Duel PS/N-VA sur le blocage bruxellois

Au micro de Fluid, Martin Casier (PS) et Gilles Verstraeten (N-VA) reviennent sur le blocage politique à Bruxelles

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Au micro de Fluid, Martin Casier (PS) et Gilles Verstraeten (N-VA) reviennent sur le blocage politique à Bruxelles

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475 jours. Soit un an, trois mois et dix-huit jours écoulés depuis les dernières élections. Et à Bruxelles, rien : toujours pas d’exécutif en place. Sur les ondes de Fluid, la radio étudiante de l’IHECS, les députés bruxellois Martin Casier (PS) et Gilles Verstraeten (N-VA) sont revenus sur la situation de la Région.

Doucement, égaler (voire dépasser) le tristement célèbre record des 541 jours sans gouvernement devient de plus en plus une possibilité concrète, à la suite de plusieurs tentatives infructueuses. Dernier effort en date: six partis (MR, PS, Engagés, Vooruit, Groen et l’OpenVLD) se réunissent à l’initiative de David Leisterh (MR), formateur bruxellois, pour négocier un budget pluriannuel. A ce sujet, Martin Casier (PS) a évoqué l’absence du CD&V à la table des négociation:

« (Négocier) sans le CD&V, ce n’est pas du tout notre choix. Nous [le Parti socialiste], d’ailleurs, nous nous sommes beaucoup inscrits dans un travail avec le CD&V ces dernières semaines. Toute la dynamique d’Yvan Vergoustraete [NDLR : Président des Engagés et « facilitateur » dans les négociations bruxelloises] mettait bien explicitement le CD&V autour de la table. Je pense qu’il s’agit de demander à la famille libérale pourquoi elle a voulu se passer du CD&V aujourd’hui. Ce n’est pas de notre responsabilité. Je rappelle que c’est David Leisterh qui est formateur de ce gouvernement depuis 18 mois [NDLR : 15 mois se sont déroulés depuis les élections]. On l’oublie, mais c’est bien le Mouvement Réformateur et David Leisterh en particulier qui ont la responsabilité de former un gouvernement ».

Gilles Verstraeten évoque la « rupture du compromis » à la belge

Lors de leur échange, les deux députés ont mentionné à plusieurs reprises le blocage institutionnel en cours à Bruxelles. Aux yeux de Gilles Verstraeten (N-VA), il y a une « rupture du compromis » :

«  On a bâti des institutions avec une logique qui devait respecter les deux communautés présentes dans la Région bruxelloise. Pour la première fois, on a laissé tomber cette logique qui consiste à former deux majorités, une du côté néerlandophone et une du côté francophone. [Dans cette logique], on respecte les choix des deux communautés lorsqu’elles se composent de partis démocratiques. Et ensemble, on fait le compromis de former un gouvernement bruxellois. On a fait exploser cette logique-là, ce qui fait que maintenant, nous sommes sans gouvernement depuis plus d’un an. C’était moins compliqué lorsque la logique était respectée, on ne le fait plus, on joue à des jeux de pouvoir et nous restons malheureusement bloqués. C’est l’échec de la logique du compromis, du respect envers les institutions et leur fonctionnement […]. C’est l’échec de la primauté de l’intérêt général de la Région bruxelloise et des Bruxellois […]. »

Les origines du blocage : un bras-de-fer entre le PS et la N-VA, mais pas que ?

Lors de l’été 2024, PS, MR et Les Engagés avaient annoncé former une majorité francophone. Quelques mois après, suite à des négociations plus périlleuses, c’était au tour des partis néerlandophones de sceller un accord, composé de Vooruit, Groen, l’OpenVLD et de la N-VA. Tout semblait donc prendre la bonne direction pour doter la capitale d’un gouvernement. A ce moment, le PS s’est retiré de la coalition francophone, la rendant minoritaire. La raison ? La présence de la N-VA dans un gouvernement bruxellois ne leur plaisait pas du tout. Pour Martin Casier, le refus de s’allier à la N-VA n’est pas propre au Parti socialiste :

« J’ai beaucoup de respect pour la N-VA, je le dis très honnêtement. Mais, il n’y avait pas de majorité au Parlement bruxellois pour installer un gouvernement avec la N-VA, pas plus de notre part, puisque nous ne le souhaitions pas. C’était également le cas de DéFI, d’Ecolo et évidemment du PTB. Donc, il n’y avait pas de majorité possible au Parlement bruxellois pour installer un gouvernement avec la N-VA ».

