Le cinéma post-#MeToo passe le test de Bechdel

Suite aux différents scandales qui ont éclaté dans le milieu du cinéma depuis la libération mais surtout l'écoute de la parole des femmes, les personnages féminins sont-ils plus nombreux et mieux représentés dans le septième art ?

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Chris Marchant

Suite aux différents scandales qui ont éclaté dans le milieu du cinéma depuis la libération mais surtout l’écoute de la parole des femmes, les personnages féminins sont-ils plus nombreux et mieux représentés dans le septième art ?

Chris Marchant

En 2017, lorsque les premiers scandales #MeToo éclatent aux États-Unis, personne ne se doute de l’ampleur du phénomène que ces prises de paroles vont entraîner. Si les actes dénoncés concernent en premier lieu les violences faites aux femmes, ils vont ensuite engendrer un mouvement social global. Ce moment historique dans la lutte des mouvements féministes a-t-il réellement eu un impact sur l’écriture des scénarios par la suite ?

Afin de répondre à cette question, nous avons soumis 200 films au Test de Bechdel, les 50 ayant fait le plus d’entrées en France et en Belgique, en 2009 (avant #MeToo) et en 2019. Ce test analyse la représentation féminine sous le prisme de trois critères qui se cristallisent au travers de trois questions : « Le film comprend-il deux personnages féminins dont on connaît le nom ? Parlent-elles ensemble ? Et parlent-elles d’autre chose que d’un homme ? »

Une lente progression de 2009 à 2019

Dans la base de données de 2009, on constate une sous-représentation criante du genre féminin dans les films. Pourtant, entre 2009 et 2019, le nombre de films parmi ceux analysés qui réussissent le test de Bechdel a significativement augmenté, en Belgique comme en France. En 2009, seulement 48% des films du box-office français passaient le test, tels que Harry Potter et le prince de sang-mêlé, 2012 et Twilight II : Tentation. Dix ans plus tard, ce nombre monte à 82%. Parmi les films qui remplissent les trois critères en 2019, on retrouve Le Roi Lion, La Reine des Neiges 2 et Avengers : Endgame.

Du côté belge, l’augmentation est quasi identique puisque ce sont 84% des films du box-office qui réussissent le test en 2019, alors qu’il n’y en avait que la moitié en 2009. Au premier abord, tout le monde se dit que son film préféré passe certainement le test de Bechdel haut la main car il n’est pas très ambitieux et présente des critères plutôt simples à remplir. Malgré ça, même en 2019, seulement 82% et 84% des films y parviennent.

Des critères partiellement remplis

Les films qui échouent au test remplissent parfois l’un ou l’autre critère. En 2009, environ un tiers ne remplit qu’une seule des conditions, en France comme en Belgique. C’est le cas de Là-Haut et de l’Age de Glace 3 : Le temps des dinosaures. En effet, parfois, on connaît le nom d’au moins deux personnages féminins, pourtant, elles ne se parlent jamais directement.

En revanche, pour l’année 2019, ce n’est qu’un dixième des films environ qui ne répond qu’au premier critère, et ce, des deux côtés de la frontière.

Des productions américaines un peu plus inclusives

Dans le top 50 des box-offices français et belges, on retrouve principalement des films produits aux États-Unis, parfois en collaboration avec d’autres pays. En 2009, 16 films parmi les 30 films américains ayant fait le plus d’entrées en France étaient recalés au test de Bechdel, à l’image d’Avatar, Volt ou encore X-Men Origins : Wolverine. La même année, la moitié des 18 productions françaises que l’on retrouve au top du box-office français, échouent au test.

Même si le box-office belge compte plus de films américains que son voisin français, la tendance reste semblable. On ne constate pas réellement de différence du taux de réussite au test en fonction des pays d’origine en 2009. Par contre, en 2019, la différence est plus marquée. En France, sur les 34 films américains du top 50, 85% passent le test avec succès. Alors que pour les productions françaises, seulement 69% remplissent les trois conditions, tels que Qu’est-ce qu’on a encore fait au Bon Dieu ? ou Nous finirons ensemble. Aux États-Unis, les boîtes de production auraient-elles enclenché un début de changement en termes d’inclusivité ?

Des femmes qui changent le paysage cinématographique

L’un des critères les plus déterminants pour savoir si un film est plus susceptible de réussir le test de Bechdel qu’un autre, c’est de s’intéresser au genre de la personne qui l’a réalisé. Lorsque c’est une femme réalisatrice, tous les films comportent au moins deux personnages féminins, dont on connaît le nom, qui parlent entre elles, et d’autres choses que d’un homme, même lorsque ces derniers sont co-réalisés avec un homme. Et cela, que ce soit en France ou en Belgique, en 2009 ou en 2019.

