Le voyage opaque de la seconde main

Les friperies se multiplient, les acheteurs aussi. Alors que les vêtements invendables sont exportés en Afrique, la provenance de certaines pièces reste parfois opaque. Dons de particuliers, déstockages, plongée dans un secteur où chaque magasin a sa méthode.

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Photo: Lisa Schirinzi (CC BY NC SA)

Les friperies se multiplient, les acheteurs aussi. Alors que les vêtements invendables sont exportés en Afrique, la provenance de certaines pièces reste parfois opaque. Dons de particuliers, déstockages, plongée dans un secteur où chaque magasin a sa méthode.

Photo: Lisa Schirinzi (CC BY NC SA)

Quand on commence à acheter de seconde main, il faut avoir l’œil. La peur dominante est toujours de payer trop cher pour un vêtement ou de ne pas repérer les petits trous, boutons manquants, etc. Au fil du temps, les habitués ont leurs adresses préférées et ne se laissent plus avoir. Il est vrai que ce marché de la fripe est très variable. De nouveaux acteurs arrivent sur le marché pensant avoir repéré un bon filon et le quittent tout aussi vite. En effet, légalement, les fripiers sont considérés comme des gestionnaires de déchets. Et dernièrement, les coûts et les législations concernant la gestion des déchets n’ont cessé d’augmenter. Il vaut donc mieux s’engager à long terme pour couvrir tous ces frais. Ce marché est soumis au cours du vêtement qui, lui aussi, fluctue fortement. De plus, pour deux vêtements similaires, les prix en fonction des différentes boutiques peuvent varier drastiquement car le travail en amont pour choisir ce vêtement est très différent. Mieux vaut donc être en mesure d’estimer la valeur de ce que l’on achète…

Texte en surimpression sur une image de tringle avec des jeans.
Photo: Lisa Schirinzi (CC BY NC SA) Texte: Sarah Poucet

Boutiques solidaires : les premières friperies

Commençons par les magasins de seconde main indémodables, qui ont toujours fait partie du paysage peu importe la tendance : les boutiques solidaires. Les Petits Riens, Terre ou encore Oxfam récoltent des vêtements dans des bulles qu’ils revendent dans leurs magasins pour financer leurs projets. Ici, les prix sont démocratiques pour s’adresser à tous les publics, mêmes les plus précarisés. Frédérick Van Hauteghem, directeur du département seconde main d’Oxfam, explique qu’ils ont trois sources d’alimentation pour approvisionner leurs magasins. Premièrement, il y a les bulles textiles. Il y en a environ 600 en Belgique et elles représentent 70% des vêtements collectés. Une bulle pèse 100 kg mais seulement entre 5 et 17% de la bulle est vendable. En cause : la propreté du vêtement, son état et bien sûr, son style. La deuxième source d’alimentation qu’Oxfam utilise est le partenariat avec des magasins privés. Cette source représente 20% des textiles chez Oxfam. Étant donné que les gens déposent leurs vêtements en magasin, les collectes sont souvent de meilleure qualité. La troisième et dernière source d’alimentation est le don direct de textile en magasin. 

50% des bulles en Belgique sont détenues par des privés. Ils font un chèque à la fin de l’année à une association mais sinon ce ne sont que des profits qui vont dans la poche des patrons, des actionnaires.

Frédérick Van Hauteghem

A noter que toutes les bulles de vêtements ne sont pas destinées à des associations. Il faut être vigilant. “Tout le monde pense, quand il donne ses vêtements, que ça va pour la bonne cause parce que ça a toujours été comme ça. Ce n’est pas vrai, 50% des bulles en Belgique sont détenues par des privés. Ils font un chèque à la fin de l’année à une association mais sinon ce ne sont que des profits qui vont dans la poche des patrons, des actionnaires. Rien n’est pour la bonne cause ou pour un projet solidaire”. Ces acteurs privés optent souvent pour un nom qu’on pourrait confondre avec une association comme l’entreprise flamande Curitas. Leurs conteneurs beiges peuplent le sol belge et malgré les photos d’enfants sur la bulle, les vêtements sont uniquement revendus à des fripiers.

Bulles vertes Oxfam pour donner des vêtements.
Oxfam se sert des dons de vêtements pour financer ses projets caritatifs.
Photo : Lisa Schirinzi (CC BY NC SA)

Après les dons, le tri

Après la récupération des dons, le tri peut commencer. Il facilitera la tâche aux bénévoles quand ils recevront les vêtements pour les vendre en magasin. Le premier tri s’effectue au niveau de la qualité. Oxfam garde la qualité de premier choix appelée “qualité crème”. Les qualités de second et troisième choix ainsi que les chiffons sont vendus à des entreprises de tri sélectionnées pour leurs critères éthiques. Enfin, les déchets sont brûlés.

Le travail de ces entreprises de tri est considéré comme complémentaire à celui d’Oxfam, qui ne peut pas tout gérer. En effet, l’abondance des dons varie en fonction des périodes. Ainsi, Oxfam récolte 3 à 4 fois plus de dons en mars, la période des lavages de printemps, qu’en décembre. Ce surplus est vendu car Oxfam n’est pas en mesure de tout trier. Ces sociétés rentabilisent au maximum les ballots qu’elles obtiennent. Par exemple, les ballots de chiffons sont revendus à des entreprises qui vont transformer le matériel en rembourrage de sièges de voiture ou autres.