Trouver une coalition a par ailleurs été plus laborieux pour les partis néerlandophones que du côté francophones, explique Gilles Verstraeten, avant d’insister sur le fait que, selon lui, les partis francophones n’ont pas à influencer ce qu’il se passe dans l’autre groupe linguistique :

« En novembre 2024, on [NDLR : les partis néerlandophones] a formé une majorité. Ça a pris beaucoup de temps et ça a été très complexe. Il y avait un accord entre Groen, la N-VA, l’OpenVLD et Vooruit. Puis, le PS a dit ‘non, impossible’ ! On a fait exploser la logique des institutions bruxelloises. Ensuite, l’OpenVLD a juste dit : ‘nous n’acceptons pas que la majorité francophone dicte quelle coalition les néerlandophones doivent former’. Ces formations de chaque côté linguistique sont une protection de la minorité néerlandophone à Bruxelles, comme il existe des protections au fédéral pour la minorité francophone. Retirer cela, c’est jouer à des jeux très dangereux avec les équilibres de la Région Bruxelles-Capitale mais aussi avec ceux du pays entier ».

Vers une réforme institutionnelle à Bruxelles ?

La question de potentielles réformes institutionnelles à Bruxelles s’est également immiscée dans le débat. La Région bruxelloise étant régie par la loi spéciale du 12 janvier 1989, toute réforme institutionnelle se fera non pas à la Région, mais bien au fédéral.

Cela signifie que ce ne sont pas les députés et le gouvernement bruxellois qui mèneront les réformes institutionnelles propres à leur région, mais les élus de la Chambre des représentants. Néanmoins, Martin Casier et Gilles Verstraeten ont tout de même abordé le sujet. Le socialiste a notamment pointé du doigt la surreprésentation, selon lui, des partis néerlandophones à Bruxelles par rapport au nombre réel de Bruxellois néerlandophones, estimé entre 5 à 10% de la population :

« [Il y a] une surreprésentation, manifestement, c’est un état de fait. Après, l’intention du Parti socialiste n’est absolument pas de […] déséquilibrer ces éléments. Mais, je constate quand même qu’aujourd’hui – même si tout s’est toujours bien passé auparavant – des partis qui représentent de l’ordre de mille voix ont empêché la mise en place d’un gouvernement bruxellois. Et ça, ça pose question sur les intentions des uns et des autres. Je crois qu’en ça, il faut y [NDLR : les réformes institutionnelles] réfléchir ».

« Le modèle institutionnel » selon l’un, « l’intérêt partisan » selon l’autre

Suite à cette paralysie des négociations en vue de former un gouvernement à Bruxelles, la question de savoir si les intérêts des partis politiques ne priment pas sur l’intérêt général s’est posée.  Pour Martin Casier, il y a cependant une nuance à apporter, liée aux institutions :

« C’est la manière dont nous avons organisé nos institutions qui a pris le pas sur l’intérêt général bruxellois. On a depuis des années des institutions absolument illisibles pour les Bruxellois : une COCOF, une COCOM, une VGC, un Parlement, quatre Parlements dans le même Parlement, on change de drapeaux quand on change de séance, on parle à quatre reprises de la même chose dans des institutions différentes… En fait, tout cela n’a plus aucun sens. Sur ce point-là, je suis absolument convaincu que tout doit disparaître : tout doit revenir au Parlement bruxellois avec une majorité en son sein, comme il se doit pour faire fonctionner les choses. Et bien sûr, il y a une question démocratique plus profonde, qui est la place des partis dans notre démocratie. On voit bien aujourd’hui que les Présidents de partis ont pris énormément de place, par exemple. Cette question est au cœur du débat et n’est pas propre à Bruxelles. Elle concerne, à mon avis, l’ensemble de notre modèle démocratique ».

