IRAN : "Ce mouvement féministe touche toutes les classes de la société"

Etudiante iranienne expatriée, Kimia prend la parole pour mettre en lumière la détresse de son peuple.

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Photo : Pauline de Briey

Etudiante iranienne expatriée, Kimia prend la parole pour mettre en lumière la détresse de son peuple.

Photo : Pauline de Briey

Début septembre, l’assassinat de Mahsa Amini à Téhéran a provoqué le soulèvement de la population en Iran. Un meurtre qui illustre d’ailleurs les abus de l’article 638 du Code Pénal islamique. Celui-ci énonce que “les femmes qui apparaissent en public sans le voile islamique, sont passibles soit d’une peine de prison de dix jours à deux mois, soit d’une amende”.

A la suite des nombreuses protestations, le gouvernement iranien a coupé le réseau internet dans tout le pays. Depuis, à Bruxelles, Kimia Nasirian se retrouve isolée de sa famille.

DEPUIS QUAND AS-TU QUITTÉ L’IRAN ET POURQUOI ? 

Je suis arrivée fin août 2017 en France, à Strasbourg. Je suis restée trois ans là-bas, et puis je suis venue à Bruxelles en 2020. Aujourd’hui, je suis en Master 2 en Sculpture à la Cambre, je termine cette année. J’ai quitté l’Iran parce que je me sentais oppressée depuis toujours. Je me rappelle, il y a 14 ans, quand j’avais onze ans, j’ai vécu la police de l’hijab. La peur de la police de l’hijab. Dans le métro, dans la rue, quand je rentrais à l’école. J’étais déjà un peu engagée à cette époque, j’ai commencé à comprendre ce qu’il se passait. C’est à ce moment que j’ai commencé à réfléchir plus sur la politique.

J’ai vécu le stress, à chaque fois je regardais autour de moi pour être certaine que la police n’était pas là.

POURQUOI PEUT-ON DIRE QUE CE MOUVEMENT EST UN POINT DE RUPTURE AUJOURD’HUI ? 

Aujourd’hui, je trouve que ce qu’il se passe est différent. La dernière fois on parlait de l’essence, beaucoup de monde n’était pas engagé dans ce mouvement.  Par exemple, dans ma famille, comme on est dans la classe moyenne, on disait : ‘on s’en fout si c’était 1€ avant et 3€ maintenant’. Cela touchait beaucoup plus les classes sociales plus défavorisées. Mais maintenant, c’est différent parce que ce mouvement est un mouvement féministe qui touche toutes les classes de la société en Iran. A un moment donné, tout le monde s’est rendu compte que c’est n’importe quoi, ce qu’il se passe par rapport aux droits des femmes, et les droits de l’Homme en général. Ce qui est important, c’est que la question des femmes n’est pas seulement pour le pauvre ou pour le riche, c’est une question qui engage tout le monde.

SUR QUOI EST BASÉ CE MOUVEMENT FÉMINISTE ? EST-CE UNE REVENDICATION CONTRE LA RELIGION OU CONTRE UN POUVOIR ? 

Ce que l’on demande, c’est que la religion ne soit pas mélangée avec la politique. On ne veut pas que toutes les femmes soient obligées de porter l’hijab. On ne veut pas que pendant le ramadan, personne ne puisse manger dans la rue. Cela pose de gros problèmes pour des personnes qui sont malades ou enceintes. On en a marre de ça. Laissez les gens porter l’hijab s’ils en ont envie, et laisser les gens qui ne veulent pas porter l’hijab, ne pas porter l’hijab ! Je suis le bon exemple qui montre que même les gens qui étaient un jour religieux et croyant en Iran, à cause de ce gouvernement, ne le sont plus. Parce que tout le monde se dit : ‘si ça, c’est l’Islam, on ne veut pas de l’Islam’. Alors qu’en réalité, ça, ce n’est pas du tout l’Islam ! C’est normal qu’il y ait une mauvaise image de l’Islam avec tout ça et je ne peux pas la changer parce qu’ils ont raison. 

LE MR SOUHAITE INTERDIRE LES SIGNES CONVICTIONNELS RELIGIEUX, DONT LE PORT DU VOILE, DANS L’ADMINISTRATION BRUXELLOISE, QU’EN PENSES-TU ? 

Je ne suis pas du tout d’accord qu’un Etat dise que c’est interdit de porter l’hijab. Je suis contre n’importe quelle obligation, mais pour moi, chaque femme devrait se poser la question de la raison pour laquelle elle porte son voile. Est-ce que c’est une obligation imposée par quelqu’un, ou est-ce que c’est une envie ? Ce mouvement féministe invite les femmes, partout dans le monde, à réfléchir à la contrainte de l’hijab. Que ce soit une contrainte de la part d’un gouvernement ou simplement de la part de proches. 

EST-CE QUE LA BELGIQUE, L’EUROPE, DEVRAIT SANCTIONNER CE QU’IL SE PASSE EN IRAN ?

Absolument. Ce qui nous a le plus choqué, c’est Macron qui a serré la main de notre président iranien, qui, lui-même, a du sang sur les mains. Ça, pour moi, c’est extrêmement grave. Tous les pays du monde qui sont réunis et personne ne parle du fait que des gens sont en train d’être tués par les soldats de l’État dans la rue. Ce qui me rend plus triste encore, c’est le monde entier. On a tous mis le #Ukraine, #blacklivesmatter… Aujourd’hui, pour l’Iran, les réactions ont mis beaucoup plus de temps. Mi-septembre, j’étais choquée de voir que rien ne se passait en Belgique. Aucune manifestation, rien. Je suis dans une école d’art et personne ne parle de ça. Tu es la seule à m’avoir écrit par rapport à ce sujet pour en savoir plus. 

Personne n’a répondu à mes stories, personne ne m’a demandé comment j’allais et ça, je pense que c’est grave.

QUE FAIS-TU POUR SENSIBILISER LES GENS ?

Je suis triste parce que je ne peux pas faire grand-chose. La seule chose que je peux faire, c’est en parler à mon entourage et expliquer ce qu’il se passe. J’envoie des messages à mes amis. Je les prie de partager ce qu’il se passe en Iran. Plus de 80 millions d’habitants et il n’y a pas d’internet, on doit être leur voix, tout le monde devrait parler à leur place. On est vraiment dans une période on l’on a vraiment besoin des autres pays.

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