La favéla de l’autre côté du canal

Depuis plusieurs mois, des sans-papiers ont élu domicile dans un bâtiment sans toit le long du canal de Molenbeek , dissimulé entre deux gros immeubles. Ses habitants le nomment « la favéla ». Ils vivent dans une très grande précarité et dans un monde bien différent de celui que nous connaissons. Un monde de l’autre côté du canal.

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Photos : Alexia Diels (CC BY NC SA).

Depuis plusieurs mois, des sans-papiers ont élu domicile dans un bâtiment sans toit le long du canal de Molenbeek , dissimulé entre deux gros immeubles. Ses habitants le nomment « la favéla ». Ils vivent dans une très grande précarité et dans un monde bien différent de celui que nous connaissons. Un monde de l’autre côté du canal.

Photos : Alexia Diels (CC BY NC SA).

Jour 1 : Une rencontre inattendue

Mercredi 26 octobre, je me rends à l’Allee du Kaai. Il s’agit d’un lieu occupé depuis 2014 par l’ASBL « Toestand ». Toutes sortes d’activités y prennent place qu’elles soient sportives, sociales, voire culturelles.

Je décide de sortir fumer une cigarette et tombe nez à nez avec Salomon. Il me salue et semble étonné que je lui réponde. Dans sa main se trouve une brosse à dents et un dentifrice. Un essuie est également posé sur ses épaules. Il prend place à côté de moi et nous commençons à discuter. Il me dit être originaire du Ghana et que cela fait deux ans qu’il vit en Belgique. Il est sans-papiers et dit habiter ici, dans un bâtiment sans toit le long du canal de Molenbeek, qu’il appelle « la jungle ». La vie n’y est pas facile. « C’est vraiment compliqué d’être sans-abri. A tel point que certaines personnes en deviennent folles. »

Portrait de Salomon, un sans-papiers vivant à la favéla. Photo : Alexia Diels (CC BY NC SA).

Après quelques minutes, il se lève et dit qu’il va se laver les dents. C’est pour cela qu’il a sa brosse à dents avec lui. Une douche se trouve juste en face. Elle n’est pas couverte et quelques planches en bois cachent un petit robinet, cela ne lui donne pas beaucoup d’intimité. Lorsqu’il revient, il se confie sur les conditions dans lesquelles il doit se laver : « l’eau est froide… Mon seul rêve serait de prendre une douche chaude. »

Douche utilisable à côté de la Favéla. Photo : Alexia Diels (CC BY NC SA).

Mohammed, un autre sans-papiers, vient se joindre à nous. Il n’habite pas la favéla, mais vit tout de même à la rue. Pour ne pas être seul, il y vient souvent. Il dit être originaire du Maroc et a déjà vécu en France. « Cela fait 8 ans que je n’ai plus vu mes deux enfants qui habitent en France avec ma femme. »

Portrait de Mohammed, sans-papiers originaire du Maroc. Photo : Alexia Diels (CC BY NC SA).

Tous les deux parlent de la difficulté d’être sans-papiers. Ils sont loin des gens qu’ils aiment. Ils ne peuvent pas travailler et n’ont pas d’endroit où dormir correctement, et vivre dignement. Soudain, un mot incongru sort de la bouche de Salomon. Incongru, car il détonne avec le décor et la situation de cet homme. « Happy ». Et il continue : « Même si la vie est vraiment difficile, je veux être heureux ».

Le soleil était de mise ce jour-là et la discussion aura duré deux heures sans qu’on voit le temps passer. C’était agréable.

Salomon et Mohammed qui discutent le long du canal. Une péniche passe au même moment. Photo : Alexia Diels (CC BY NC SA).

Jour 2 : La vie à la favéla

Le lendemain, j’ai rendez-vous avec Salomon au même endroit. Mohammed, Saïd et d’autres habitants de la favéla sont également présents. Comme le partage est important pour eux, Saïd propose des chips et des bières à tout le monde. Il chante des chansons marocaines. En même temps, Mohammed parle de sa vie d’avant et dit avoir été caméraman. Il montre des vidéos de Tétouan, sa ville d’origine. Il est également fier de montrer des photos qu’il a prises avec son téléphone. « El Cielo ! El Cielo! », me dit-il, en me montrant ses photos.

Un autre sans-papiers marocain commence à parler de racisme avec Salomon. Dans la favéla, des rivalités prennent place entre Maghrébins et Africains. Le ton qu’il emploie d’ailleurs n’est pas agréable quand il évoque le sujet. Nous décidons alors de partir faire une balade pour que la situation ne dégénère pas.

Des containers sont disponibles pour venir y déposer des dons : vêtements, couettes,… Photo : Alexia Diels (CC BY NC SA).

