Ensuite, on verra bien

Au centre de réinsertion socio-professionnelle Avanti, on apprend à se relever malgré le risque de rechute.

par

Elise Houben

Au centre de réinsertion socio-professionnelle Avanti, on apprend à se relever malgré le risque de rechute.

Elise Houben

À Marchienne-au-Pont, Avanti accueille les cabossés de la vie. Ils ont connu l’addiction, la rue, l’échec, la prison. Ici, on apprend à se relever grâce aux 4 ateliers proposés: menuiserie, métal, cuisine et maraîchage. Des mains occupées, des tapes dans le dos, des sourires partagés, des regards rêveurs. Mais derrière chaque tentative, une réalité tenace s’impose : la chute reste possible.

A côté du canal de Marchienne-au-pont, dans une rue plutôt grise et banale, se dresse un bâtiment de briques rouges recouvert de graffitis. Passée la porte en fer forgé, une odeur de métal chaud et de sciure de bois. Un sac de frappe et de nombreuses sculptures en acier habitent la cour. Dans les différents locaux du centre, des mains s’activent, des regards se concentrent. Regards tantôt rieurs, rêveurs ou penseurs. On forge, on scie, on épluche, on sème.

En entrant dans la forge, on discerne les bruits sourds du métal. Giovanni esquisse le croquis d’un poisson en fer forgé. Il parle avec un léger ton de nostalgie de ses études aux Beaux-Arts, jamais terminées, tout en montrant les dessins qu’il a réalisés là-bas.

Avanti lui permet de suivre une formation socio-professionnelle. L’objectif est d’exploiter ses compétences au travers d’un programme de 35 heures par semaine pour une période maximale de 18 mois. Ce programme fait l’objet d’un contrat de formation professionnelle via le FOREM.

La matinée s’achève, il est 10h30. La machine à café crache ses premières gouttes, une clope se roule à la hâte, une enceinte diffuse de la musique pop. Giovanni, sans enlever son tablier ni ses gants de forge, prend sa pause dans le local maraîchage. Adossé au radiateur, il discute avec Dorothée, l’une des quatre formatrices travaillant à temps plein au centre de formation.

Ici, on parle beaucoup, parfois de son passé, des galères de la vie. On se plaint aussi du manque de liberté. Il est interdit de sortir de l’enceinte du centre pendant les pauses, pour éviter les dérives. « T’en as qui revenaient complètement bourrés ou défoncés, d’autres ne revenaient simplement pas », lance Gaétan, assis sur la table du local. La restriction en agace plus d’un.

Parcours cabossés, des gestes en reconstruction

Au premier étage de la menuiserie, lors de l’atelier artistique du jeudi, Ayoub est concentré sur ses bouts de verre colorés. Il les assemble pour former un vitrail, en tentant de reproduire le logo de Naruto. Babou, comme l’appellent les stagiaires, forme l’atelier créatif. Elle encourage Ayoub et lui explique comment poursuivre son œuvre. Elle qui préfère l’art abstrait s’est habituée à la pop culture, celle des stagiaires.

Dans la cuisine, Samuel se lance dans la préparation du dessert, une mousse au chocolat, accompagnée d’un coulis à la mangue et de baie d’argousier. Il coupe les fruits avec attention, mais souvent le chef le reprend et lui montre comment s’y prendre.

Les repas du centre sont payants. Les stagiaires ont le choix entre le moins cher, un sandwich, ou un repas chaud, tous deux préparés chaque jour par l’équipe de cuisine. Ceux qui peuvent se le permettre profiteront du dessert de Samuel. Dans la salle à manger, les tables sont disposées pour que chacun puisse discuter dans un cadre convivial. Tout le monde mange son repas ensemble. Enfin, presque.

Certains s’éclipsent, préférant la compagnie d’e la fumée d’une cigarette. D’autres, comme Giovanni, proposent des concours de bras de fer, ou une partie d’échecs dans les vestiaires. L’ambiance, détendue, rappelle celle d’une cour de récréation.

Et parfois, la rechute

Ces moments forgent au sein du centre des liens de solidarité qui se prolongent parfois au-delà des frontières de la cour. « C’est un premier pas vers la réinsertion », explique Isabelle Heine, créatrice d’Avanti. Ce premier pas ne garantit pas toujours une marche sans rechute.

