A Tournai, le Ramdam Festival deviendra grand… si on lui en donne les moyens
Du 17 au 27 janvier 2025, se tiendra à Tournai la 15ème édition du Ramdam. Au fil des ans, ce Festival du Film Qui Dérange a su convaincre les professionnels et trouver son public, au point de devenir le festival de cinéma le plus fréquenté de Wallonie. Pourtant, malgré ses 35.000 spectateurs, faute d’un soutien financier suffisant des acteurs publics, son développement est remis en cause. Mammouth a interviewé Eric Derwael, commissaire général et co-fondateur du Festival.
Vous êtes co-fondateur du Tournai Ramdam Festival, pourquoi avoir créé un festival autour du film « qui dérange » ?
Au départ, il y avait une demande de Peter Carpentier, le propriétaire du cinéma Imagix. Le complexe de Mons accueillait le Festival du Film d’Amour et il voulait un festival à Tournai. Un ami lui avait soufflé l’idée du concept du film à scandale. Avec les responsables culturels et les hommes politiques qui étaient autour de la table au moment de la création du Ramdam, nous trouvions ça plus logique de l’appeler le Festival du Film Qui Dérange parce qu’il y avait une acceptation plus large d’un plus grand public. Le film à scandale a un côté un peu « qui surfe sur la vague du nauséabonde ». Il fallait du politiquement incorrect, sans être dans le « qui dérange » gratuit.
Les courts et longs métrages retenus dans votre programmation ont pour objectif de bousculer les spectateurs. Mais peut-on être dérangeant et grand public ?
Nous sommes conscients que le concept n’est pas nécessairement très « grand public ». Cela aurait été plus simple d’organiser un festival de comédie. Avec l’équipe du Ramdam, nous essayons en permanence d’organiser, de programmer et de communiquer vers le grand public. En expliquant que ce ne sont pas des films réservés aux cinéphiles mais qui s’adressent à tout le monde. C’est assez compliqué parce que les films qui dérangent sont parfois des films d’Arts et essais qui traitent de sujets qui nécessitent des débats. Cela a un côté un peu intellectuel, élitaire. Pour toucher le public le plus large possible, nous essayons d’intéresser les jeunes avec des programmes qui bousculent mais destinés à des enfants de tous les âges, dès quatre ans. Nous proposons aussi des tickets suspendus pour les personnes qui viennent de milieux plus modestes. Via l’article 27, nous faisons venir des associations et leurs membres. Nous pensons aussi à nos aînés qui sont parfois oubliés dans notre société, en leur adressant des séances l’après-midi, un moment confortable pour eux, avec un film qui n’est pas trop bousculant, pas trop difficile à entendre et qui a quand même une dimension optimiste.
Après quinze ans, l’objectif est de devenir le festival de l’Eurométropole Lille-Kortrijk-Tournai
Vous êtes le plus gros festival de Wallonie en terme d’entrées, comment êtes-vous parvenus à fidéliser le public ?
J’ai envie de dire que nous avons travaillé (rire). Contrairement à d’autres festivals qui se sont construits sur des entreprises partenaires qui achetaient des places en grand nombre et les offraient à leurs clients, nous avons choisi de miser sur le festivalier qui est la Very Important Person. C’est lui le VIP qu’on veut avoir.
D’ailleurs, c’est lui qui vote…
Le jury, c’est le public. Il vote, c’est lui qui est au centre du festival. Nous lui accordons toute notre attention. Nous n’avons pas voulu que des entreprises phagocytent le festival ou le récupèrent à leur avantage. C’est un festival construit pour les festivaliers. Il nous arrive parfois de nous demander pourquoi un film a remporté une récompense lors d’un festival et nous comprenons qu’il y a du copinage derrière. Alors que le public est indépendant et base son vote sur la manière dont il a vu et entendu les choses. Un réalisateur qui vient défendre son film a plus de chances d’avoir une bonne côte, sauf s’il est mauvais évidemment. Le grand public reste la meilleure référence pour évaluer un film.
Une autre richesse du Ramdam est la présence de nombreux réalisateurs et acteurs qui viennent défendre leur film. Comment êtes-vous parvenus à les amener à Tournai ?
