« Je ne prendrai pas le premier verre »

Le soir tombe sur la capitale. Tout le monde rentre chez soi après le travail, sort avec des amis, sa famille ou bien se prépare pour aller boire un verre. Tout le monde ? Non. Une partie de la population qualifiée d’”alcoolique” se réunit lors de réunions anonymes pour parler d’un problème qui a bouleversé leur vie.

par

Zoé Istasse

Le soir tombe sur la capitale. Tout le monde rentre chez soi après le travail, sort avec des amis, sa famille ou bien se prépare pour aller boire un verre. Tout le monde ? Non. Une partie de la population qualifiée d’”alcoolique” se réunit lors de réunions anonymes pour parler d’un problème qui a bouleversé leur vie.

Zoé Istasse

Marcel (nom d’emprunt) arrive devant une façade faite de pierres anciennes. Il a 77 ans. Une fois la porte ouverte, le pensionné prend les escaliers et se dirige vers une salle, louée par le mouvement dont il est membre, les Alcooliques Anonymes (AA).

Chaque jeudi, il est là bien avant le début de la réunion. Il est alcoolique et n’a pas peur de le dire. Depuis ses 41 ans, il assiste aux réunions des Alcooliques Anonymes. Aujourd’hui, c’est lui qui l’organise. Au fond de la pièce, il ouvre une grande armoire et en sort de la décoration spécifique aux AA. Des panneaux, des prospectus, des cadres, des prières et des livres. Tout ce décorum arbore un même message, celui de l’espoir, message qu’il distillera aux quatre coins de la pièce.

Marcel ouvre la porte du local dans lequel ont lieu les réunions des AA

Depuis 2008, c’est dans cette salle qu’ont lieu les réunions. Ici, ils ne dérangent personne et gardent un anonymat total. Le prix est raisonnable et c’est tant mieux. Hormis le chapeau dédié à la collecte, aucune contribution n’est demandée aux membres. « C’est un local très mal entretenu avec du simple vitrage, mais on ne le paie pas cher. C’est pratique pour les réunions et puis, ça nous permet de rester anonymes et de nous y sentir bien », résume Marcel.

C’est du café infect, mais c’est un sérum de vérité.

Le local est simple. Il n’y a qu’une grande table, une dizaine de chaises et quelques armoires sur les côtés. Marcel installe la documentation, mais aussi et surtout, un percolateur avec du café. « C’est nécessaire d’avoir un percolateur qui fonctionne correctement et de pouvoir offrir du déca en poudre. C’est du café infect, mais c’est un sérum de vérité. » Il n’est pas toujours facile de témoigner ou de partager ses soucis avec l’alcool, mais c’est toujours plus simple et convivial autour d’un café.

Juste avant 20 heures, les participants entrent dans la salle. Ce ne sont que des hommes. Ils sont quatre en tout. Trois plus âgés et un plus jeune. Marcel se met en bout de table, car c’est la place du modérateur, celui qui organise la réunion. Il commence par se présenter. « Je m’appelle Marcel et je suis alcoolique ». Chacune des personnes présentes fait de même. Pendant deux heures environ, les quatre hommes partagent des expériences difficiles, des peurs, des doutes et surtout des messages de courage. La seule règle à respecter est que tout ce qui se passe pendant la réunion doit y rester. Lors d’un moment de partage, le plus jeune membre, Luca (nom d’emprunt) a partagé une peur qui l’a envahie. « J’étais tout seul pour manger dans ce bar. Il n’y avait pas de pression, pas de problème apparent… Mais je me sentais mal. J’avais envie de partir le plus vite possible. J’ai vraiment senti le danger de prendre ce premier verre ».

Ceux que vous voyez ici, ce que vous entendez ici, quand vous partez, laissez-les ici.

Pour les uns, l’alcoolisme est une honte, une “bestiole” qui ne veut pas vous lâcher ; pour les autres, il est le stigmate d’un passé lointain, un vieux souvenir. Mais pour tous, il est la raison de leur présence. La seule condition requise pour assister aux réunions est le désir d’arrêter de boire. Cependant, cela n’a pas toujours été une évidence pour tous les membres.