Après les études aux Beaux-arts avortées et une formation d’électricité pas terminée, Giovanni s’est retrouvé coincé dans la spirale des médicaments et de l’alcool. Tombé en dépression, il a été réorienté ici. Aujourd’hui, il va beaucoup mieux, il a trouvé de l’aide et se relève. Si le parcours de Giovanni est encourageant, il arrive que certains franchissent la porte l’haleine encore alcoolisée, les yeux fatigués d’une nuit sans sommeil. Ils enchaînent des retards à répétition ou ne viennent pas du tout. L’alcool, les médicaments, la solitude habitent encore leur quotidien.

Comment se reconstruire quand les dettes s’accumulent, qu’il faut choisir entre se nourrir ou se soigner ? Comment parler de formation, de réinsertion quand il faut d’abord tenter de survivre ? Est-ce que le mot réinsertion est le bon quand on a jamais eu de place dans le système?

Ayoub a passé huit ans en cellule, incarcéré depuis ses 18 ans pour vol avec violence. Maintenant sous bracelet électronique, il est obligé de passer par Avanti s’il veut éviter la prison. Les ex-détenus sous bracelet touchent un montant de 600 euros par mois s’ils vivent seuls. À Avanti, ils sont payés 2 euros brut l’heure. Une fois la nourriture et le loyer déduits, il ne leur reste presque rien.

« Toute la thune que tu gagnes part dans la bouffe, moi je vais arrêter de manger », lâche un ancien détenu. Certains passent, disparaissent, reviennent. D’autres finissent à nouveau en prison, à la rue. En Belgique, le taux de récidive est de 60%, selon l’Institut National de Criminalistique et de Criminologie (INCC).

Isabelle ne s’en cache pas: « Un CDI, c’est possible. Mais il faut un déclic. Il faut que la personne ait envie de s’en sortir ». C’est loin d’être toujours le cas. « On ne peut rien faire à la place des gens, on fait le maximum et puis il ne faut rien attendre d’eux, ce n’est peut-être pas le bon moment. Ils savent que la porte est toujours ouverte et que ce n’est pas parce qu’ils ont rechuté qu’ils ne peuvent pas revenir. »

En plus de ces obstacles s’ajoutent les préjugés, la stigmatisation, l’étiquette qui colle à la peau. Isabelle estime que 70% des stagiaires ont connu des échecs scolaires répétés qui ont toujours des conséquences aujourd’hui. La peur de ne pas être à la hauteur et le manque de confiance en soi font partie du bagage que les stagiaires continuent de porter.

C’est le début du travail pour eux, reprendre confiance, se réjouir de ce qu’ils créent au sein des ateliers. La formation étant exigeante, la fierté sur le visage des uns et des autres est d’autant plus marquée.

Dehors, Giovanni pose, avec fierté à côté d’une table enfin terminée. Prête à être emballée, elle sera mise en vente pour permettre au centre de racheter du matériel et de financer la formation.

Pour Ayoub, le premier mois est compliqué, marqué par beaucoup d’absences. Au fil du temps, il prend goût à la menuiserie. Ce qu’il préfère ce sont les ateliers artistiques. Il s’autorise à rêver peut être un jour, d’en faire son métier.

Samuel termine son parcours. Il savoure le dessert qu’il a soigneusement préparé, c’était son dernier. Demain, il quitte Avanti. Il a décroché un stage dans le domaine de la cuisine.

Aux premiers abords on pourrait croire qu’Avanti sert à remettre des personnes au travail. Qu’il suffit d’apprendre un métier, de tenir un horaire, de signer un contrat. Mais ils sont plus de 70% à sortir de la formation sans emploi stable. Et parfois, même le CDI ne suffit pas.

Parmi les œuvres qui ornent la cour d’Avanti, on retrouve celle de Joël, un ancien stagiaire. Ex-détenu, ancien toxicomane, il est décrit par Isabelle comme quelqu’un d’intelligent et d’ouvert. Talentueux, il avait décroché un contrat, trouvé un logement. Sur le papier tout semblait aller mais quelques mois plus tard, il est revenu. « J’ai un CDI, un appart, mais je suis seul à 17h. Je vois pas le sens », avait-il dit. Joël avait un cancer, il a fait sa chimio à la rue en continuant de venir à Avanti chaque après-midi. Aujourd’hui, il est décédé.

C’est à travers le décès de Joël que Isabelle a compris que la quête de sens est primordiale pour les stagiaires. « Il y a les exigences gouvernementales et puis il y a le bien-être et le sens pour la personne aussi ».

Les centres de réinsertions comme Avanti offrent un nouveau souffle. Ici, on ne promet rien, on se bat d’abord pour trouver un sens à la vie, créer du lien.

Ensuite, on verra bien.

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