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« Oh tiens, un bus ! » Chaque samedi de 15h à 18h, un bus aux allures de camping-car s’installe en face de la gare centrale de La Louvière. C’est le Médibus de Médecins du Monde.
Photos Mathilde Lechien (CC BY NC ND)
Le point fort du bus est sans aucun doute son attrait visuel. « Tiens, qu’est-ce que c’est ? Allez, on va voir. Oh un bus, c’est marrant. En plus, c’est bien aménagé !» En pénétrant dans le Médibus de La Louvière, les personnes précarisées peuvent trouver des soins infirmiers, un service de dépistage des MST, des informations sur les systèmes d’aide existants, ou tout simplement du café chaud. Ce dispositif bas seuil vient compléter ce que fait le Relais Santé de La Louvière. Il s’adresse avant tout aux personnes « en décrochage au niveau des soins de santé », celles qui ne se soignent plus et n’ont pas nécessairement de médecin référent. L’objectif est de les réinsérer dans un circuit traditionnel de soins.
Ce bus est un dispositif d’assistance médicale mobile de l’ONG internationale Médecins du Monde. Depuis le 18 mai dernier, il s’installe chaque samedi en face de la gare centrale de La Louvière de 15h à 18h. Pour atteindre un public démuni, il y a eu des campagnes d’information. Mais ce qui fonctionne le mieux, c’est le bouche-à-oreille. « Et la régularité, c’est quelque chose qui est très important ! C’est pour ça qu’à La Louvière, je pense que dans un premier temps il faut être là toutes les semaines. Et systématiquement au même endroit, sinon on ne sait pas faire passer le message » explique Rudy Gooris.
Ici, on l’appelle Rudy. Il est l’un des travailleurs sociaux qui donne de son temps aux plus démunis. Il est passé par Charleroi, Colfontaine et, depuis peu, par La Louvière. « Le Médibus est un projet qui me tient énormément à cœur. Je n’ai jamais compté mes heures, je reste avec des téléphones qui sont accessibles 24h/24. Mais je ne suis pas un exemple à suivre. Ça m’a coûté un mariage » rit-il. « On est vraiment là pour faire le travail de première ligne, pour accueillir en fait. On n’offre pas de solution. On dirige les personnes vers des solutions qui existent, les solutions institutionnelles. On n’est pas une solution, on est un relais. Quand on repère des gens qui sont là par hasard, mais qui pourraient avoir un profil qui semble correspondre au public qu’on approche, et bien on va les chercher ».
Les bénévoles du Médibus ont en effet décidé qu’il fallait arrêter de travailler sur rendez-vous avec ce public sans abri, pour aller à sa rencontre. Chaque samedi, des « éduc’mobiles » effectuent des maraudes en rue, une médecine sur le terrain.
Le Médibus est un des rares services bas seuil ouvert les week-ends. « Je marchais en direction du centre-ville quand j’ai vu le bus. J’ai été voir ce que c’était et, tout de suite, une dame m’a proposé d’entrer boire un café. Ça tombait bien parce que je cherchais justement un endroit chaud pour ‘tuer le temps’. En hiver, le centre d’accueil de jour ouvre mais jusque 15h seulement. Donc après, je ne sais plus trop quoi faire. Parfois je vais dans les magasins, parfois je vais dans les cafés ou je marche dans les rues. Bon là, j’ai pu rester trois heures à discuter, ça m’a fait du bien. On m’a expliqué que je pouvais trouver de l’aide pour mes problèmes de drogue. Et en plus, la dame m’a aussi donné du gel douche, des mouchoirs, de la crème pour le corps et des bandes hygiéniques. J’suis passée devant par hasard, mais je reviendrai ! », nous explique Océane, une jeune femme sans-abri.
« Depuis le mois de mai, on a déjà presque 200 personnes qui sont passées par le bus. Le premier mois, on atteignait les 99 passages », détaille Christine Couvreur, Attachée Spécifique à la Direction du Service Social – Relais Santé. 70 % des personnes qui fréquentent les services d’aide louviérois sont des hommes. Au début de leurs activités, une trentaine de femmes différentes passaient aussi par là. Ces femmes voulaient pour la plupart vite sortir de la rue, se bouger pour retrouver leurs enfants ou un logement. Elles sont aujourd’hui une cinquantaine à fréquenter le Médibus. Elles se trouvent aussi abîmées et ancrées que les messieurs.