La représentation des femmes dans les films est fortement influencée par celle des femmes présentes derrière la caméra. Leur sous-représentation à des postes de réalisation dans le cinéma a des conséquences. Elle continue de renforcer ce que l’on appelle le male gaze, un concept qui désigne le fait que la culture visuelle dominante est empreinte d’une vision masculine.

Un contexte masculin qui se répercute sur le casting

Si, en 2019, plus de films passent le test, certains dérogent à la règle. C’est le cas de Les Misérables de Ladj Ly qui nous plonge dans le quotidien d’une brigade anti-criminalité de la banlieue parisienne. Malgré les nombreux personnages que compte le film, il n’y a pas deux femmes dont on connaît le nom ou deux femmes qui échangent quelques mots. D’ailleurs, une journaliste a interpellé l’équipe du film sur l’absence quasi totale de femmes dans son film, ce à quoi le réalisateur a répondu : “Venez-vous souvent en banlieue, Madame ? Elles sont là, mais ne traînent pas en bas des tours. La rue appartient aux garçons et on critique ce qu’ils en font.”

L’échec du film au test de Bechdel s’explique en partie par son univers. L’immersion dans un milieu masculin, comme celui de la police, de l’armée ou de certains films historiques, influence négativement la réussite du test. Le film J’accuse de Roman Polanski nous ramène dans les années 1890, pendant l’Affaire Dreyfus. Ce film d’époque se déroule dans les rangs de l’armée, un lieu inaccessible pour les femmes à l’époque. Il ne passe qu’un critère sur les trois. Même constat pour Inglorious Basterds, film dans lequel un commando de soldats juifs veut se venger des actes nazis. Malgré une place centrale occupée par le personnage de Mélanie Laurent, le film ne remplit pas les conditions du test.

Le test de Bechdel a des limites

Il existe un site officiel qui répertorie les degrés de réussite au test de Bechdel de plus de 8000 films. Une communauté d’internautes s’est créée et partage ses classements. Une fois la note attribuée, il y a un espace de discussion qui donne souvent lieu à de longs débats en commentaires. Contrairement aux raccourcis qui sont parfois faits, ce n’est pas parce qu’un film passe le test de Bechdel qu’il est féministe. Tout comme ce n’est pas parce qu’il ne remplit pas les trois conditions qu’il est sexiste. Le test entend observer si un film s’inscrit dans un schéma patriarcal global plébiscitant presque uniquement des personnages masculins, et reléguant les personnages féminins à des rôles secondaires, voire inexistants.

Le test de Bechdel permet de se rendre compte de manière incontestable de la sous-représentation du genre féminin dans le cinéma, mais ne se questionne ni sur la place occupée par ces femmes ni sur le contenu du discours. Si certains films présentent deux personnages féminins qui ont une conversation à propos d’autre chose que d’un homme, c’est souvent des sujets triviaux qui sont abordés, voire directement des stéréotypes liés au genre féminin (maquillage, vêtements, tâches ménagères…). C’est le cas notamment du film La Belle Époque réalisé par Nicolas Bedos, qui passe péniblement le test au bout d’1h45 grâce à une scène entre Margot et Lucie qui se résume à : “On peut boire quelque chose ?”, “Oui, bien sûr”. Cet exemple n’est pas un cas isolé. Même si les films qui datent de 2019 sont plus nombreux à réussir le test de Bechdel, les personnages féminins qui répondent aux critères occupent souvent des rôles connotés en terme de genre (secrétaire, femme au foyer…).

Avec certaines limites, ce test de Bechdel montre des chiffres encourageants et a le mérite de rendre visible le manque de diversité dans le milieu artistique. Pour construire une société plus égalitaire, il va falloir renforcer la présence des femmes au cinéma et en modifier les représentations. Cela passe évidemment par la présence des femmes derrière, mais aussi devant la caméra.

Méthodologie

Théorisé par Alison Bechdel, une auteure américaine de bandes dessinées, en 1985, le Test de Bechdel permet d’évaluer la présence de personnages féminins dans les films. Il a par la suite été repris dans de nombreux médias (Polygraph, Les Inrocks, The New Yorker…), pour devenir une grille de lecture pertinente d’analyse de films, qui repose sur trois critères simples :

Critère 1 : Y a-t-il au moins deux personnages féminins dont on connaît le nom ?
Critère 2 : Parlent-elles ensemble ?
Critère 3 : Parlent-elles d’autre chose que d’un homme ?

Entre 2009 (avant #MeToo) et 2019, nous avons comparé les 50 films ayant fait le plus d’entrées au cinéma en France et en Belgique. Afin de compléter cette base de données que vous pouvez consulter ici, nous nous sommes appuyées en partie sur la communauté créée par le site officiel du Test de Bechdel. Ce dernier se veut participatif, nous nous en remettons donc à la bonne foi et à la rigueur des internautes. Lorsque les débats en commentaires étaient trop clivés sur la réussite ou non d’un film au test, nous l’avons visionné. Nous avons fait de même avec tous les films non repris sur le site.

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