Grâce au temps et au public. Quand les acteurs et réalisateurs viennent, les salles sont remplies, même le matin. Ils se rendent compte quand ils viennent chez nous qu’il y a de l’ambiance et qu’il y a une effervescence. Des personnes viennent de partout dans le monde. Les réalisateurs sont contents de traverser l’Atlantique ou la Manche pour présenter leur film car ils savent qu’ils seront entendus par un public qui apprécie leur travail. Cela fait quinze ans que le festival existe et cela a pris du temps de faire un bouche à oreille de qualité. Nous avons misé sur le temps plutôt que sur l’argent car nous n’avions pas vraiment les moyens de faire une grosse campagne promotionnelle. Cependant, il y a encore des réalisateurs qui ne nous connaissent pas, même si le Ramdam est devenu le plus gros festival cinéma de Wallonie.
Le Festival pourrait faire rayonner la ville au niveau national ou international
Tournai est une petite ville mais elle est située à deux pas de la métropole lilloise. Avez-vous pour ambition de toucher le public français ?
Nous voulons développer le festival car nous avons su créer une marque qui percute et une programmation riche grâce à notre comité indépendant et bénévole. Nous sommes parvenus à faire en sorte que ce qui est écrit sur la boîte continue à correspondre à ce qui se trouve dans la boîte en restant fidèle au thème « qui dérange ». Après quinze ans, l’objectif est de devenir le festival de l’Eurométropole Lille-Kortrijk-Tournai. Au total, cela englobe plus de deux millions de personnes. C’est comme si 50% de la Wallonie étaient à nos côtés. Ce n’est pas simple car l’Eurométropole touche deux communautés belges et deux pays mais c’est une richesse. Le challenge est difficile mais pas impossible.
Que manque-t-il au Ramdam pour poursuivre son évolution ?
Nous avons probablement le plus petit budget parmi les grands festival. Le Festival de Namur fait 32.000 entrées et s’appuie sur un budget d’1,8 millions d’euros subsidié à hauteur de 75%. Comme Namur, Mons retire la majeure partie de son financement de subsides publics. Le budget du Tournai Ramdam Festival est de 500.000 euros malgré nos 35.000 entrées. 40% du budget proviennent des subsides (plus ou moins 200.000 euros) et le reste vient du privé. Il y a plein de choses que nous voulons mettre en place mais que nous ne pouvons pas faire par manque de moyens. Le problème, c’est que le bateau va trop vite. Nous pouvons réduire la voilure mais c’est très frustrant. Si nous voulons continuer à nous développer, nous avons besoin de subsides. Il faut que la Ville, la Province et la Région aient envie d’investir. En sachant l’incidence importante que ça aura sur l’immobilier, l’Horeca et l’image de la ville de Tournai.
Subsidier le Ramdam est le meilleur investissement que Tournai puisse faire ?
Notre modèle de festival ne peut pas se développer sans le soutien de la Ville et un projet marketing comme le Ramdam, ça n’a pas de prix. La ville de Tournai a la chance d’avoir un festival qui porte son nom, le « Tournai Ramdam Festival ». J’ai poussé à ce que ce soit le cas car je trouve que le marketing du festival doit s’inscrire totalement dans le marketing de la ville. Notre festival fonctionne mais nous voulons continuer à nous développer donc nous avons besoin que les autorités politiques se réveillent et comprennent que cela pourrait renforcer l’attractivité de Tournai. C’est une question de stratégie à long terme. Le Festival pourrait faire rayonner la ville au niveau national ou international. Chaque année, le Festival de Cannes est la vitrine de la France dans le monde. Si nous voulons avoir un bel étalage et aguicher le grand public, il faut en avoir des moyens. C’est à la Ville de choisir ce dans quoi elle investit. Actuellement, il y a un changement politique au niveau de la majorité communale et provinciale. Serons-nous entendus ? Je suis optimiste de nature, je suis certain que nous allons convaincre les hommes politiques d’investir davantage dans le festival.
Le Ramdam Festival peut-il devenir la vitrine de Tournai ?
C’est un petit festival à l’échelle mondiale, dans un endroit qui n’est pas très connu du grand public même s’il s’agit d’une des plus vieilles villes du monde. Tournai est un petit écrin qui, je l’espère, sera un jour connu comme le Sundance ou Cannes à l’international. Nous pouvons rêver, nous ne sommes qu’à la quinzième édition, c’est jeune encore.