Luca a attendu ses 27 ans, une chute écrasante dans sa vie et plusieurs cures de désintoxication pour s’y rendre. C’est sa tante, alcoolique comme lui, mais sobre depuis treize ans, qui lui a parlé des AA. Au début, il ne se sentait pas à sa place. Il ne voulait pas ressembler à ces gens qu’il voyait en réunion. Il avait des stéréotypes vis-à-vis des alcooliques. Il a d’abord eu l’impression d’être avec des personnes qui manquent d’éducation et qu’il n’était pas comme elles. Cependant, il y est retourné. S’il a replongé entre temps, cela fait environ trois ans que Luca continue d’assister aux réunions des AA, une fois par jour, avec la perspective d’aborder les prochaines vingt-quatre heures. Un défi à la fois.

La force d’un groupe

À force de se rendre à des réunions comme celles organisées par Marcel, Luca a le sentiment de faire partie d’une communauté. Il rencontre des gens qui ont des problèmes similaires aux siens. Il se voit et se revoit à travers les témoignages des membres du mouvement. « J’ai un sentiment d’appartenance au mouvement, au mode de vie qui m’est proposé. » Après le partage de sa peur, chaque membre a d’ailleurs pris le temps de le remercier. L’atmosphère est rassurante et sans jugement. C’est la bienveillance qui règne et qui permet aux personnes présentes de tisser des liens.

Marcel accrochant une affiche de la réunion dans le hall d’entrée

Tisser des liens oui, mais pas forcément des liens d’amitié en dehors des réunions. Pour Luca, c’est l’appartenance au mouvement qui est la plus forte, la plus importante. « J’ai l’impression de ressentir une amitié spirituelle avec les gens que je rencontre en réunion. J’apprécie parler de mes expériences avec des gens qui comprennent ce que je vis au quotidien. » Il parvient à s’identifier aux autres et à se rappeler d’où il vient.

Pour Marcel, contrairement à Luca, voit les Alcooliques Anonymes comme une deuxième famille. Pour lui, l’alcoolique a souvent des problèmes avec sa famille. « Il y a des gens avec qui je ne me suis pas spécialement bien conduit. Encore aujourd’hui, j’essaie de les éviter. » Lorsqu’un nouveau membre se joint à une réunion, il arrive souvent que les autres lui laissent leurs numéros de téléphone pour se soutenir en cas de besoin. Par ce biais, des relations se créent et certaines se poursuivent en dehors des réunions. C’est pendant ces rencontres que des objets sont offerts. Ils servent à faciliter la compréhension du mouvement, mais surtout à inciter les membres à demander de l’aide quand surgit la tentation de prendre le premier verre.

Douze étapes

Au sein du mouvement des Alcooliques Anonymes, chaque groupe est libre d’organiser la réunion comme il le veut. Cependant, il existe douze étapes et douze traditions communes à tous les membres. « Nous avons poursuivi notre inventaire personnel et promptement admis nos torts dès que nous nous en sommes aperçus », récite Marcel, en débutant la liste de ces étapes. Pour lui, ce sont des étapes importantes à suivre tous les jours pour s’assurer un bon mode de vie à l’écart de l’alcool.

Ma manière de penser et de vivre n’était pas la bonne

Luca est animé par la volonté de changer de vie. « Cela fait 10 ans que j’essaie de sortir de cette dépendance. Aujourd’hui, je regrette de ne pas avoir pu construire une vie de famille ou de ne pas habiter là où je le désire. » Cependant, il explique avoir eu un déclic. Arrêter de boire, mais surtout, s’acclimater à un nouveau mode de vie. « Ma manière de penser et de vivre n’était pas la bonne. J’ai souvent recommencé à boire à cause de l’anxiété. » Aujourd’hui, il assiste au minimum à une réunion par jour et cherche à modifier entièrement sa façon de vivre et de voir les choses.

Les cures de désintoxication lui ont permis de se sevrer physiquement, mais pas toujours mentalement. Lorsqu’il est sorti, il s’est mis à assister régulièrement aux réunions. « Pour changer de mode de vie et vivre seul dans le monde avec ses anxiétés, il n’y a que les AA que j’ai vus comme une solution ».

À la fin de la réunion, les membres récitent une prière à Dieu ou à une instance supérieure qu’ils se représentent chacun différemment, et rentrent chez eux, animés par la volonté de tenir jusqu’à demain. Ils ont en tête une unique devise : « Quoi qu’il arrive aujourd’hui, je ne prendrai pas le premier verre« .

Le local dédié aux AA sans décoration
Partie du local avec un percolateur et des gobelets en carton apportés par les AA
Pièce offerte aux membres des AA

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