IVG : un droit à reconquérir chaque jour

par

Le thème de l’avortement fait régulièrement l’objet de vifs débats. Il s’agit souvent d’aspects juridiques, rarement des femmes concernées. Mais quelle est la réalité dans une clinique où l’on pratique l’avortement ? L’hôpital de la Citadelle de Liège m’a permis de découvrir sa clinique.

Dans ce reportage, aucun nom ne sera cité. « Il y a quelques années, nous avons été tellement menacés par téléphone que nous ne pouvons plus faire autrement« , commence la gynécologue en chef, que je rencontre en premier. Je peux citer le nom de l’hôpital, prendre des photos où aucune personne n’est reconnaissable, mais je ne peux citer de noms. Elle me fait part de son obligation de protéger ses collaborateurs.

L’équipe du planning familial se trouve dans un bâtiment très moderne et est composée de deux gynécologues, d’un médecin généraliste et de quatre infirmières. Elles travaillent toutes aussi au sein du service de gynécologie et au centre de ménopause et se relaient en permanence pour assurer le fonctionnement du planning familial.

Les propos teintés de prudence de la gynécologue méritent une explication. En Belgique, la loi Lallemand-Michielsen de 1990 dépénalise partiellement l’interruption volontaire de grossesse (IVG) et permet l’avortement jusqu’à la fin de la douzième semaine de grossesse. Au-delà, les femmes enceintes qui ont recours à l’avortement, mais aussi les médecins qui le pratiquent, risquent des sanctions pénales, sauf en cas de malformation du fœtus ou lorsque la santé de la femme est gravement menacée. 

« Nous parlons toujours de 14 semaines d’aménorrhée. L’aménorrhée, ça veut dire l’absence de règles. Au-delà des 14 semaines, on n’est plus dans la loi« , explique la gynécologue. 

L’interruption de grossesse peut être médicamenteuse ou chirurgicale, selon l’avancement de la grossesse : « La plupart des femmes ont recours à l’IVG médicamenteuse, car elles prennent conscience de leur grossesse très tôt. Après quelques jours d’attente, elles ont le rendez-vous de consultation, où nous établissons leur dossier et déterminons précisément où en est leur grossesse. Après six jours de réflexion, délai fixé par la loi, l’IVG peut être pratiquée« , précise la gynécologue.

Je lui demande alors ce qui devrait changer et elle me répond en ces termes :

« Ce n’est plus utile d’avoir 6 jours d’attente. Les femmes n’en ont pas besoin. Et nous devrions faire des IVG dans certains centres spécialisés jusqu’à la 18e semaine en Belgique aussi. Cette extension de la loi permettra la prise en charge d’environ 500 femmes qui vont chaque année aux Pays-Bas.« 

Je vais ensuite au planning familial, où je m’installe sur les fauteuils verts de l’espace d’accueil. Des roses et des pierres sont peintes sur les murs et des flyers relatifs à la contraception et à l’avortement sont exposés sur un présentoir. Le téléphone sonne en permanence et tous les fauteuils sont occupés. La femme assise à côté de moi joue nerveusement avec sa bague pendant que son partenaire lui caresse le dos. En face d’elle, une jeune fille accompagnée de sa mère se trémousse tout aussi nerveusement. Les cinq salles de soins semblent occupées.

Après avoir répondu au téléphone et effectué leur travail au planning, les deux infirmières viennent vers moi.

À ma question, qui sont les femmes qui demandent une IVG et pourquoi, les deux infirmières m’expliquent que « la majorité des femmes ont entre 25 et 35 ans. Il n’y a pas de raison unique. Cela peut être l’argent, l’échec d’un partenariat ou le moment inopportun. Les femmes qui arrivent chez nous ont, dans la grande majorité des cas, bien réfléchi avant de décider d’avorter ou non.« 

À un moment, une femme accompagnée de son partenaire sort de la salle de soins et se dirige vers les infirmières. Elle semble triste, mais soulagée et les remercie d’une voix douce et s’en va. 

Les infirmières me disent alors : « La façon dont on parle de ces femmes, le fait que nous sommes perçues comme des meurtrières et que l’on ne fait pas confiance aux femmes, nous fait mal. Les femmes savent très souvent si elles sont sûres ou non, et si ce n’est pas le cas, elles pourraient continuer à réfléchir sans loi. C’est ce que nous constatons lors du premier rendez-vous.« 

Après l’entretien avec les deux infirmières, je me rends chez la psychologue. Elle aussi sait qui je suis et me parle très ouvertement. Lorsque je lui demande ce que les gens doivent savoir, elle me répond que les femmes sont fortes et qu’elles peuvent décider par elles-mêmes, mais qu’elles peuvent demander de l’aide pour cette décision grave. 

Et elle ajoute : « Je ne dois pas aider les femmes à se décider, car elles savent presque toujours ce qu’elles font. Et si ce n’est pas le cas, nous ne sommes pas des monstres qui les persuadent d’avorter juste parce que la date est fixée.« 

« Ce qui me dérange, ce sont ceux qui font culpabiliser les femmes. Elles se sentent aussi mal ainsi. Si cela devait vraiment arriver, et c’est rare qu’une femme ait plusieurs IVG, l’équipe du planning lui donne rendez-vous pour lui parler de contraception. »

Et lorsque je demande à la psychologue ce que les femmes doivent savoir, elle souligne que celles-ci doivent savoir que cette décision est certes lourde de conséquences, mais qu’elle ne doit pas déterminer toute leur vie. Cette IVG ne définit pas ce qu’elles sont en tant que femmes, car elles peuvent avoir une belle vie affective et sexuelle après une IVG. 

L’IVG doit être prise en charge tous les jours, car elle peut toujours être menacée”, conclut la gynécologue.

Nouveau sur Mammouth

IVG : un droit à reconquérir chaque jour
Stéphanie Lange : un engagement politique pour une société plus inclusive
Contraception masculine : une révolution en attente
Au bout du stick