Issu d’une famille aisée, Jérémie, franco-belge de 27 ans a vécu une expérience laborieuse dans une école de commerce privée de Lille.
Adeline Thollot
Loin de partager les avis des anciens étudiants encensant leurs écoles privées sur les brochures de présentation, Jérémie porte un regard plus que sceptique sur son expérience à l’ESPEME à Lille, il y a quelques années. Une école de commerce rattachée à l’EDHEC où il faut débourser 12 000€ par an, le prix d’une entrée dans un monde privilégié. A l’époque rattachée à l’une des quatre meilleures écoles de commerce françaises, ce n’est pourtant pas à l’ESPEME que Jérémie a vécu le meilleur de sa vie étudiante. En suivant une voie que son père avait choisie pour lui, il s’est retrouvé dans un monde qui n’était pas le sien. Depuis, de l’eau a coulé sous les ponts, et c’est avec philosophie qu’il tire des enseignements de cette expérience passée. Avec le recul, vient le temps de l’analyse, et c’est avec beaucoup de franchise que le jeune homme s’est confié.
Comment as-tu atterri dans une école de commerce privée après ton bac ?
Mon bac, je l’ai eu aux rattrapages, mais mon père a toujours voulu que je fasse une école de commerce et moi j’ai toujours suivi les choix de mon père. J’ai fait une post-bac bien cher, le genre d’école où tu ne t’en sors pas avec une bourse, c’est papa et maman qui doivent régaler. Je me suis donc retrouvé à Lille pour passer un examen d’entrée pour l’ESPEME. Honnêtement, ce n’était pas très difficile ; c’est parce qu’on payait qu’on intégrait l’école. Bref, j’ai réussi et mon père a payé. A la base, je ne savais pas trop ce que je voulais faire. Les trois premiers mois, j’étais très investi. Je savais que mon père avait déboursé de l’argent et je me devais de faire mon possible pour réussir. Passé ces trois mois, j’ai décroché.
Qu’est-ce qui a provoqué ce changement brutal ?
Il y a eu deux évènements marquants qui m’ont fait comprendre que ce genre d’études me faisait vomir. Premièrement, lorsque j’ai compris que la seule chose qui nous intéresse dans le commerce, ce n’est pas le client, mais son portefeuille. On avait notamment un cours de marketing, où on apprenait toutes les techniques pour convaincre. La publicité, je crois que c’est ce qui m’a le plus écœuré ; il y a un côté presque déshumanisant. Je trouve que la mentalité dans laquelle on nous plonge est individualiste, égoïste et même destructrice. Puis ensuite, il y avait les personnes que je fréquentais : beaucoup de fils à papa. Et même si je devais sans doute en être un moi aussi, je n’avais pas l’habitude de les côtoyer.
Comment étaient les autres étudiants entre eux ?
Une fois que l’on est accepté dans l’école, on entre dans une autre réalité. Ce qui prime, c’est les contacts. On met des étudiants ensemble, qui vont avoir des relations entre eux, qu’elles soient amicales, professionnelles ou amoureuses et puis on fait du fric. Je me souviens en tout début d’année, on nous avait dit « Dans 50% des cas, vous allez trouver ici, la personne qui partagera notre vie. ».
Et après ces trois premiers mois, que s’est-il passé ?
Je suis resté à Lille toute l’année et puis à la fin du second semestre, j’ai reçu mes points ; il fallait que je double. A ce moment-là, j’ai pris pour la première fois une décision, j’ai écrit une lettre à l’école pour leur expliquer que j’arrêtais. Je n’ai jamais eu de réponse, mais peu de temps après, ils m’ont envoyé une lettre de renvoi. Le symbole était fort ! Pas question pour eux que quelqu’un qui quitte l’école de son plein gré, ça nuisait à leur image. Ils m’ont donc devancé en m’expulsant.
Comment tes parents ont-ils réagi avec le fait que tu veuilles arrêter l’école de commerce ?
J’avais peur de le dire à mon père, donc je me suis renfermé et je n’ai pas du tout donné de nouvelles. Mon père est entrepreneur et ce qu’il possède aujourd’hui : sa belle maison dans le nord de Paris, son appartement dans le centre, sa BM, il le doit à son travail. Comme il avait les moyens, sa volonté était de ne pas nous voir galérer comme lui. Suite à ma décision de quitter l’école, on ne s’est plus parlés pendant un moment. Il était très en colère contre moi. J’avais claqué ses 10 000 balles pour rien, et en plus je ne lui ai rien dit pendant longtemps. Avec ma mère, c’était différent. Mes parents ont divorcé quand j’étais au lycée. L’école de commerce, c’était la volonté de mon père, ma mère n’a pas mis un sou là-dedans.
En fin de compte, que retires-tu de cette expérience ?
Parfois je me dis que si j’avais fait des choix différents, j’aurais peut-être pu gagner un peu de temps. Mais finalement, si je n’avais pas arrêté cette école, je n’aurai pas pu dire à mon père « écoute stop, maintenant j’ai envie de faire ma vie », donc cette expérience m’ a servi. Aujourd’hui je suis professeur dans une école des Marolles.