Monsieur est énergique, madame plutôt discrète. Il aime Elvis, elle le classique. Sylvie oublie, Antoine se souvient. Plongée dans le quotidien d’un couple rythmé par la maladie d’Alzheimer.
Photos : Océane Ilunga (CC BY NC ND)
C’est en plein cœur du centre historique de la ville de Liège qu’habite la famille Medvidović. Dans le quartier populaire de Saint-Laurent. Là, se trouve une jolie maison de maître construite dans les années 40. Le couple n’a jamais quitté cette bâtisse après plus de quarante années dans la Cité Ardente. Ici, le temps semble s’être arrêté. Le papier peint fleuri ainsi que l’odeur de renfermé caractéristique des vieilles maisons sont au rendez-vous. Quoi qu’il en soit, l’ambiance contraste avec la personnalité chaleureuse de ses habitants.
Daniella, infirmière à domicile, suit le couple Medvidović depuis plus de dix ans. Elle a pu observer la dégradation progressive de l’état de Sylvie, mais aussi de son mari, Antoine. Ce dernier souffre de diabète. Son index gauche est devenu jaune et raide, une réaction allergique aux piqûres d’insuline. C’est pour traiter son diabète que l’infirmière se rendait chez les Medvidović au départ, jusqu’au jour où un Alzheimer a été diagnostiqué chez Sylvie.
Assise dans le canapé le regard absent, Sylvie se lève promptement, heureuse de recevoir de la visite. Elle semble constamment être à la recherche de quelque chose. Son mari, à l’autre bout de la pièce, a, quant à lui, les yeux fixés sur sa compagne. « Je l’ai rencontrée un lundi. Le mercredi, on était fiancés et le vendredi, on se mariait. » En plus d’être bavard, Antoine est un grand blagueur.
C’est dans un train en direction de Belgrade, en ex-Yougoslavie que les deux époux se rencontrent. C’était en 1967. Elle est serbe, il est moitié bosniaque, moitié croate. Ensemble, ils décident de quitter leur pays pour venir s’installer en Belgique. De leur union va naître deux garçons. « Il est mort, il est mort », balbutie Sylvie d’une voix faible mais étonnement rauque. Un de leur deux fils est mort il y a six ans, emporté par une crise cardiaque. « C’est à partir de ce moment que l’état de ma mère s’est dégradé », confie Robert, leur fils. « Elle avait déjà un passif dépressif et cet évènement l’a complètement déchirée. »
Sylvie aurait dû être placée en maison de repos, mais le couple, et surtout Antoine, a refusé cette solution. Ils préfèrent finir leurs jours ensemble dans la maison familiale. Même si c’est dur, même si cela fait mal… Sylvie est au stade cinq de la maladie qui en compte sept. Elle se souvient de son propre nom, mais elle a du mal à se souvenir d’événements passés sauf si ceux-ci sont marquants. Elle est perdue dans sa propre maison. Désorientée au niveau du temps, elle ne sait pas quand elle doit manger, ni aller aux toilettes par exemple. Elle le fait mais seulement, si Antoine ou l’infirmière lui dit de le faire. Il lui est déjà arrivé de rester toute nue toute la journée. Par précaution, l’adresse et le numéro de téléphone de son fils sont notés sur un bracelet au cas où elle quitterait la maison car, elle a tendance à vouloir s’enfuir.
Il y a un an, elle a fui. Après l’avoir cherchée toute la journée, son fils l’a finalement retrouvée… à l’hôpital ! Depuis, Daniella, l’infirmière, ferme la porte à clé avant de s’en aller. C’est le rôle d’Antoine de garder les clés. Cette situation l’agace quelques fois, surtout quand Sylvie devient agressive. Elle se met alors à claquer les portes et lui à hausser la voix. Elle lui lance des mots inintelligibles que seul lui semble être à même de comprendre. Si après la tempête, elle se calme, elle continue quand-même à repartir à la recherche des clés. « Je veux rentrer à la maison», se justifie-t-elle.
Malgré les hauts et les bas, Antoine aime sa femme. Quand, à la suite d’un accident, Sylvie est restée à l’hôpital pendant près d’une semaine, Antoine réclamait sa femme auprès de Daniella, pleurant et déclarant : « Je l’aime Sylvie, même si elle est folle. C’est ma folle à moi. »
« C’est mon poussin, même si ce n’est pas facile tous les jours », affirme-t-il en allumant une énième cigarette. Des cigarettes, il en fume depuis l’âge de cinq ans, car « on était producteur de tabac. Je travaillais dans les plantations. Mais le goût était bien meilleur avant », lance-t-il, en fin connaisseur.
Après 53 ans de mariage, le duo semble avoir gardé une complicité qui leur est propre. Complicité dont eux seuls détiennent le secret et qui perdurera encore… A la vie, à la mort.