« Faire classe avec les moyens du bord »

Dans le primaire, les enseignants paient la rigueur budgétaire

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Photo: Valentinonair

Dans le primaire, les enseignants paient la rigueur budgétaire

Photo: Valentinonair

Alors que la Fédération Wallonie-Bruxelles (FWB) cherche à maîtriser un déficit estimé à près d’1,5 milliard d’euros tout en évitant de toucher aux salaires des enseignants, les instituteurs du primaire voient leurs conditions de travail se dégrader. Sur le terrain, entre débrouille, fatigue et passion, ils maintiennent à flot des écoles de plus en plus fragilisées.

Dans de nombreuses classes, les murs fraîchement repeints sentent encore la peinture… payée par les enseignants eux-mêmes. « On a fini les cours en juillet, et la semaine suivante, on était encore là, pinceau à la main », raconte une institutrice. « Ce n’est pas à nous de le faire, mais si on veut que ce soit agréable pour les enfants, on n’a pas le choix. »
Les directions, elles, ne restent pas les bras croisés : « Notre direction est très à l’écoute, elle voudrait nous aider davantage, mais elle n’a tout simplement pas les moyens », expliquent les professeurs. « Le budget qu’elle reçoit est minuscule comparé aux besoins réels du terrain. »

Derrière ces efforts discrets, la réalité budgétaire est bien plus terne. Depuis l’annonce par Valérie Glatigny d’un budget 2026-2029 incluant environ 86 millions d’euros d’économies dans l’enseignement obligatoire dès 2026, les enseignants tirent la sonnette d’alarme : matériel limité, aides supprimées, classes trop pleines… et des dépenses personnelles qui explosent.

« Je dépense 300 euros par mois pour ma classe. »

Les témoignages convergent : une grande partie du matériel pédagogique — livres, jeux, rangements, fournitures — est achetée sur fonds propres.
« Rien que le mois d’août, j’ai dépensé 300 à 350 euros », confie une jeune institutrice. « C’est de bon cœur, parce que j’aime mon métier, mais aussi parce que je sais que si je demande de l’aide, il n’y aura pas de retour. »
Dans certaines écoles, les classes sont composées presque exclusivement de meubles achetés par les enseignants eux-mêmes.
« On veut offrir des activités attrayantes, différencier selon les besoins des élèves… mais sans budget, c’est impossible. »

Là encore, les directions ne manquent pas de volonté, mais de moyens :
« On sait qu’elles font tout ce qu’elles peuvent, mais ce qu’elles reçoivent, ce n’est clairement pas suffisant », résume une institutrice.

La ministre Glatigny le dit sans détour : « Le budget de l’enseignement représente environ 8 milliards d’euros pour l’enseignement obligatoire, et 9 milliards avec le supérieur. 85 % de ce budget est dédié aux salaires des enseignants. »
Elle ajoute : « Si on ne veut pas toucher aux salaires, ni à l’indexation de ceux-ci… il faut bien pouvoir prendre d’autres mesures pour faire face au déficit. »

Le gouvernement de la FWB, dans son budget 2025, a annoncé des économies pour « éviter que le déficit se détériore ». Le communiqué précise que « la nature des dépenses de la FWB impose cette approche évolutive » et que « notre volonté est bel et bien de rendre le métier plus attractif… dans ce contexte budgétaire compliqué ».

En clair : les salaires sont considérés comme intouchables, mais les autres postes — fonctionnement, matériel, soutien — sont devenus les variables d’ajustement.
Les directions se retrouvent alors en première ligne pour tenter de faire l’impossible :
« Elles doivent gérer un budget qui n’a plus rien de réaliste. Quand elles nous disent “je n’ai plus rien”, on sait que ce n’est pas de la mauvaise volonté. »

À cela s’ajoute une autre pression : le manque de personnel et de soutien.
« On est seules face à 20 enfants, souvent avec des besoins très spécifiques », explique une enseignante. « Certains auraient besoin d’un accompagnement quasi permanent. »
Le manque d’aides ou de « co-enseignants » pèse lourd : « On parle de co-enseignement comme d’une solution, mais il faut des moyens humains pour le mettre en place. »
Les enseignants décrivent un sentiment d’isolement : entre les enfants à besoins particuliers, ceux qui s’ennuient, et les tâches administratives, « le travail ne s’arrête jamais, même à la maison ».

Les directions, elles aussi, sont prises en étau :
« Elles voudraient renforcer les équipes, mais elles n’ont plus les moyens d’engager ou d’appeler du renfort. Elles sont aussi en souffrance, coincées entre ce que le terrain exige et ce que le budget leur permet. »

« Les cinq premières années, ce sont les années de survie.»

La précarité touche particulièrement les jeunes enseignants, souvent non nommés.
« Je n’ai jamais touché deux fois le même salaire », témoigne une autre. 
Cette instabilité, couplée à une charge de travail conséquente, pousse beaucoup de débutants à abandonner. « On appelle ça les années de survie », glisse une institutrice expérimentée. « Et c’est vrai : on se demande si on va tenir. »

Pour ces enseignants, la rigueur budgétaire traduit une dévalorisation du secteur public.
« On s’en prend à tout ce qui ne rapporte pas : les écoles, les hôpitaux, la culture. Mais l’enseignement, c’est un investissement à long terme, pas une dépense inutile. »
Ils s’inquiètent également de mesures qui fragilisent leurs statuts : réduction des droits en cas de maladie, remise en question de la nomination, suppression de soutiens pédagogiques.
« Quand la ministre se félicite de ne pas baisser les salaires, elle oublie qu’on nous retire déjà beaucoup à côté. »

Malgré tout, le mot « vocation » revient sans cesse.
« On aime nos élèves, on pense à eux tout le temps. Même chez moi, j’ai une pièce dédiée à l’école », confie une prof.
Mais la passion ne suffit plus à masquer la lassitude : « On ne se plaint pas pour nous, mais pour les enfants. Si on continue à couper, c’est leur avenir qu’on hypothèque. »

« Investir dans l’école, c’est investir dans la société.»

Au terme de plusieurs échanges, un enseignant résume ce que beaucoup pensent : « On va chercher de l’argent là où il faudrait en investir. »
Pour eux, l’enseignement ne devrait pas être vu comme une charge, mais comme une priorité collective.
« Former des enfants épanouis, c’est former des citoyens responsables. Si on leur retire ça, c’est toute la société qui en paiera le prix. »

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