Avant de quitter les lieux, Salomon tient à me montrer « son ghetto ». C’est le nom qu’il donne à son habitation. En rentrant dans la favéla, la précarité dans laquelle les autres sans-papiers et lui vivent se fait ressentir. Plusieurs affaires sont disposées un peu partout. Il y a parfois des tentes avec des bâches, des vélos, des poussettes, des déchets… Salomon me dit qu’ils ont fait ce qu’ils pouvaient avec ce qu’ils ont pu récupérer à droite à gauche. En arrivant devant son couchage, il déclare : « That’s my ghetto! J’ai mis un scooter devant ma tente. Il fait office de porte. » Un matelas de récup se trouve au centre. Il y a également des couettes et des vêtements.

Le ghetto de Salomon. Photo : Alexia Diels (CC BY NC SA).

D’autres occupants du lieu sont présents sur place. Une personne portant des claquettes aux pieds, sans chaussette, nous interpelle : « j’ai besoin de chaussures ! » Ces personnes manquent de matériel pour vivre correctement. Que ce soit au niveau des vêtements, évidemment, mais aussi au niveau des produits de première nécessité.

Ils ont tout de même l’air content d’avoir de la compagnie et que quelqu’un daigne leur accorder de l’importance.

Á l’intérieur de la favéla. Photo : Alexia Diels (CC BY NC SA).

Nous finissons par quitter les lieux avec Salomon. Nous passons de l’autre côté du canal. Soudain, cette impression de se retrouver dans un autre monde. Des mouettes volent au-dessus de nous. Un vent doux se fait ressentir, et c’est plaisant. Nous passons devant un bateau. Salomon s’exclame : « J’aime les bateaux. Nous pouvons voyager avec ». La balade se finit sur le nouveau pont construit sur le canal qui rejoint Tour et Taxis à la gare du Nord. C’était important pour lui qu’on y aille car il l’adore. « J’aime ce pont, surtout le soir quand il fait sombre et qu’il est allumé. »

Vue sur le pont construit sur le canal. Photo : Alexia Diels (CC BY NC SA).

Jour 3 : Préparation d’environ 250 repas pour les sans-papiers

J’arrive à 10h45 au même endroit que d’habitude. Trois habitants de la favéla sont en train de faire leur toilette. Il y en a un qui se met de la crème et deux autres personnes sont en train de se couper les cheveux. Evidemment, ils le font avec les moyens du bord, c’est-à-dire une simple paire de ciseaux.

Dix minutes plus tard, Salomon me rejoint avec Tawfik, un autre habitant de la favéla. Nous fumons une cigarette puis nous rentrons à l’Allée du Kaai pour cuisiner. Salomon me présente Fati, la cuisinière de « Hope Forever », une ASBL qui vient en aide aux réfugiés et aux personnes précaires. Tous les vendredis, elle vient faire à manger pour les habitants de la favéla. Environ 250 repas sont cuisinés et sont également distribués au « Petit Château », lieu accueillant des demandeurs d’asile à Bruxelles.

Nous l’aidons à couper des légumes et les garçons en profitent pour charger leur téléphone et leur batterie portable. Des paroles s’échangent par moment, mais tout le monde reste concentré sur sa tâche.

Portrait de Tawfik, un habitant de la favéla venant du Ghana. Elle est visible sur la droite de la photo. Photo : Alexia Diels (CC BY NC SA).

Au menu aujourd’hui : du riz avec des carottes, des oignons, de la sauce, du curry et du gingembre. Fati cuisine toujours piquant : « cela permet d’enlever les bactéries dans leur corps. » Le plat une fois prêt, tout le monde s’active pour emballer la nourriture dans des barquettes. Ce sera plus facile pour tout transporter par la suite.

Fatima, la soeur de Fati, finit par nous rejoindre. Elle nous distribue des tabliers et des casquettes rouges de l’ASBL. Salomon et Tawfik sont fiers de les porter. Après, vient le temps du ménage. Tout le monde fait la vaisselle, lave le sol… Le lieu doit être propre après leur passage.

Fati, Tawfik et Salomon qui travaillent pour l’ASBL « Hope Forever ». Photo : Alexia Diels (CC BY NC SA).

Fati se confie sur la situation des occupants de la favéla. « Ils ont commencé à devenir des mendiants. » Selon elle, cette situation n’est qu’un éternel recommencement. « Les autorités ne font que déplacer le problème : d’abord le parc Maximilien il y a quelques années, puis cette favéla maintenant sur les bords du canal. Un jour, elles la raseront… mais les sans-papiers seront toujours là ! » 

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