Ensuite, les bénévoles trient les vêtements par sexe, par tailles adultes ou enfants mais aussi par saison. Chez Oxfam, le tri est considéré comme basique. Dans certaines entreprises de tri, il peut y avoir jusqu’à 12 catégories différentes de chemises à cause des demandes très spécifiques des acheteurs de ballots. D’autres associations, comme Terre et les Petits Riens, ont également un tri plus spécifique. Oxfam a exprimé le désir d’investir pour améliorer et uniformiser le tri, mais ne sera jamais au même niveau que le tri en friperie.

Exportation sur le territoire africain

En Belgique, la plupart des entreprises de tri sont spécialisées dans l’exportation. En effet, quand elles reçoivent des ballots de vêtements à trier, la plupart ne sont pas vendables dans nos friperies. Dans l’entreprise Syriaque par exemple, les vêtements sont triés à la main en différentes catégories. Seule la “qualité crème” est revendue dans nos magasins belges. Tout le reste est destiné à l’export puisque les qualités de second et troisième choix sont déjà des vêtements dont nous nous débarrassons dans les bulles.

Infographie retraçant les différentes étapes du vêtement donné jusqu'à son arrivée en friperie. Vêtements d'une friperie en fond.
Photo: Lisa Schirinzi (CC BY NC SA). Infographie: Sarah Poucet.

Le principal client de l’entreprise Syriaque est le Cameroun. C’est une plaque tournante du continent africain puisqu’il possède un très grand port où il réceptionne les marchandises. Jean Atmaja, le directeur de l’entreprise Syriaque, vend ses ballots à des grossistes qui eux-mêmes les revendent à des magasins locaux ou à des pays voisins. Là-bas, les qualités de second et de troisième choix se vendent très bien. “Ce qui leur importe le plus, ce sont les marques, les couleurs et être à la mode. L’usure vient seulement après donc s’ils voient un polo rouge Ralph Lauren avec un trou, ils l’achètent, ils ne se soucient pas du trou.”

Mais le problème de ce marché, c’est que l’entreprise exportatrice subit les conséquences des climats politiques locaux. La perte du marché camerounais a impacté de nombreuses entreprises de tri belges. Jean Atmaja a dû mettre son entreprise en stand-by à cause de l’arrivée de Boko Haram au Cameroun. Le groupe terroriste contrôle certaines frontières et demande des commissions pour laisser passer les marchandises. Finalement, les vêtements restent au Cameroun ce qui entraîne une chute des prix car l’offre devient énorme.

Différents standings

Désormais, ce secteur se diversifie. Les friperies classiques commandent les vêtements dont elles ont besoin à des entreprises de tri, comme c’est le cas chez Amim Sprl qui possède une friperie dans le centre de Bruxelles. Cette entreprise trie les vêtements de façon très précise et la gérante du magasin peut ainsi demander des chemises ou des jupes. Mais pour se démarquer, certaines friperies optent pour d’autres fonctionnements. On remarque que même dans la seconde main, certains standings existent. Quand les Petits Riens vendent des vêtements à très bas prix pour lutter contre la précarité, certaines friperies visent du plus haut de gamme et s’adressent à un autre public. Situé dans les ruelles du centre de Bruxelles, « Bison 4 » achète ses textiles à la pièce et non pas au poids. Un facteur qui fait augmenter les prix dans cette boutique. Le magasin surfe sur la mode en proposant du sportswear vintage. Les vêtements sont souvent de meilleure qualité mais les prix sont aussi plus élevés.

Vêtements suspendus au sein de la friperie Bison 4.
Certaines friperies surfent sur la mode du vintage et proposent des vêtements hauts de gamme. Photo: Lisa Schirinzi (CC BY NC SA)

De son côté, le magasin Podium a choisi de se différencier en lavant et raccommodant les vêtements. Leur fournisseur est français et s’approvisionne de déstockages des années 70-80 aux États-Unis et au Canada. Après avoir trié les textiles vendables des autres, la patronne et les employés lavent, raccommodent et repassent les vêtements à Braine-l’Alleud. Un service assez rare en friperie.

Une clientèle qui se diversifie

L’offre de magasins de seconde main s’est agrandie et renouvelée pour répondre à la demande grandissante. Depuis dix ans, Oxfam constate que sa clientèle a augmenté mais surtout, les profils sont devenus variés. Avant, 90% des personnes choisissaient la seconde main pour des raisons économiques. Aujourd’hui, ce critère ne vaut plus que pour 60 à 65% du public. Le reste de la clientèle fait ce choix pour des raisons éthiques ou environnementales. Reste que rares sont les jeunes qui avant 20 ans, franchissent les portes des magasins de seconde main. À coup sûr, les friperies vont s’adapter pour conquérir cette future clientèle.           

Lisa Schirinzi et Sarah Poucet                                                                            

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