De plus en plus de jeunes
Les travailleurs sociaux constatent une recrudescence de jeunes démunis. Il y a quelques années, les jeunes représentaient 30% du public sans-abri. Des chiffres imprécis, mais en augmentation, selon les autorités. La Louvière est la ville où on trouve le plus grand taux de « jeunes en errance ». Il s’agit souvent de profils fragiles, qui ont grandi en institution. Une fois dans la rue, ils sont captés par des bandes. Pour que le jeune soit accepté, il va devoir adopter les codes et les comportements de la bande. Donc il passe fréquemment par la drogue, l’alcool, la violence. Des jeunes de plus en plus isolés qui ne sont pas en demande d’aide.
Outre les jeunes et les femmes, il y a aussi les personnes âgées « On ne parle pas des très vieux. Et il y en a aussi énormément. Mais nous ne les voyons pas, et nous ne les verrons peut-être jamais, parce que ce ne sont pas des gens qui se déplacent » explique Rudy Gooris. Quant aux familles précarisées qui se retrouvent à la rue, l’aide apportée par les associations n’est pas la même. L’idée est de les placer dans un logement d’urgence, le temps qu’il faudra pour trouver une autre orientation possible.
« C’est désespérant ! » lance Rudy Gooris quand on le questionne sur la réalité de ces personnes. « Je pense que c’est à cause du monde dans lequel on vit. Ce n’est pas forcément la rencontre des mauvaises personnes. Et tous ceux qui sont à la rue ne sont pas obligatoirement des consommateurs de drogues ou d’alcool. J’en connais qui ont vécu des accidents de la vie… Je constate que l’on vit dans une société qui n’est plus capable, dans ses structures institutionnelles, de donner des réponses »
« Je ne prends plus les médicaments dont j’ai besoin«
Plus de 30% des sans-abris louviérois sont des jeunes. Loïc, 21 ans, est l’un d’entre eux depuis plus d’un mois. Il a dormi deux nuits dehors. Le centre d’accueil de jour « L’Étape », l’abri de nuit « Le Tremplin », les rues, cafés et magasins. Voilà à quoi se résume la nouvelle vie du jeune homme.
« Ma famille, je la vois encore. Mais pour eux, je ne suis plus rien. Ils m’ont oublié. » Chez sa grand-mère, Loïc collectait les petites pièces de monnaie dans une tirelire. Un jour, il s’est fait prendre alors qu’il tentait de l’emporter dans son sac à dos. Il en rit encore. Quand il se rappelle les bons souvenirs partagés avec sa grand-mère, il pense inévitablement à son oncle qu’il ne veut plus jamais voir. Le sujet est tabou ; il en tremble. Quelques années plus tard, il y aura le divorce de ses parents. Un déchirement familial qui laisse des traces chez le jeune homme. À 17 ans, il arrête ses études alors qu’il est en cinquième secondaire. Il regrette de ne pas avoir été plus courageux, de ne pas avoir bénéficié du soutien de ses parents. Et il y a aussi sa santé mentale fragile. Il a 18 ans lorsqu’il tente pour la première de mettre fin à ses jours. S’en suivront deux autres tentatives de suicide et trois internements en unité psychiatrique. Des évènements de la vie qui ont, petit à petit, poussé Loïc à la rue.
À ce jour, Loïc a renoncé aux soins de santé. « Je n’ai plus vu de médecin depuis plus d’un an. Là, j’ai besoin de voir un psychologue ou un psychiatre parce que je ne prends plus les médicaments dont j’ai besoin ». Il n’est plus capable de se rappeler les noms des traitements qui lui avaient été prescrits à l’époque. Il lui arrive d’avoir une tâche noire sur l’œil qui l’empêche de bien voir. Il cligne aussi beaucoup des yeux, mais son dernier rendez-vous chez l’ophtalmologue remonte à plus de 5 ans.
Depuis sa venue au Médibus, il sait qu’il peut désormais aller au Relais Santé de La Louvière pour prendre les rendez-vous médicaux nécessaires. Le savoir est une chose, passer la porte du Relais Santé en est une autre. Loïc n’est pas du genre à demander de l’aide, il préfère se débrouiller seul pour le moment.
S’il y a une chose à laquelle Loïc aspire le plus au monde, c’est avoir un jour son CESS pour trouver un emploi. Avec ce jeune homme affligé, nous évoquons le futur, du bout des lèvres. « Je ne crois plus trop en l’avenir. Je suis tombé plusieurs fois et je me suis relevé, mais aujourd’hui je me sens fatigué. À cause de mes problèmes, je ne dors plus. J’ai besoin d’un point d’appui et de stabilité pour me reconstruire. », conclut-il.