© Festival de la Bande Dessinée d’Angoulême
Secoué par une fronde inédite d’auteurs et d’éditeurs, le Festival international de la bande dessinée d’Angoulême a annoncé l’annulation de son appel d’offres et l’exclusion de 9eArt+, son opérateur historique. Cette volte-face ne dissipe pas les doutes quant au maintien de l’édition 2026.
Le Festival international de la bande dessinée d’Angoulême s’est retrouvé début novembre au cœur d’une contestation rare par son ampleur. Une tribune signée par plusieurs lauréats du Grand Prix a ouvert la voie, rapidement suivie par la prise de position du Syndicat national de l’édition (SNE), qui rassemble les grands éditeurs, et du Syndicat des éditeurs alternatifs (SEA), représentatif de la scène indépendante. Tous ont dénoncé une décision jugée opaque : l’annonce d’un “rapprochement” entre 9eArt+, opérateur historique du festival, et la Cité de la BD pour organiser les prochaines éditions.
Face à cette fronde, l’association du festival a finalement annulé son appel d’offres et confirmé que 9eArt+ ne serait plus reconduit. La volte-face spectaculaire apaise temporairement les esprits, sans garantir que l’édition 2026, déjà menacée par le retrait des éditeurs, l’absence annoncée de nombreux auteurs et des programmations impossibles à maintenir, puisse réellement se tenir.
Vingt ans de malaise qui éclatent
Pour François Schuiten, auteur belge et ancien Grand Prix d’Angoulême, la crise actuelle est le résultat d’un long enchaînement d’erreurs et de tensions jamais résolues. Il évoque “une série d’accumulations qui ont fait déborder le vase”, dont plusieurs épisodes qui ont profondément marqué la profession. L’un d’eux concerne une employée du festival, violée par un prestataire lors d’une soirée et licenciée après avoir porté plainte. À cela s’ajoutent, selon lui, “beaucoup de scandales, beaucoup de maladresse”, et une incapacité du festival à s’adapter aux évolutions de la société, notamment à la montée en visibilité d’autrices devenues centrales dans le paysage de la bande dessinée.
Ces controverses se sont ajoutées à une défiance ancienne envers 9eArt+, délégataire historique du festival. Schuiten estime que la gouvernance “n’emportait plus l’adhésion” et que de nombreux auteurs avaient le sentiment de ne plus être écoutés, dans un cadre jugé opaque et figé.
Le journaliste belge Olivier Van Vaerenbergh, spécialiste du secteur, confirme l’ancienneté de ce malaise. Selon lui, “il y avait une lutte de la profession depuis très longtemps”, un ras-le-bol général concernant la manière dont le festival était géré. Il cite, entre autres, le prix d’entrée jugé excessif, l’organisation d’événements considérés comme déconnectés, et surtout le traitement réservé aux auteurs et autrices, qui ne bénéficiaient ni d’accès gratuit aux expositions ni de rémunération pour leurs séances de dédicaces.
Le point de rupture est survenu lorsque l’association du festival a annoncé un rapprochement entre 9eArt+ et la Cité de la BD pour organiser les futures éditions. Selon l’expert belge, cette décision a cristallisé la colère contre 9eArt+ et son dirigeant, Franck Bondoux, régulièrement visé pour son manque de transparence et ses décisions unilatérales. Le caractère inédit de cette crise tient au fait que les grandes maisons d’édition ont, elles aussi, décidé de se retirer. Là où existaient traditionnellement des clivages entre grands éditeurs et structures indépendantes, Olivier Van Vaerenbergh constate qu’aujourd’hui, tout le monde est en train de boycotter.
Un rendez-vous culturel fragilisé
Pour François Schuiten, l’avenir du festival reste incertain. Il estime que l’ensemble du milieu en est arrivé à un point où chacun a considéré que la situation ne pouvait plus continuer ainsi. Il rappelle néanmoins l’attachement profond qui unit les auteurs à Angoulême. Selon lui, il serait particulièrement dommageable que l’édition 2026 n’ait pas lieu, car cette absence pourrait compromettre l’avenir même du festival.
De nombreux auteurs craignent désormais une édition difficile à tenir. Delphine Groux, présidente de l’Association du Festival international de la BD d’Angoulême, a annoncé un nouveau processus de sélection, l’abandon de 9eArt+ et la mise en place de critères renouvelés, mais beaucoup ont le sentiment que ces annonces arrivent trop tard pour apaiser les inquiétudes déjà installées. “Il n’y a plus aucune confiance en Delphine Groux.” Cette défiance est alimentée par les critiques récurrentes sur la gouvernance du festival : manque de transparence dans l’appel d’offres, absence de consultation des éditeurs, et gestion jugée déconnectée par une partie de la profession. Schuiten résume la difficulté en ces termes : “Je ne sais pas par quelle baguette magique on peut maintenant sauver cette édition 2026.”
Il insiste également sur les conséquences possibles pour les auteurs. Beaucoup préparent la sortie de leurs albums, des candidatures à des prix ou des expositions en fonction du calendrier d’Angoulême. Ce rendez-vous est un moment central dans leur visibilité et leur parcours, tant il concentre l’attention du milieu et du public. Un report, une annulation ou une édition fortement affaiblie pourraient avoir de véritables répercussions sur leur travail. Ce qui domine chez beaucoup d’auteurs, comme François Schuiten, c’est un sentiment de tristesse face au risque de perdre un événement qui structure leur milieu depuis plus d’un demi-siècle. La décision d’écarter 9eArt+ a ouvert une nouvelle phase, sans en garantir l’apaisement.
L’avenir du festival dépend désormais de la capacité de ses responsables à restaurer la confiance d’un milieu qui, pour la première fois, s’est retourné d’un seul bloc contre sa direction.

