Depuis l’annonce du rachat d’IPM par Rossel, les journalistes et experts du secteur mettent en garde sur l’atteinte au pluralisme et présentent des perspectives à envisager.
C’était un projet dans l’air depuis quelques mois déjà mais son annonce a eu l’effet d’une bombe dans le paysage médiatique francophone. Le 25 juin dernier, le groupe Rossel affirme sa volonté de détenir l’éditeur concurrent IPM. Concrètement, en échange de la cession de ses titres l’Avenir, La DH les sports + et La Libre, La famille Le Hodey, qui détient IPM, rentrera dans le capital de Rossel à hauteur de 10%. Si certains journalistes ont été surpris par le projet, d’autres s’y attendaient depuis quelques mois. « C’est un mariage de raison », avance Ricardo Gutiérrez, le secrétaire général de la Fédération Européenne des Journalistes (FEJ). « L’élément déclencheur, c’est la fin de l’aide à la distribution de la presse. Cette dernière décision prise sous le gouvernement De Croo a accéléré la crise financière qui était déjà présente. Alors entre un risque de faillite et un mariage sans amour, le choix est évident. Même si on ne s’aime pas, on se met ensemble pour notre survie », poursuit-il. « Il y a aussi la réduction de la visibilité des contenus journalistiques sur Meta (Facebook). Ça n’aide pas la presse écrite et on peut aussi citer la perte de confiance dans les médias », ajoute Martine Simonis, la secrétaire générale de l’AJP, l’Association des Journalistes Professionnels.
Je n’ai pas connaissance d’un autre exemple de monopole en Europe
Ricardo Gutiérrez – secrétaire général de la FEJ
Dans l’histoire de la presse écrite belge francophone les titres de presse n’ont cessé de se regrouper. Alors qu’en 2004, les 7 titres de presse quotidienne francophone sont répartis en 4 groupes distincts (Rossel, IPM, Mediafin et Corélio), prochainement, ils seront réunis en un seul groupe. L’entreprise Rossel élargie avec les possessions d’IPM détiendra 94% du marché de la presse écrite francophone. Une situation inédite à l’échelle du vieux continent. « Je n’ai pas connaissance d’un autre exemple de monopole en Europe. C’est une situation très préoccupante pour le pluralisme. La Belgique n’est déjà pas une bonne élève puisqu’elle figure déjà parmi les 8 pays européens où la concentration des médias est la plus importante. Mais avec cette nouvelle annonce, cela va s’aggraver », complète Ricardo Gutiérrez. Pourtant, le pluralisme des médias est une obligation démocratique. Et depuis le 8 d’août 2025, une nouvelle règle européenne est venue renforcer l’importance de l’indépendance et du pluralisme dans les médias. « Il s’agit du European Media Freedom Act (EMFA). De nouvelles règles s’appliquent dans l’Union Européenne pour garantir cette indépendance des médias. Pourtant, on remarque une dichotomie quand on regarde les nouvelles lois des gouvernements envers les médias », développe Martine Simonis.
Nous voulons des garanties fortes sur le pluralisme de l’information, le maintien des titres, des lignes éditoriales, des équipes et des sociétés des journalistes
Martine Simonis- Secrétaire générale de l’AJP
À l’aube de l’été, la fusion entre IPM et Rossel prévoyait dû être bouclée pour 2026, mais l’AJP affirme que l’Autorité Belge de la Concurrence n’a pas encore été officiellement saisie du dossier. « Non, pas Officiellement. Mais de nombreuses consultations ont déjà été entreprises. Nous avons été écoutés. Nous avons transmis nos inquiétudes sur le pluralisme et sur l’emploi », indique Martine Simonis. « Dès que nous avons appris l’annonce de cette fusion on s’est rassemblé avec les différentes SDR (la Société Des Rédacteurs, les représentants des journalistes) et les experts du secteur. Et nous avons préparé une position commune à tous les titres que nous avons défendue devant l’ABC. Nous n’allons pas nous opposer à cette fusion mais nous voulons des garanties fortes qui concernent les matières de pluralisme de l’information, le maintien des titres, des lignes éditoriales, des équipes et des sociétés des journalistes ».
Lors de leurs entrevues avec l’Autorité Belge de la Concurrence, l’AJP et la FEJ ont aussi partagé des solutions ou desgardes-fous à mettre en place. Entre garanties et exemples tirés d’autres pays, deux mécanismes ont été évoqués. De son côté Ricardo Gutiérrez attire l’attention sur le système des fondations créées aux Pays-Bas après le rachat de RTL Pays-Bas par DPG. « Ces fondations seraient indépendantes et propres à chaque titre du grand groupe. Grâce à ces fondations, les titres auraient une autonomie par rapport au conseil d’administration du groupe». De son côté, l’Association des Journalistes Professionnels avance une autre piste, plus théorique, dénommée « Golden Chair ». « Cela demanderait de créer une structure commune aux différentes sociétés des journalistes. Par le biais de ce qu’on appelle un golden chair, la structure aurait un droit de véto. Elle pourrait par exemple l’utiliser pour s’opposer à une prochaine décision de fusion du groupe avec un autre ». Des solutions sont donc sur la table mais il reste à voir si ces pistes seront suivies par le rapport de l’ABC.