Un dimanche soir presque banal. Je suis victime d’une agression verbale dans les transports en communs. Une femme sur 5 a déjà subi du harcèlement dans ces trams et couloirs. Témoignages et idées de solutions.
Dessins : Salomé Lauwerijs
Il est 22H40, dimanche soir. La soirée était géniale : concert de Nick Murphy à l’AB avec Agathe, ma meilleure amie. On a des étoiles dans les yeux, un sentiment de légère euphorie nous berce encore. Ça ne va pas durer. On attend notre tram, le 32, à Bourse. Il n’y a rien à faire, même après les rénovations, la station du centre-ville bruxellois reste lugubre. Il n’est jamais confortable d’y attendre son tram 15 minutes durant, en soirée.
Le 32 arrive enfin. Je passe la porte et, là, je suis à deux doigts de m’écrouler par terre. Le gars assis sur le siège à l’entrée tend sa jambe pour me faire croche-pied et je manque de me retrouver les quatre fers en l’air.
Pas une excuse de sa part. On le sent sur la défensive, limite agressif. Agathe et moi nous nous asseyons et ne prêtons plus attention à lui… jusqu’à ce que l’on se rende compte qu’il fume un joint. Dans le tram. Sans que personne ne dise rien. « Mec s’il te plait, soit tu sors et tu fumes ton joint dehors, soit tu l’éteins et tu continues ton trajet, mais là, ça ne va pas. » Aucune agressivité dans ma voix. Il est en infraction ; on veut juste qu’il l’éteigne son bédo. Il ne m’écoute pas, se fiche de moi, me dit tout en fumant une cale : « tu serais jolie si tu avais moins de piercing ».
On décide alors à s’en remettre au conducteur. Il nous dit qu’il appelle la sécurité et que celle-ci se met en route. On ne la verra jamais arriver.
L’enchainement des faits s’accélère. Un autre jeune homme rentre dans le tram, s’assied et commence à lire son livre. Il se fait insulter de fils de pute par notre protagoniste. A deux reprises. C’est la goutte de trop, Agathe et moi nous levons et allons le confronter.
Là, tout dérape. Entre insultes et violence, il faut au moins une bonne minute avant que deux passagers, ainsi que le conducteur de tram viennent voir ce qu’il se passe. Ils le convainquent d’éteindre son joint et ont l’air satisfait. Les insultes et le manque de respect que trois passagers viennent de subir semblent être déjà oubliés.
Nous insistons, nous voulons qu’il sorte du tram. « C’est bon, va t’asseoir. Il a éteint son joint » nous dit l’un. « Ouais c’est ça, a t’asseoir sale pute » réplique le gamin. Personne ne réagit à l’insulte.
C’est donc nous qui décidons de sortir du tram, choquées par la violence des échanges. Avec un sentiment amer comme si c’était nous qui étions devenu le problème. De son côté, l’offenseur continue tranquillement son trajet sans avoir à ne répondre à aucune de ses actions de ce soir.
J’en ai ma claque de vivre ça. Marre d’avoir peur de rentrer chez moi seule le soir. Marre de ne jamais me sentir soutenue par les gens qui m’entourent lorsque je me fais insulter dans les transports.
Ce cas n’est pas isolé, et malheureusement, il est relativement moins grave que beaucoup d’autres cas que j’ai pu entendre.
Cinq femmes témoignent.
Clique sur l’image ci-dessous pour écouter leurs récits.
Un cas parmi tant d’autres
Géraldine Van der Stichele (STIB) explique au journal « Le Soir » que les femmes réalisent des trajets plus longs et plus complexes sur les lignes de la STIB. Elles sont également plus nombreuses (53%) que les hommes (46 %) dans les transports. Leur sentiment de sécurité est de 30% à 40% inférieur à celui des hommes et on comprend pourquoi, lorsqu’on jette un coup d’œil aux chiffres.
On parle du harcèlement quasiment tous les jours dans les médias ou entre jeunes. Mais un sentiment d’immobilisme domine. On peut donc se demander ce qui est réellement mis en place ?
La STIB difficile à joindre
La STIB promet de prendre des dispositions pour diminuer le nombre de harcèlements. Certaines sont déjà effectives, comme la rénovation des stations où il y a de moins en moins de recoins sombres et isolés. 3200 caméras ont été installées dans les stations et les transports.
La STIB a également lancé une campagne contre le harcèlement en collaboration avec Plan International. Sur une affiche, on nous invite ainsi à « signaler tout comportement déplacé », sans nous communiquer de numéro de contact.
Justement. En sortant du tram lors de notre mésaventure, nous avons voulu appeler la STIB pour dénoncer ce que nous venions de vivre, mais le numéro affiché à l’arrêt (070 23 2000 (0,30€/min)) ne fonctionne pas le dimanche. Il y a pourtant un numéro d’urgence. Mais celui-ci est introuvable sur l’application et il faut vraiment chercher sur le site pour le trouver (spoil si vous essayez, c’est le 1707). Pas franchement idéal s’il faut réagir vite.
Notons enfin que, dans notre cas, le chauffeur a tardé à réagir. Quant à la sécurité, elle n’est jamais arrivée.
Des outils à notre disposition
En 2016, la police a enregistré 266 cas de violences sexuelles dans les transports en commun dans toutes la Belgique. Pourtant les études montrent un taux de harcèlement sexiste bien plus élevé dans l’espace public.
Il n’y a pas que la STIB qui peut prendre des initiatives contre le harcèlement. En effet, on a vu apparaître depuis 2012 la campagne « Touche pas à ma pote », contre le harcèlement de rue et le sexisme au quotidien. Elle est aujourd’hui devenue une ASBL. Celle-ci a lancé en mars 2018, en collaboration avec la secrétaire d’Etat Bianca Debaets, une application destinée à combattre le harcèlement de rue. L’app permet de signaler, en temps réel, des cas d’agressions sexistes et de mobiliser les passants. Elle informe également les victimes sur leurs droits.
D’autres ASBL ont également le harcèlement en ligne de mire. On retrouve par exemple Plan International, cité plus haut, qui est une organisation axée sur la promotion et la protection des droits des jeunes filles. Elle a créé Safercities, une plateforme numérique sur laquelle les jeunes peuvent identifier et partager les lieux où ils se sentent mal à l’aise, ou au contraire, en sécurité. Plus de 75 lieux ont déjà été épinglés à la carte.
On peut également citer le collectif féministe anonyme « Laisse les filles tranquilles », le hashtag #balancetonmétro sur twitter ou encore l’ASBL Garance qui met à disposition des formations d’auto-défense ou encore de défense verbale.
Irène Zeilinger, la présidente de Garance, a livré au journal « Le Soir » cinq conseils pratiques en cas d’agression, détaillés ici !
Des solutions existent-elles ?
Le harcèlement reste un fléau du 21ème siècle. Des outils sont mis en place pour essayer de le faire reculer, mais un goût de trop peu persiste.
J’ai demandé aux cinq femmes que j’ai pu rencontrer si elles avaient des idées de solutions à proposer. Elles n’ont pas manqué d’idées.