Ils mettent tout en commun

Depuis 1958, la Communauté de la Poudrière bruxelloise accueille des âmes dites "égarées", ombres de passage mais aussi présumées victimes de la vie ou de la société de consommation. Immersion dans ce hameau bénévole, niché au cœur de la capitale, au mode de vie peu orthodoxe.

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Photos : Divine Posadinu

Depuis 1958, la Communauté de la Poudrière bruxelloise accueille des âmes dites « égarées », ombres de passage mais aussi présumées victimes de la vie ou de la société de consommation. Immersion dans ce hameau bénévole, niché au cœur de la capitale, au mode de vie peu orthodoxe.

Photos : Divine Posadinu

Aurore dévale et grimpe les escaliers qui séparent la cour d’entrée et l’espace de vie commun depuis sa prime enfance. Elle qui saluait, de sa main potelée de gamine, la moindre personne qui s’aventurait aux abords de son immense terrain de jeu, la gratifiant d’un sourire édenté contagieux, se retrouve désormais à l’accueil. Le même écriteau en bois usé, accroché à un lourd portail de fer qu’elle comparait aux portes du Paradis, annonce toujours fièrement : « Communauté de la Poudrière ». Il avait été placé jadis par deux Pères Oblats, rejoints alors par un couple chrétien surnommé tendrement Lion et Poney par les futurs membres, désireux de vivre l’évangile authentiquement. Une, deux, trois, vingt, cent. Pléthore de personnes ont partagé un bout de chemin en ces lieux depuis les débuts du projet ou, comme Aurore l’entend, depuis qu’« une réponse positive a été donnée aux exigences de la vie ».

Entrée de la Poudrière
Le portail à l’entrée est toujours grand ouvert

Ce modeste « oui » donne naissance à une microsociété, doublée d’un cocon familial, fascinante par son autorégulation et sa capacité à placer l’humain au centre de ses attentions. Les auteurs « des jours d’Aurore » l’avaient bien compris en prenant leurs quartiers dans ces bâtiments à l’opposé de l’humidité des étendues sylvestres du sud-ouest hennuyer. Chaque famille possède sa propre habitation sur le terrain de la Poudrière mais partage ses repas ponctuellement avec ses voisins de palier sur de longues tables en noyer, sans places définies, éclairées par de modestes lumières flavescentes. Un silence religieux y règne durant les pauses de dix heures, de midi et de dix-huit heures, interrompu sporadiquement par des discussions banales ou animées. En somme, une tablée comparable à celle de zutistes du XIXème siècle, liés par des liens infrangibles, qui parlent, aboient, chantent, badinent et s’esclaffent ensemble.

Le repas du jour est frugal mais composé de produits arrivés tout droit de Rummen, le versant flamand de la Poudrière. Ils cultivent des pommes, des poires et les envoient à Bruxelles pour leur garde-manger personnel ou dans le but de les vendre aux bénévoles ou aux adeptes du « consommer local et belge ». Le site bruxellois n’est pas en reste. Les toits fourmillent de plantes aromatiques en efflorescence.

toits
Les odeurs de plantes se mélangent sur les toits

François est le plus bavard du déjeuner. Cet ancien prêtre de quatre-vingts ans à la retraite est devenu depuis peu bénévole après avoir officié et vécu pendant soixante ans dans la Communauté. Sa tâche ? Il astique la vaisselle qui doit être expertisée avant la vente dans le magasin de seconde main vicinal. Il est épaulé par Marie-Paule, deux ans sa cadette et bénévole également, qui en profite pour visiter son grand-frère Éric, à l’humour décapent, qui séjourne sur place depuis des années. « Je viens ici tous les mercredis. C’est mon rituel et surtout un besoin », raconte Marie-Paule, le regard empreint de souvenirs. En face, Sylvie, qui trie les objets tout droit sortis du camion, s’amuse avec Noah, un bambin obédient mais déjà coquin né pendant le confinement. « C’était une période délicate », se souvient-elle. « Le magasin était fermé, le moral n’était pas au beau fixe mais cette période de battement nous a permis de partager sur le sens de notre vécu, de sceller nos amitiés et de nous recentrer encore plus sur l’essentiel : le partage. » Le mot « partage » est celui qui, peut-être, définit le mieux ce projet de vie. Chacun apporte ce qu’il désire : ses connaissances, son argent, ses habiletés ou sa joie de vivre. C’est grâce à ce mélange de valeurs, d’énergies et d’avoirs que la Poudrière est toujours debout.

« Notre lien est indéfectible« 

Plus loin, des effluves de sciure de pin vous chatouillent les narines quand vous pénétrez dans l’antre de Gérard, menuisier de formation, animateur du groupe de prières le jeudi et bénévole de cœur. « A la Poudrière, notre volonté est de nous ajuster au réel. Je forme des aliénés à l’alcool ou à la drogue, des gens attachés à un mode de vie alternatif. Certains transitent chez nous quelques jours mais un lien invisible et indéfectible persiste. Plus vraiment les jeunes par contre, et cela reste une énigme », témoigne-t-il. « D’année en année, le nombre d’adhérents diminue gravement. Je suis inquiet mais quand une crise est vécue collectivement, elle paraît insignifiante », continue Gérard.

Gérard, affairé dans son atelier

Dans une société souffreteuse et avide de réussite professionnelle et personnelle, la Poudrière se distingue en promouvant des valeurs qui peuvent paraître désuètes ou naïves mais qui ont la volonté de s’inscrire dans la durée et de défier les modes de vie consensuels. Une proposition parmi d’autres qui séduit, interroge, refroidit et continue d’interpeller. L’angoisse de disparaître un jour dans les flots turbides du monde moderne tenaille les compagnons qui continuent, contre vents et marées, à consolider leur barrage solidaire face à toutes les formes de précarité.

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