« Ce n’est pas ça », coupe Monsieur Verstraeten. « Oui,  effectivement, [l’intérêt partisan prend le dessus sur]  l’intérêt général. L’intérêt général, c’est aussi du respect pour notre Constitution, pour les règles du jeu, pour les règles du fondement, de l’État de droit, de la démocratie. […] On peut discuter, on peut se frustrer du fait que le modèle institutionnel bruxellois est complexe. Et maintenant, vous [NDLR : le PS] dites :  ‘on ne peut plus avancer parce que c’est trop complexe’. C’est faux, c’est archi-faux ! Pendant 35 ans, on a fait fonctionner ces institutions. Aujourd’hui, on dit qu’on n’a plus envie de les faire fonctionner et le problème provient des institutions. Non, ce sont les partis politiques qui ne veulent plus faire fonctionner les institutions comme prévu dans les lois, dans notre Constitution. Ces partis se disent ‘c’est trop complexe, il faut changer ça’ et bloquent tout le système ».

La gestion des fusillades : une superposition des niveaux de pouvoir


En 2025, Bruxelles est devenue la seconde ville avec le plus de fusillades en Europe, derrière Marseille. À de nombreuses reprises cette année, principalement aux mois de février et juillet, des fusillades liées au trafic de drogues ont marqué la capitale. Le tout dans un contexte où la Région bruxelloise n’a pas de gouvernement à sa tête. En revanche, d’autres échelons de pouvoir, comme le fédéral et le local, ont des compétences en la matière. Quoi qu’il en soit, la situation est trop grave pour Martin Casier, qui invite « chacun à prendre ses responsabilités, à chaque niveau de pouvoir » :

« Le constat est effectivement dramatique. Il est intéressant de parler de Marseille, puisque l’on sait que depuis les Jeux olympiques de Paris, la mafia marseillaise s’est installée à Bruxelles dans la gestion de la drogue. En 2024, on avait autant de fusillades à Bruxelles qu’il y en avait à Anvers – il y en avait même un petit peu plus à Anvers. On sait que le problème de la drogue […]  déferle partout sur notre pays. Elle rentre par le port d’Anvers, c’est un fait. Je ne dis pas qu’il y a une lacune à cet endroit en particulier, je  dis juste que nous sommes confrontés à une violence de plus en plus importante de ces groupes mafieux. Est-ce que l’absence de gouvernement bruxellois [NLDR : est handicapant dans cette situation] ? Oui et non. En termes concrets, non. Le gouvernement bruxellois et le ministre-Président ont des compétences qui n’ont rien à voir avec des compétences de police. Par contre, c’est aux communes ainsi qu’au fédéral très singulièrement de prendre ses responsabilités sur la question de la police fédérale, du renforcement de la police locale et de la police judiciaire. Je ne renvoie pas la balle au fédéral. Je pense que le sujet est suffisamment grave […]. Chacun doit prendre ses responsabilités, chacun, à chaque niveau de pouvoir ».

Gilles Verstraeten, lui, insiste plutôt sur la coordination des forces de l’ordre et mentionne, entre les lignes, le projet (au niveau fédéral) de fusion des six zones de police de la Région de Bruxelles-Capitale :

« Il faut une coordination des forces de l’ordre au niveau de la Région bruxelloise. Les communes ne sont plus 19 villages complètement séparés. Il y a une réalité partagée et on a besoin de solidarité entre les communes pour régler ce problème qui gangrène notre ville ».

À quand un gouvernement à Bruxelles ?

La question qui fâche et que beaucoup se posent est celle de la date de formation d’un gouvernement.  « Demain », répond d’emblée Martin Casier.« Nous avons demandé de commencer un conclave où on s’enfermait pendant une semaine pour y arriver. Je constate que malheureusement, le formateur et les autres partis n’ont pas souhaité s’inscrire dans cette dynamique. Je le regrette, parce que ça doit être demain ».

« Quel gouvernement ? », s’inquiète Gilles Verstraeten.« Le plus rapidement possible. Mais, [je veux] un gouvernement qui prend en charge ce qui doit être pris en charge. Je ne veux pas n’importe quel gouvernement pour Bruxelles. Je veux finalement un gouvernement qui prend les problèmes en main et qui fait les réformes nécessaires ».

En tout cas, la montre tourne, le temps presse de plus en plus, et le record des 541 jours sans gouvernement n’a jamais été aussi proche d’être battu.

L’entièreté du débat (50 minutes) est à écouter en haut de la page.

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