fois.

Cependant, au collège communal, le nouveau bourgmestre est contraint de cohabiter avec trois membres de la liste MR-Défi-Indépendants, reléguée dans l’opposition. Cela peut sembler surprenant, mais il s’agit d’une particularité propre aux communes à facilités : les échevins sont élus au suffrage direct. « Ce n’est pas un problème », commente d’emblée le bourgmestre. « S’il n’y a pas de consensus au Collège, on passe par le Conseil communal où nous avons la majorité. L’entente au Collège est cordiale et professionnelle. Nous ne sommes pas toujours d’accord, mais globalement, il n’y a pas de souci ». La première échevine, Elisabeth de Foestraets, (MR-Défi-Indépendants), responsable de l’urbanisme, de l’Enseignement francophone, des Cultes, de la petite enfance et de l’accueil extra-scolaire, confirme.

Néanmoins, à l’écouter, Kraainem-Unie et Bertrand Waucquez ont « l’art de récupérer les dossiers comme s’ils étaient les seuls acteurs décisionnels à Kraainem. Ils présentent les choses comme s’ils avaient décidé seuls. C’est un manque de correction, je trouve. Sans nous, au collège, ils ne pourraient pas décider. »

2024 : second mandat et le culte de la personnalité

En octobre 2024, Kraainem-Unie frôle avec la moitié des voix obtenues (48.8%). La réalité mathématique fera que sur les 23 sièges du Conseil communal, le mouvement en récoltera douze, lui octroyant la majorité absolue. « Ce n’est certainement pas une fierté personnelle. Il n’y avait pas beaucoup d’autres candidats au poste de bourgmestre, donc, je le suis resté ».

Elisabeth de Foestraets, elle aussi candidate au poste de bourgmestre en octobre 2024, a du mal à cacher son exaspération quant à cette dernière phrase. Lors de la campagne, Bertrand Waucquez n’aura pas chômé. « J’étais étonnée de voir beaucoup de drapeaux aux motifs de Kraainem-Unie aux fenêtres. Quand j’interrogeais les gens à ce sujet, ils répondaient que Bertrand Waucquez leur avait rendu un service. À ce moment, je me suis dit : ‘non, ça ne va pas. Ça ne m’intéresse pas de faire de la politique de cette manière’ ».

Elle en profite pour pointer ce qui, selon elle, est le plus grand défaut du bourgmestre : le culte de sa personnalité. Lorsqu’il doit défendre la position du Collège face à une instance externe, comme la députation permanente, il devrait, proclame-t-elle, parler au nom du Collège et non pas au nom de Kraainem-Unie. « Quand il me dit, ‘wij denken’, je lui dis : ‘wij, c’est qui ? Kraainem-Unie ou le Collège’ ? ». L’échevine donne un autre exemple : la veste fluorescente du Bourgmestre où est écrit : « Bertrand Waucquez BGM (NDLR : BGM pour bourgmestre) ». « Je n’ai jamais vu ça dans une autre commune. D’autres bourgmestres n’avaient pas un culte de la personnalité comme celui-ci, à se promener partout avec sa veste fluo ».

Malgré les nombreux défauts qu’elle lui dénombre, Elisabeth de Foestraets s’accorde avec Vinciane Cardinael : Bertrand Waucquez est disponible pour les citoyens, que ce soit au sujet d’un chien qui aboie trop fort ou parce qu’un célèbre opérateur d’Internet souffre d’une panne soudaine. « Il n’a pas de secrétaire. Je pense que c’est un choix : il ne veut pas quelqu’un qui fasse barrière entre les citoyens et lui, même si parfois, il se plaint de la charge de travail qui en découle », poursuit Vinciane Cardinael.

« Ma vie politique, elle est passionnante. », explique Bertrand Waucquez. Passionnante, parce qu’elle lui donne, dit-il, « avec beaucoup d’humilité et de modestie, on a l’impression de pouvoir faire quelque chose pour le bien commun ».

Pas certain qu’Elisabeth de Foestraets sera d’accord avec la première partie de cette affirmation.

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